Prédisposés à coopérer

Des études récentes menées à Toronto et Genève indiquent que les demandeurs d’asile et les réfugiés sont prédisposés à coopérer avec le système de détermination du statut de réfugié et les autres procédures d’immigration, et que la conception d’alternatives à la détention peut créer, encourager et soutenir – ou ébranler et même réduire à néant cette prédisposition à la coopération.

Du point de vue des demandeurs d’asile et des réfugiés, les alternatives à la détention ‘fonctionnent’ si elles évitent une détention qui n’est pas nécessaire et d’autres restrictions excessives, si elles aident les individus à obtenir protection et une prompte résolution de leurs demandes, et – lorsqu’ils sont autorisés à rester – si elles contribuent à accélérer leur intégration au sein de la société d’accueil. Et du point de vue de l’État, les alternatives à la détention fonctionnent si elles encouragent les demandeurs d’asile à coopérer avec le système de détermination du statut et plus généralement avec la législation sur l’immigration, ou si elles facilitent le renvoi de ceux qui n’ont pas besoin de protection. 

Le facteur déterminant pour motiver les demandeurs d’asile à coopérer avec le système de détermination du statut et avec les autres processus juridiques est que ceux-ci soient perçus comme équitables. Les recherches que nous avons effectuées auprès de demandeurs d’asile et de réfugiés à Toronto et à Genève[1] valident la constatation selon laquelle la détention empêche d’accéder aux conseils et aux formes de soutien capable d’établir un climat de confiance et de compréhension autour des processus de détermination du statut ; dans ce sens, les alternatives ‘fonctionnent’ mieux, non seulement pour les individus concernés mais aussi pour le système dans son ensemble. Les demandeurs d’asile et les réfugiés que nous avons interviewés avaient tendance à accepter que les pays aient besoin de recourir à un processus de détermination du statut pour pouvoir discerner les personnes ayant besoin d’une protection internationale, et leur conception de l’équité semblait remarquablement cohérente. Pour eux, l’équité incluait d’avoir la possibilité de bénéficier (1) d’une audience en bonne et due forme ; (2) d’un processus décisionnaire cohérent ; et (3) de décisions rendues rapidement ; toutefois, le facteur institutionnel unique le plus important pour encourager la confiance était (4) un accès précoce à un conseil et une assistance juridiques fiables.  

Il est possible de glaner des perspectives intéressantes relatives à l’importance globale des conseils, juridiques et autres, à travers le témoignage de demandeurs d’asile rejetés à Toronto. Nous avons rencontré certains demandeurs d’asile rejetés qui pensaient que la décision rendue dans leur cas par le processus de détermination du statut n’était pas correcte, mais qui cependant ne considéraient pas le système dans sa globalité comme injuste, et semblaient disposés à vouloir continuer de coopérer avec les autorités. À l’opposé, à Genève, le manque d’informations et de conseils semblait contribuer de manière significative à ce que les personnes interrogées considèrent le processus de détermination du statut comme fondamentalement inéquitable.

Assistance juridique à Toronto : Les demandeurs d’asile qui résident dans le Système de refuges de Toronto (que nous considérons comme une forme d’alternative à la détention) ont indiqué avoir reçu dès le départ des listes d’avocats spécialisés dans le droit des réfugiés. Même s’il n’est pas possible d’affirmer que tous les demandeurs d’asile ont reçu une assistance juridique, c’était le cas de la plupart des personnes que nous avons interrogées. Bien souvent, les refuges mettaient à disposition des orientations juridiques ainsi que des informations juridiques générales sur le processus mais s’en remettaient à des avocats privés pour représenter les clients ; cette division des tâches semblait positive, dans la mesure où le fait de disposer de plusieurs sources d’information et de conseil semblait renforcer la confiance dans le système. Les personnes interrogées avaient généralement reçu des conseils de manière précoce, y compris sur la manière de remplir leur ‘formulaire personnel d’information’, soit de la part de leur propre avocat ou des travailleurs sociaux du refuge. Tous semblaient avoir conscience de l’importance d’expliquer entièrement les raisons de leur fuite dans le formulaire personnel d’information, et ils comprenaient l’importance cruciale des résultats de leur première audience.

« Cela semble fou, mais, effectivement, j’ai confiance dans le système parce que je le comprends ». (Demandeur d’asile à Toronto, venant d’Afrique de l’est).

Assistance juridique à Genève : Nous avons eu l’impression que les personnes interrogées qui continuaient de coopérer avec le processus de détermination du statut à Genève, le faisait parce qu’elles pensaient ne pas avoir d’autre option et tout simplement parce qu’elles se sentaient à la merci des autorités suisses. En Suisse, il n’existe pas d’assistance juridique formellement prévue pour les demandeurs d’asile, c’est pourquoi ceux d’entre eux qui ne disposent pas de ressources financières propres doivent s’en remettre aux ONG pour assurer leur représentation juridique – à condition qu’ils sachent qu’elles existent et comment les contacter. À une seule exception près, les personnes interrogées à Genève ont toutes affirmé n’avoir reçu aucun conseil juridique ou même d’information juridique avant leur entretien d’enregistrement ou leur audience principale. En l’absence de tout conseil juridique adapté, les demandeurs d’asile doivent compter sur les travailleurs sociaux et sur l’aide qu’ils peuvent s’apporter mutuellement pour s’orienter à travers les méandres du processus d’asile. Nous avons observé qu’il était courant de penser que les avocats ne devaient être consultés que lors des étapes d’appel, et encore. En conséquence, les personnes interrogées ont fréquemment mal compris le processus de détermination du statut et n’ont pas semblé être bien préparées pour expliquer leur demande.

Les entretiens ont révélé qu’au départ du processus d’asile, les demandeurs d’asile semblaient généralement disposés à coopérer avec le processus de détermination du statut et avec les autres procédures, et ce en raison de quatre facteurs déterminants :  

  • La situation difficile d’être un réfugié et la crainte du retour ;
  • Une tendance inhérente au respect de la loi ;
  • Le désir d’éviter la difficulté et la précarité d’une résidence irrégulière ;
  • La confiance et l’impression d’équité qu’inspire l’État hôte, et en particulier son processus de détermination du statut.

 

« J’avais entendu parler de la Suisse et en particulier de Genève. C’est le pays des droits de l’homme, alors j’ai pensé qu’ils allaient me traiter humainement ». (Demandeur d’asile à Genève, venant d’Asie).

Toutefois, qu’ils conservent ou non cette prédisposition à la coopération dépendra de la manière dont ils sont traités. Il semble y avoir bien peu de justification à la détention des demandeurs d’asile si les conditions suivantes sont réunies : conditions de réception adaptées ; système de détermination du statut perçu comme équitable ; et mise à disposition d’un soutien global afin d’orienter les demandeurs à travers les processus légaux et le mode d’existence dans le pays hôte.  

 

Cathryn Costello cathryn.costello@law.ox.ac.uk est Chargée de recherches et directrice d’études en droit de l’UE et droit public à Worcester College, Université d’Oxford. À partir d’octobre 2013 elle enseignera le droit des droits de l’homme et le droit des réfugiés au Centre d’études sur les réfugiés. Esra Kaytaz esra.kaytaz@anthro.ox.ac.uk est doctorante en anthropologie sociale à l’Université d’Oxford.

Pour plus d’informations, voir Costello, C et Kaytaz, E ‘Building Empirical Research into Alternatives to Detention: Perceptions of Asylum-Seekers and Refugees in Toronto and Geneva’, UNHCR Legal and Protection Policy Research series, juin 2013 www.refworld.org/docid/51a6fec84.html



[1] Recherche commissionnée par l’UNHCR

 

 

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