Pas de changement: les centres d’internement d’étrangers en Espagne

En Espagne, le projet de réglementation des Centres d’internement d’étrangers est bien loin de répondre aux espoirs et aux demandes des personnes militant pour une meilleure garantie des droits des réfugiés.

L’Espagne s’est dotée de centres de détention administrative destinés spécialement aux immigrants; la plupart de ces centres se trouvent sur la côte méditerranéenne et l’un d’entre eux à Madrid, la capitale. Ces Centres d’internement des étrangers (Centros de Internamiento de Extranjeros – CIE) sont administrés par la police.

En janvier 2012, lorsque les autorités ont enfin commencé à ébaucher les réglementations qui gouverneront la gestion de ces centres, les militants espéraient que ce processus impliquerait une révision complète du système et serait l’occasion de passer à une solution alternative qui accorderait plus d’importance aux besoins fondamentaux des détenus et garantirait leurs droits. Hélas, le projet de réglementation actuel ne reprend aucune des propositions avancées par diverses sources au cours des années précédentes, à l’exception de l’appellation des détenus par leur nom et non plus par leur numéro. Sur certains plans, ce projet s’avère même plus restrictif que la pratique actuelle. En outre, la rédaction des réglementations représentait une occasion idéale d’amorcer un débat politique et social entre les acteurs des sphères politique, sociale, syndicale et professionnelle sur la nécessité et la pertinence des CIE. Hélas encore, cette occasion n’a pas été saisie.

Une évaluation du projet de réglementation entreprise par un groupe de près de 20 organisations et réseaux espagnols[1] met en lumière un large éventail de préoccupations.

Gestion policière: En 2012, le ministère de l’Intérieur a exprimé le souhait de modifier la gestion des CIE afin que la police soit uniquement responsable de leur sécurité et non plus de l’ensemble de leur administration, comme c’est le cas actuellement. Toutefois, selon le projet de réglementation, les CIE resteraient sous la compétence exclusive du ministère de l’Intérieur et chaque centre continuerait d’être géré par un directeur issu des forces de police.

Manque d’information: La plupart des détenus ne comprennent pas pourquoi ils sont dans un CIE. L’incertitude et le manque d’information qui en résultent accentuent l’anxiété, la vulnérabilité et la méfiance. Le projet de réglementation ignore certains besoins des détenus:

  • informations sur leur situation juridique: Lorsque les détenus arrivent dans un CIE, ils devraient être interrogés dans une langue familière, recevoir une explication pour qu’ils comprennent leur situation mais aussi être maintenus informés des dernières décisions administratives et judiciaires qui les concernent.

 

  • être informés préalablement de la date et de l’heure de leur expulsion ainsi que de leur destination, y compris des informations sur leur vol: les détenus vivent dans un profond état d’anxiété, sachant qu’ils risquent l’expulsion à toute heure du jour ou de la nuit sans préavis. S’ils sont informés en avance, ils peuvent par exemple prévenir leur famille dans leur pays d’origine pour que quelqu’un vienne les chercher à l’aéroport, faire leurs adieux à leurs amis et relations familiales en Espagne ou informer leur représentant juridique afin de vérifier que tous les recours possibles ont été explorés.[2]

 

  • accès à son dossier ou possibilité de demander une copie de son dossier: il existe un dossier pour chaque personne détenue en CIE mais seuls les avocats ont le droit de le consulter.

 

Restrictions des communications: Le projet de réglementation autorise uniquement les communications téléphoniques à partir d’un téléphone payant. L’interdiction totale des téléphones mobiles dans les CIE est le sujet d’innombrables réclamations de la part des détenus, pour diverses raisons. De nombreux détenus ont enregistré dans leur téléphone mobile des numéros qu’ils ne connaissent pas par cœur; les CIE limitent la durée des appels téléphoniques; et il est très difficile pour la famille, les amis et les avocats d’appeler un détenu et de lui parler tant les téléphones des CIE sont sollicités. L’usage des téléphones mobiles, même s’il était limité à certaines plages horaires et soumis à certaines conditions, pourrait bien être leur seule forme de communication avec le monde extérieur, et devrait donc être autorisé. De surcroît, les détenus ne peuvent pas recevoir de fax ou photocopier de documents. Ils n’ont aucun accès à l’Internet ou aux e-mails. Ces mesures entravent leur communication avec leurs avocats et avec l’extérieur et les empêche de rechercher des informations ou de suivre certaines démarches pourtant nécessaires.

Restrictions des visites: Actuellement, les horaires de visite sont quotidiens dans les CIE. Toutefois, le projet de réglementation limite les visites à deux jours par semaine (sauf pour les partenaires et les enfants). Aucune explication n’est donnée pour un tel pas en arrière.

Possibilités réduites de déposer des réclamations: À l’heure actuelle, les personnes détenues en CIE peuvent déposer une réclamation devant le tribunal de supervision des CIE. En revanche, le projet de réglementation prévoit que toutes les pétitions et réclamations soient soumises au directeur, qui les examinera avant de les transmettre au département concerné s’il le juge nécessaire. Au vu du nombre et de la forte récurrence des réclamations déposées par les détenus au sujet des conditions de détention et des attaques signalées, il est essentiel que les détenus aient la possibilité d’écrire directement au tribunal sans avoir à passer par le directeur du CIE lui-même.

Contrôle et sécurité: Le projet de réglementation prévoit: la possibilité de limiter ou annuler les visites; l’interdiction d’apporter des articles aux détenus; l’inspection des dortoirs et des biens personnels des détenus; et la fouille des visiteurs et des détenus (y compris, pour ces derniers, la possibilité d’être fouillés à nu). Les motifs de ces restrictions ne sont aucunement clarifiés, pas plus que les procédures à suivre, ce qui laisse la porte ouverte à une mise en application discrétionnaire et abusive. Les réglementations prévoient également, non sans ambiguïté, l’utilisation éventuelle de cellules d’isolement «pour la durée qui s’avère strictement nécessaire». Le ministère de l’Intérieur a ignoré la décision des tribunaux de supervision de Madrid visant à limiter cette mesure à 24 heures. Les réglementations suggèrent la possibilité d’une surveillance vidéo au sein des CIE, sans qu’il s’agisse d’une obligation; cet équipement pourrait se révéler utile pour contrôler les éventuels mauvais traitements et pour enquêter en cas de réclamation.

Manque de soins spécifiques pour les populations vulnérables: La réglementation ne précise aucunement les conditions de détention et de traitement des populations souffrant de vulnérabilités particulières. Elles ne décrivent aucun mécanisme d’identification et de protection des réfugiés, des victimes de la traite des êtres humains, des apatrides ou des mineurs, pas plus qu’elles ne définissent de procédure pour empêcher le refoulement. La prestation de soins médicaux en CIE sera toujours dépendante du ministère de l’Intérieur et de contrats avec des fournisseurs privés, plutôt que de permettre aux services de santé publique espagnols d’examiner et de déterminer les soins médicaux proposés. En outre, rien n’est dit sur les conséquences de l’internement de personnes ayant des enfants à charge.

Restrictions de l’accès par des organisations externes: Le projet de réglementation aborde la possibilité d’accès aux CIE par des organisations autres que les sous-traitants pour fournir des services mais, dans certains centres, sous des conditions plus restrictives que celles actuellement en place:

  • Le projet de réglementation prévoit que les ONG «pourraient être autorisées» à visiter les lieux mais sans expliquer les critères d’autorisation, ce qui laisse à penser que toute autorisation se fera à la discrétion du directeur.

 

  • Une autorisation sera accordée «pour interviewer les détenus qui auront déposé une demande»; en d’autres mots, les ONG ne pourront pas interroger de personne qui n’en aura pas fait la demande préalable.

 

  • La permission du directeur doit être sollicitée pour chaque visite et le but de la visite doit également lui être communiqué. Pour les ONG qui se rendent régulièrement dans les CIE, une procédure d’accréditation générale des visites semblerait plus logique.

 

Pour les raisons susmentionnées, le projet de réglementation des CIE espagnols doit faire l’objet d’une révision complète avant d’être approuvé, comme le prévoit le processus, d’ici la fin 2013.

 

Cristina Manzanedo cmanzanedo@pueblosunidos.org travaille comme avocate avec Pueblos Unidos – Servicio Jesuita a Migrantes, à Madrid, en Espagne. www.pueblosunidos.org



[1] Cette évaluation a été menée conjointement par les membres de la campagne «Que el derecho no se detenga a la puerta de los CIE», impliquant environ 20 organisations et réseaux basés en Espagne. http://tinyurl.com/a-la-puerta-de-los-CIE

[2] La tribunal de supervision du CIE de Madrid a demandé un préavis écrit de 12 heures minimum, et celui de Las Palmas de 24 heures. Cette bonne pratique devrait être élargie à tous les CIE dans le cadre des nouvelles réglementations.

 

 

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