Détention au Kenya: les risques que courent les réfugiés et les demandeurs d’asile

Au Kenya, les réfugiés et les demandeurs d’asile qui sont arrêtés risquent des sentences multiples et une détention prolongée du fait d’une mauvaise coordination entre les fonctionnaires de l’immigration, les policiers et les autorités carcérales, associée à une pénurie d’interprètes et à un niveau insuffisant de connaissances sur la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile au sein de ces différentes institutions.

Le Kenya joue un rôle de pays hôte pour un nombre important de réfugiés, de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (PDI), d’apatrides, de migrants économiques et de victimes de la traite et du trafic de personnes. L’organisation Refugee Consortium of Kenya (RCK) s’occupe d’un programme de surveillance de la détention qui compte dix contrôleurs de détention basés dans des prisons se trouvant le long des principales routes de migration et dans les centres urbains accueillant des demandeurs d’asile et autres migrants. Ces contrôleurs de détention surveillent les violations aux droits des réfugiés et les cas ayant trait à l’asile dans les prisons, les postes de police et les tribunaux, et ils jouent à ce titre un rôle essentiel de protection dans la mesure où non seulement ils servent à établir un lien déterminant avec le système de la justice pénale mais où ils peuvent également intervenir et apporter une aide immédiate aux migrants se trouvant en détention. Au cours de la seule année 2012, RCK a assuré la représentation légale de 727 demandeurs d’asile et réfugiés détenus dans divers centres de détention à travers le pays.

Au Kenya, c’est l’incapacité des fonctionnaires et des autres acteurs chargés de l’application des lois d’établir une distinction entre les criminels, les immigrés clandestins et les demandeurs d’asile qui a représenté l’une des difficultés majeures dans le cadre de la migration mixte et de la protection des réfugiés. Toutes ces catégories de personnes sont détenues dans les mêmes prisons et soumises aux mêmes normes de réclusion ; des demandeurs d’asile finissent par être traités comme des criminels, un problème qui contrevient clairement le caractère civil du concept d’asile. Les conditions dans les prisons exposent les demandeurs d’asile et les réfugiés aux agressions, aux abus sexuels, à la torture, aux maladies ; ils y sont privés de soutien psychologique, n’ont accès qu’à une assistance juridique limitée et l’alimentation qu’ils reçoivent est déplorable. Bien souvent, la situation est encore aggravée par l’absence de service de traduction dans les prisons, ce qui signifie que les demandeurs d’asile n’ont pas la possibilité de se plaindre des difficultés qu’ils rencontrent ou de signaler les violations dont ils font l’objet aux autorités.

En vertu de la loi kényane sur les réfugiés de 2006, tous les demandeurs d’asile disposent de 30 jours après leur entrée au Kenya pour se rendre auprès des autorités les plus proches et se faire enregistrer comme réfugiés, indépendamment de l’endroit ou de la manière dont ils sont entrés dans le pays. La loi stipule également que tout réfugié doit se voir accorder une audition impartiale et qu’il doit avoir la possibilité de se défendre face à un tribunal. Toutefois, les réfugiés se voient régulièrement dénié ces droits, et bien trop souvent se retrouvent inculpés – à tort – parce que les fonctionnaires en charge n’ont pas les connaissances adéquates et ne savent pas comment traiter les dossiers des demandeurs d’asile, ou parce qu’ils n’arrivent pas à se faire comprendre et qu’il n’y a pas d’interprète disponible.  

Les demandeurs d’asile sont encore plus vulnérables depuis que le gouvernement kényan, par l’entremise du Département chargé des réfugiés (Department of Refugee Affairs), a émis le 18 décembre 2012 une directive enjoignant à tous les réfugiés se trouvant dans les centres urbains de se déplacer dans des camps[i]. Cette directive comprenait également une note indiquant qu’il n’était plus possible d’enregistrer des réfugiés ou des demandeurs d’asile dans les zones urbaines et qu’en conséquence, les agences, y compris le HCR, devaient stopper toute fourniture directe de services aux réfugiés. Ce qui bien évidemment a créé de graves lacunes en termes de protection, limitant l’accès des réfugiés aux services et les exposant à être arrêtés, détenus et expulsés. Il convient de signaler que depuis l’émission de cette directive, le harcèlement des réfugiés par la police à Nairobi et dans d’autres centres urbains a considérablement augmenté. Des cas d’arrestation arbitraire et de détention illégale de réfugiés ont été dénoncés ; en outre, les détenus ne sont pas déférés devant un tribunal dans la limite de la période constitutionnelle de 24 heures suivant l’arrestation, ce qui constitue un déni de leurs droits.

Migration mixte et détention

Au cours de l’une de ses missions de surveillance de la protection dans la région côtière, RCK a visité la prison de Voi dans le Taita Taveta County afin d’effectuer un suivi sur des cas de détention[ii]. La région est une route de transit qui permet d’aller de la Corne de l’Afrique à l’Afrique du Sud, en passant par la Tanzanie et elle est utilisée pour la traite humaine. Dans cette prison, nous avons rencontré et interrogé huit Éthiopiens qui purgeaient une peine de quatre mois pour présence irrégulière en attendant d’être expulsés. Nous avons aussi réussi à interroger les officiers en charge. En écoutant leurs préoccupations nous avons pu déduire certaines des difficultés qu’ils rencontrent, notamment qu’il est fréquent que les demandeurs d’asile soient mélangés avec les personnes victimes de la traite, que les autorités ne sont pas toujours en mesure d’établir une distinction entre ces deux groupes et de fournir l’assistance nécessaire aux demandeurs d’asile. C’est parce qu’ils n’ont pas ou peu de connaissances en matière d’asile que les autorités finissent par traiter comme émigré clandestin et détenir toute personne sans papier. La situation est encore aggravée par des officiers qui, par ignorance ou manque d’accès, ne parviennent pas prévenir le département chargé des réfugiés qui pourrait intervenir ou contrôler les demandeurs d’asile.

Le manque de coordination à travers la région par rapport aux expulsions de migrants est également une cause d’inquiétude. Les fonctionnaires ont pour habitude de renvoyer les migrants vers le point d’entrée dans le pays le plus proche, le plus souvent sans les remettre aux autorités adéquates à la frontière avec pour effet d’exposer les migrants à des condamnations multiples et à des périodes prolongées de détention dans chacun des pays où ils sont renvoyés, ce qui est clairement une violation de leurs droits.

Recommandations

Afin de trouver des solutions aux difficultés exposées ci-dessus, nous recommandons les mesures suivantes :

  • Des centres de réception devraient être installés le long des principales routes de migration ou aux principaux points d’entrée aux frontières. Cela permettrait d’enregistrer promptement et de contrôler tous les migrants, en particulier les demandeurs d’asile.
  • Une meilleure collaboration entre les agences gouvernementales chargées de la détention et de l’expulsion devrait pouvoir réduire les cas de détention et éviter les détentions prolongées dans l’attente d’une expulsion.
  • La détention devrait être utilisée uniquement comme une mesure de dernier ressort après avoir exploré toutes les autres possibilités[iii].
  • Les réseaux régionaux et internationaux de la société civile devraient s’efforcer d’assurer une meilleure circulation des informations sur les meilleures pratiques de travail avec les réfugiés et les demandeurs d’asile qui risquent la détention et/ou l’expulsion ; des efforts comme ceux entrepris par l’International Detention Coalition (IDC) devraient être soutenus et canalisés de manière à faciliter une application plus efficace des lois relatives à la détention et à l’expulsion.
  • Les instances gouvernementales et judiciaires régionales devraient travailler ensemble, partager leurs informations et plaider en faveur de l’adoption de meilleures pratiques, notamment concernant la mise en place de comités de surveillance et de rapporteurs spéciaux.

 

 

Lucy Kiama refcon@rckkenya.org est Directrice générale de Refugee Consortium of Kenya (RCK) et Dennis Likule dennis@rckkenya.org est Chargé de programme assistant (juridique) à RCK, une NGO qui cherche à promouvoir et défendre les droits des réfugiés et des autr



[i] Cet ordre a été donné à la suite d’une vague persistante d’attaques à la grenade dans le quartier Eastleigh Estate de Nairobi qui est principalement habité par des réfugiés somaliens et oromos.

[ii] ‘Border monitoring mission of refugee protection: issues at the coast: A report by the Refugee Consortium of Kenya on a monitoring mission to Mombasa, Voi, Taveta, Kwale and Lunga Lunga’, novembre 2012

http://tinyurl.com/RCK-2012-Coast-monitoring

[iii] Voir l’article d’Alice Edwards ‘La détention sous la loupe’ consacré aux Principes directeurs du HCR www.fmreview.org/detention/edwards

 

 

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