Femmes : les détenues invisibles

Des recherches menées par la Women’s Refugee Commission sur la détention des femmes migrantes aux États-Unis explorent à quel point et en quoi les différences de traitement en détention entre hommes et femmes sont importantes. 

Après avoir reçu des appels téléphoniques désespérés de femmes migrantes détenues dans la prison Baker County dans la partie rurale de la Floride, des avocats de l’organisation Americans for Immigrant Justice ont décidé de visiter les lieux. Toutefois, lorsque l’équipe est arrivée, le gardien chef a insisté pour dire qu’il n’y avait pas de femmes dans la prison. Pour finir, les avocats sont repartis. Le jour suivant, ils ont reçu un autre appel téléphonique provenant d’une femme de Baker County qui leur demandait désespérément de l’aide. Les femmes se trouvaient là tout au long de la visite, mais pour une raison ou une autre, le gardien chef n’avait pas conscience de leur présence.  

La manière dont le gardien chef de County Baker insistait pour affirmer qu’il n’y avait pas de femmes dans sa prison est symptomatique de l’invisibilité des femmes dans le système de détention pour motif d’immigration aux États-Unis. Selon l’agence américaine chargée de l’immigration et des douanes (U.S. Immigration and Customs Enforcement Agency - ICE), les femmes représentent de 9 à 10 % de la population détenue pour cause d’immigration depuis 2008. En 2012, la durée de maintien en détention des femmes était de 10 % plus longue que celle des hommes, et pendant la première moitié de 2013, elle était de 18 % plus longue. Il y a en outre cinq fois plus de probabilité que les femmes se trouvant en détention soient des demandeuses d’asile[1].

La majorité des femmes sont regroupées dans seulement six institutions pénitentiaires, et les autres se trouvent dispersées en petit nombres dans des prisons d’État ou locales, un peu partout dans le pays. Les six institutions pénitentiaires se trouvent dans le sud-est et le sud-ouest des États-Unis, avec une seule d’entre elles dans le nord-ouest. Cette répartition géographique est importante parce que cela signifie qu’une femme arrêtée en dehors de ces zones risque d’être transférée loin de l’endroit où elle vit, elle et sa famille. Des chercheurs de Human Rights Watch ont documenté les nombreux impacts négatifs de ces transferts sur l’unité de la famille, l’accès au service d’un avocat et la capacité d’obtenir un sursis d’expulsion.

Les femmes qui ne sont pas détenues dans ces six institutions pénitentiaires principales sont confrontées à une autre série de problèmes. Dans la moitié de ces autres institutions plus petites, elles représentent moins de 3 % de la population carcérale. Un tel statut de minorité a un effet significatif sur les conditions de détention et restreint la ‘liberté de mouvement’ – qui est le nom donné à l’accès aux services - des femmes. Il s’agit largement de la conséquence de difficultés logistiques qui résultent de la politique de l’ICE qui interdit le mélange des hommes et des femmes. Même si l’ICE place des hommes et des femmes à l’intérieur des mêmes institutions pénitentiaires, toute interaction entre les deux sexes est strictement interdite. Le manque de personnel et la configuration des lieux, ont toutefois souvent pour résultat de restreindre la liberté de mouvement des femmes qui se retrouvent confinées dans certaines zones ou qui ont besoin d’être escortées pour se rendre d’un endroit à un autre alors que les hommes se déplacent plus librement. En conséquence, les femmes n’ont pas le même accès que les hommes aux bibliothèques juridiques, aux services religieux, aux consultations médicales, à la récréation et aux salles de visites. De telles inégalités peuvent même affecter l’accès aux procédures judiciaires. Dans la prison de Glades County, par exemple, les détenues ne peuvent participer aux audiences destinées à déterminer si elles seront expulsées que par vidéo conférence, alors que les détenus hommes peuvent y participer en personne ; une situation qui suscite des interrogations particulièrement préoccupantes quant au respect des procédures. 

La Women’s Refugee Commission (WRC) s’est également aperçue que les femmes avaient plus de chance de se trouver mélangées avec des criminelles. Cela se doit au fait que plus de la moitié des institutions pénitentiaires accueillent habituellement moins de 10 femmes à tout moment, ce qui est insuffisant pour remplir une unité de détention. Plutôt que de renoncer à des lits, les institutions pénitentiaires mélangent des détenues pour raison d’immigration avec des détenues criminelles, ce qui est non seulement une infraction aux normes de l’ICE, mais aussi une source de détresse émotionnelle et tend à exacerber les traumatismes. 

Le vécu des femmes et leurs besoins

La manière dont les femmes vivent la détention diffère considérablement de celle des hommes, non seulement parce qu’elles sont en minorité dans un système majoritairement ou presque exclusivement masculin, mais aussi parce qu’elles sont confrontées à des expériences que ne sont pas reconnues et à des besoins qui ne sont pas satisfaits.  

En premier lieu, les femmes en détention sont vulnérables et risquent d’être exploitées ou agressées sexuellement - comme le démontrent les 185 plaintes d’abus sexuels enregistrées par les détenues depuis 2007[2]. L’ICE vient juste de commencer à s’attaquer à ce problème en sortant tardivement une règlementation longtemps attendue de mise en conformité avec la Loi de 2002 sur l’élimination du viol en prison (Prison Rape Elimination Act). De plus, les demandeuses d’asiles qui sont détenues souffrent d’un taux anormalement élevé de dépression, d’anxiété et de troubles post-traumatiques. S’y ajoute le fait qu’une proportion importante d’entre elles ont subi antérieurement à leur détention des violences domestiques, des agressions sexuelles ou sont des victimes du trafic humain et d’autres formes d’atteintes sexistes. Il est essentiel de pouvoir identifier ces populations vulnérables de femmes qui ont des besoins particuliers en termes de santé mentale et psychique. Toutefois, il reste probable que l’ICE ne parvienne pas à les identifier parce qu’elle compte sur les détenues elles-mêmes pour se signaler comme étant vulnérables ou traumatisées, et qu’elle compte sur des employés (souvent des hommes) non formés, pour recueillir ce type d’informations sensibles.  

Deuxièmement, les femmes ont des besoins de santé particuliers. Au centre de détention d’Irwin County en Alabama, les femmes ont besoin d’une prescription médicale pour obtenir plus de 12 protections sanitaires en l’espace d’un mois. D’autres institutions ne donnent aux femmes qu’une protection sanitaire à la fois, et elles doivent les demander à des gardiens hommes. Ce sont des femmes enceintes qui nous ont relaté certains des récits les plus perturbants concernant des conditions de détention inappropriées. Des femmes détenues dans les États de Georgia et d’Arizona ont confié à WRC qu’un matelas supplémentaire leur avait été refusé alors que le leur était extrêmement étroit, et qu’elles ont été forcées d’accoucher avec seulement une infirmière pour les assister. Selon un rapport de l’Université d’Arizona, des femmes auraient fait des fausses couches parce que leurs demandes de soins médicaux pour cause de saignement abondant sont restées sans réponse.

L’ICE a pris un certain nombre de mesures positives pour remédier auxles problèmes de soins médicaux inadéquats et élaborer des normes relatives aux besoins sanitaires des femmes accompagnées de directives sexospécifiques. Toutefois, davantage pourrait, et devrait, être fait pour appliquer ces nouvelles normes dans toutes les institutions pénitentiaires, en assurer une supervision correcte et garantir un minimum de redevabilité. Jusque très récemment, les normes de détention les plus rigoureuses en vigueur dans la plupart des institutions ne contenaient que trois références aux différences sexospécifiques au chapitre consacré aux soins médicaux (à savoir : soins pré et anténataux, nombre appropriés de toilettes, et examens médicaux annuels en fonction du sexe). Les normes les plus récentes, publiées en 2011, prévoient des garanties plus rigoureuses relatives aux soins médicaux appropriés et nécessaires ; toutefois, à ce jour, seules quatre des 86 institutions pénitentiaires qui accueillent des femmes ont accepté de mettre ces normes en pratique.

Troisièmement, la séparation des familles qui résulte de la détention impose un prix particulièrement élevé aux femmes. Les femmes sont plus susceptibles d’être parents célibataires ce qui signifie qu’en détenant une mère, la probabilité de laisser des enfants sans adulte responsable est élevée. Les mères interrogées par WRC n’avaient souvent pas eu la possibilité d’organiser la garde de leurs enfants dans la mesure où l’ICE ne garantit pas aux détenues le droit de passer des appels téléphoniques. Les conséquences de cette politique peuvent être tragique, y compris mettre en danger le bien-être des enfants, causer des traumatismes émotionnels graves et interrompre les droits parentaux. Une fois en détention, il peut s’avérer extrêmement difficile pour les mères et les pères de maintenir la communication avec leurs enfants, le système d’aide sociale à l’enfance ou leurs avocats. Les obligations faites aux parents de participer à des visites personnelles à leurs enfants ou d’assister à des cours parentaux (non disponibles en détention) peuvent placer des mères détenues dans l’impossibilité de récupérer leur droit de garde. Bien souvent, les institutions pénitentiaires refusent également aux parents de participer, ne serait-ce que par téléphone, aux audiences devant le tribunal de la famille alors que leurs droits parentaux sont en jeu. Tous ces obstacles à la communication et la participation sont exacerbés dans le cas des femmes parce qu’il est beaucoup plus probable qu’elles soient transférées loin de leurs enfants et de la communauté qui pourrait les soutenir.  

Parmi les recommandations principales de WRC se trouvent les suivantes:

  • Améliorer le dépistage et former le personnel afin de pouvoir identifier les populations vulnérables et répondre de manière plus adaptée à leurs besoins.
  • Engager des détenues gestionnaires de ressources pour qu’elles agissent comme point de contact sur les problèmes spécifiques aux femmes dans chaque institution.
  • Rassembler des données sexospécifiques plus complètes.
  • Étendre les alternatives à la détention, particulièrement dans le cas des femmes enceintes, des femmes qui ont la responsabilité principale de leurs enfants et des autres groupes vulnérables.
  • Réformer la législation relative à l’immigration de manière à ce que la protection et le respect des règles et procédures soient effectivement appliqués à tous.

 

 

Michelle Brané MichelleB@wrcommission.org dirige le Programme droits des migrants et justice de la Women’s Refugee Commission www.womensrefugeecommission.org. Lee Wang, lwang00@gmail.com a travaillé comme stagiaire dans le cadre de ce programme.

Le rapport de la Women’s Refugee Commission sur la situation des femmes en détention sera disponible sous peu sur http://wrc.ms/YOQlvN. Pour plus d’informations sur le travail de la Women's Refugee Commission relatif à la situation des femmes en détention, voir : http://wrc.ms/14ovcZ9.



[1] Toutes les données provenant de l’ICE ont été obtenues par la Women’s Refugee Commission le 28 mars 2013.

 

 

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