Mon histoire: Une détention sans fin au Royaume-Uni

Lorsque je suis arrivé au Royaume-Uni pour fuir la guerre civile, je pensais que j’allais être libre; mais au lieu de m’aider, les autorités m’ont mis en détention pendant trois ans.

Le 19 septembre 2001, j’ai pris un avion qui m’emmenait d’Abidjan au Royaume-Uni. En regardant par le hublot, je pensais que rien de pire ne pouvait m’arriver après avoir combattu l’armée de Charles Taylor dans mon pays, le Liberia. Je pensais que j’allais pouvoir laisser derrière moi les souvenirs encore bien vivants des actes ignobles,  physiquement et moralement dégradants, que j’avais vu l’armée perpétrer contre d’autres personnes. Je pensais que j’allais enfin être à l’abri de toute possible arrestation pour avoir dénoncé les exactions du gouvernement de Taylor. Je pensais que le souvenir du viol et du meurtre de ma fiancée finirait par s’estomper.

Mais j’ignorais encore que le spectre sinistre des événements qui s’étaient déroulés au Liberia m’avait suivi jusqu’ici. Je sais aujourd’hui que je souffrais alors d’un état de stress post-traumatique (ESPT) et d’un trouble bipolaire. Si seulement j’avais su que je souffrais d’ESPT, les événements que j’ai vécus se seraient déroulés différemment.

J’ai déposé une demande d’asile au Royaume-Uni. J’ai relaté à l’Agence britannique de gestion des frontières les expériences que j’avais vécues au Liberia, y compris les tortures que j’avais subies, mais je n’ai rien reçu en retour, pas même une assistance. Ma demande d’asile a été déboutée mais l’on m’a accordé un permis de séjour temporaire. Je me suis retrouvé livré à moi-même dans la communauté, sans personne pour m’aider. Et alors que ma santé mentale commençait à décliner, je me suis tourné vers le monde de l’alcool et des drogues. J’ai perdu mon emploi et j’ai commencé à commettre des crimes pour assouvir ma toxicomanie.

En 2006, j’ai été interné en vertu de la Loi sur la santé mentale (Mental Health Act). J’ai séjourné trois mois dans un établissement psychiatrique de Salford. Personne n’avait le temps de chercher à comprendre pourquoi je traversais des épisodes psychotiques. À ma sortie de cet établissement, je ne suivais aucun traitement particulier.

J’ai ensuite été de nouveau arrêté et envoyé cette fois-ci à la prison de Durham. En octobre 2008, après avoir purgé ma peine, j’ai été détenu par le service de l’immigration dans une prison, et non pas dans un centre de détention, pendant trois mois de plus. On m’a ensuite emmené au centre de rétention du service de l’immigration de Dungavel. C’est à ce moment-là que ma mère est décédée. J’étais perdu, et je ressentais une telle pression que j’ai accepté de signer une déclaration de retour au pays, afin de me rendre sur la tombe de ma mère. On m’a alors envoyé dans un autre centre de détention, à Oakington, qui était encore pire que le premier; et comme il ne disposait pas des installations nécessaires pour prendre en charge mes problèmes de santé mentale, on m’a envoyé à Harmondsworth.

Même après que mes troubles de santé mentale eurent été diagnostiqués en 2010, qu’un rapport médical indépendant ait confirmé que j’avais été torturé et que ma demande d’asile fut validée, je me trouvais toujours en détention - une détention qui durait alors depuis presque trois ans. J’ai fini par abandonner tout espoir, au point même de tenter de me suicider. Je pensais que c’était le moyen le plus facile de me débarrasser de ma misère et de mon chagrin.

La détention signifie entrée interdite. Cette porte fermée est comme une situation normale à laquelle nous devons nous plier. En détention, nous sommes comme un troupeau de moutons pourchassés par une meute de loups. Un jour, un fonctionnaire de l’immigration m’a dit: «Soit tu rentres dans ton pays, soit tu meurs là-dedans».

J’ai enfin été libéré par les tribunaux en 2011 car le Home Office, le ministère de l’Intérieur britannique, n’avait aucune raison de me détenir plus longtemps. J’ai ensuite obtenu un permis de séjour de trois ans au Royaume-Uni. Le Home Office a décidé de ne pas se rendre à mon audience concernant l’illégalité de ma mise en détention, et a accepté de me verser des indemnités.

Chaque pays a le droit de contrôler ses frontières. Mais les règles des droits de l’homme stipulent qu’une personne peut uniquement être détenue lorsqu’un motif légitime le justifie et non pour des raisons de commodité administrative. Il existe une obligation morale d’accorder aux détenus le droit à un procès gratuit et à être représentés par un avocat, afin de considérer pleinement si la détention est en effet nécessaire.

 

William c/o Freed Voices, Detention Action www.detentionaction.org.uk. Pour  de plus amples informations, veuillez contacter jerome@detentionaction.org.uk

 

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