Étendre le rôle assuré par les ONG dans le cadre de la réinstallation

Alors que les besoins de réinstallation augmentent et que de plus en plus de réfugiés vivent hors des camps, les ONG se trouvent dans une position unique pour identifier les réfugiés vulnérables et assurer un rôle plus important dans leur réinstallation.

Les camps, pour le meilleur comme pour le pire, ont été la colonne vertébrale du système de réinstallation des réfugiés au niveau mondial, et la plupart des cas recommandés proviennent de populations basées dans des camps et présentés aux pays de réinstallation (les pays qui proposent de réinstaller des réfugiés) presque exclusivement par l’UNHCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés. Parce que d’importantes populations de réfugiés vivaient dans les camps et s’enregistraient pour obtenir des services, le HCR et ses partenaires n’avaient pas de difficulté à identifier et recommander des cas en vue d’une réinstallation. Les opportunités systématiques et organisées d’enregistrement, de détermination du statut de réfugié (DSR), d’identification, de recommandation ainsi que les procédures de soumission que permettaient les camps convenaient parfaitement aux pays de réinstallation.

Alors que des réfugiés de plus en plus nombreux commençaient à s’installer en dehors des camps, la transposition des mécanismes traditionnels d’identification et de recommandation sur lesquels comptait le programme de réinstallation des camps aux sites urbains n’a pas été aisée et le HCR s’est vu contraint d’identifier les réfugiés nécessitant une réinstallation en s’appuyant principalement sur les données d’enregistrement et de DSR. Dans les pays de premier accueil dans lesquels les données d’enregistrement et de DSR étaient peu fiables, et dans lesquels le HCR n’était pas en mesure de joindre efficacement les communautés de réfugiés les plus vulnérables, l’identification est alors devenue plus difficile.

Dès le début des années 2000, en réponse à cette évolution de l’environnement propre à la situation des réfugiés, le Canada et les États-Unis ont approuvé deux organisations non gouvernementales (ONG) travaillant dans la région Afrique – RefugePoint (connue alors sous le nom de Mapendo International) et HIAS – chargées de leur soumettre directement les cas de réfugiés vivant en dehors des camps, créant ainsi une structure parallèle au processus de réinstallation du HCR. En quelques années, ces « recommandations directes » de cas, même si relativement peu nombreuses comparées aux soumissions effectuées par le HCR, ont commencé à représenter une proportion significative du nombre total de soumissions effectuées depuis Nairobi et Kampala, les deux centres urbains d’où opèrent ces deux organisations. Ce programme relativement modeste de recommandation directe de cas continue de fonctionner en Afrique.

Malgré une augmentation de la demande de cas par les pays de réinstallation, les programmes de recommandations directes opérés par des ONG n’ont pas suivi proportionnellement, tant du point de vue des sites à partir desquels elles opèrent que du nombre d’ONG recrutées pour cette tâche. Afin de couvrir les besoins, les bailleurs, les pays de réinstallation et le HCR devraient soutenir et mettre en œuvre des programmes plus étendus de recommandations effectuées par les ONG en multipliant le nombre des ONG spécialisées et habilitées à recommander des cas, et en augmentant le nombre global des soumissions de cas appropriés de personnes vulnérables.

La valeur des recommandations effectuées directement par les ONG

Outre le fait de permettre une augmentation du nombre global de cas soumis, l’expansion des programmes de recommandations directes des ONG comporte bien d’autres avantages importants. Le premier est la création de voies parallèles dans le système de réinstallation. Cela dépasse la simple création d’un accès ; les voies parallèles permettent au programme de se poursuivre si une autre voie est perturbée ou est stoppée. Par exemple, si le HCR doit concentrer ses efforts de soumission sur un pays en particulier en vue de soutenir une mission d’arbitrage imminente (et de ce fait diminuer le nombre de soumissions vers d’autres pays), des ONG peuvent apporter leur assistance et remplir les lacunes de manière à ce qu’aucun pays de réinstallation ne doivent faire face à une baisse du niveau de soumission. De plus, si le financement relatif aux soumissions du HCR est interrompu, les ONG qui disposent d’un financement privé prévu pour des activités de réinstallation se trouvent dans une excellente position pour continuer à recommander des cas vers ces pays.

Deuxièmement, des recommandations effectuées directement par les ONG peuvent atténuer en partie la pression imposée au HCR pour soumettre des dossiers. Au Moyen Orient, par exemple, où les cas de réinstallation sont principalement urbains, le HCR éprouve des difficultés à fournir suffisamment de dossiers de réinstallation. Et ce, en partie parce que les taux d’approbation des cas identifiés – qui sont nombreux à venir de Syrie et d’Irak – sont à peine de 50 à 60 %, et en partie également à cause de taux d’abandon supérieurs à la moyenne. Les ONG qui sont souvent situées dans les quartiers où vivent les réfugiés et qui disposent de relations bien établies avec les communautés de réfugiés vulnérables, se trouvent dans une position privilégiée pour identifier des réfugiés qui correspondent au profile de certains pays de réinstallation spécifiques. Le HCR n’a pas toujours le temps et la capacité en termes de personnel pour trier les cas en fonction de l’endroit où ils ont les meilleures chances d’être acceptés. L’approche plus nuancée des ONG est un atout pour le programme et explique en partie pourquoi leurs taux d’approbation sont aussi élevés.

Troisièmement, les recommandations directes augmentent les possibilités d’accès des individus particulièrement vulnérables. La plupart des réfugiés LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués) trouvent difficile ou impossible de vivre dans des camps parce que le HCR n’est pas en mesure de les protéger adéquatement du reste de la communauté réfugiée. De même, dans les camps des femmes en situation de risque et des personnes ayant subi des violences sexuelles et sexistes n’obtiennent pas de protection contre les autres réfugiés. De manière générale, ces individus se sentent moins exposés et obtiennent une meilleure protection en zones urbaines avec l’aide des services et programmes mis en place par les ONG. Certains réfugiés particulièrement vulnérables hésitent à se signaler au HCR en vue d’une réinstallation parce qu’ils n’ont pas réussi à établir de relation personnelle avec un employé. Les ONG, en contrepartie, travaillent étroitement avec ces réfugiés vulnérables en leur offrant des services pendant des périodes prolongées, et réussissent à créer un environnement qui les encourage à dévoiler certains aspects des persécutions qu’ils subissent du fait de leur identité de genre, de leur genre ou de leur orientation sexuelle. Dans bien des cas, ces ONG sont les seules agences que les groupes les plus marginalisés approchent immédiatement après leur arrivée dans un pays de premier asile.

Quatrièmement, les recommandations directement effectuées par les ONG sont rentables. Pour les ONG, atteindre et identifier des cas en vue d’une réinstallation se produit quotidiennement à travers les activités habituelles de leur programme, ce qui équivaut à un subventionnement du service de réinstallation.

Pratique optimale

Même si les pays de réinstallation et le HCR apprécient ce rôle d’identification et de recommandation de cas qu’assurent les ONG, le rôle qu’elles assument en soumettant directement des cas aux pays de réinstallation – plutôt qu’au HCR – est par contre controversé. Les détracteurs avancent qu’un tel modèle induit les réfugiés à considérer les ONG qui pratiquent des recommandations directes de dossiers comme de véritables passerelles vers la réinstallation. Afin d’atténuer cela, les ONG devraient se limiter à ne soumettre que des cas qui leur ont été transmis par des partenaires extérieurs. S’ils considèrent qu’un client a besoin d’être réinstallé (une recommandation dite « interne »), le cas devrait être orienté vers le HCR ou une autre agence habilitée à soumettre des cas directement. À titre de mesure additionnelle, RefugePoint et HIAS organisent régulièrement, et préalablement à toute soumission, des réunions de discussion des cas avec le HCR, afin de vérifier la composition des familles, atténuer les possibilités de fraude, éviter les chevauchements de traitements concernant la prestation de services et préserver l’intégrité du programme. Et dans tous les cas, toutes les soumissions effectuées par les ONG passent par les mêmes contrôles de sécurité de la part des pays de réinstallation que les cas soumis par le HCR.

Le modèle de partenariat actuel de recommandation directe a été salué par les pays de réinstallation qui le considère comme une bonne pratique ; chacune de ces ONG a été encouragée à augmenter le nombre de ses soumissions respectives à partir de Nairobi (RefugePoint et HIAS) et de Kampala (HIAS), et dans le même temps de la dernière agence habilitée à effectuer directement des recommandations, International Refugee Assistance Project (IRAP), a été approuvée pour soumettre des cas à partir de la région Moyen-Orient/Afrique du Nord. En dépit d’une augmentation de la demande de la part de nombreux pays depuis 2011, il est surprenant de constater que seule l’Australie a accepté de se joindre au Canada et aux États-Unis afin de recevoir des recommandations directes et, de plus, seule l’IRAP a été approuvée pour soumettre des cas directement aux États-Unis depuis lors. Selon la projection du HCR les besoins en réinstallation s’élèveraient à 1 190 519 réfugiés pour 2017 alors qu’au vu de ses ressources actuelles sa cible de soumissions effectives n’est que de 169 789[1]. Même si le détachement ou le déploiement d’ONG partenaires est une option afin d’augmenter le nombre de soumissions, les soumissions des ONG n’en restent pas moins une opportunité supplémentaire pour augmenter les chiffres de réinstallation.

Jusqu’à présent, en vue d’augmenter le nombre de soumissions, le HCR et les pays de réinstallation ont imaginé des solutions créatives comme par exemple de combiner la DSR et les entretiens de réinstallation, limiter la DSR aux individus recommandés en vue d’une réinstallation, diversifier les ONG partenaires du projet de déploiement, et abréger les formulaires de recommandation pour une réinstallation. Dans l’ensemble toutefois c’est grâce à l’instauration d’opérations intensives que la réponse face à l’augmentation de la demande de quotas a pu être satisfaite, des opérations qu’il n’est pas possible de poursuivre durablement.

Les pays de réinstallation qui ont eu recours à des opérations intensives admettent aisément que les coûts qui y sont associés ne peuvent pas être maintenus sur la durée. En outre, la rapidité du traitement des cas a entrainé des difficultés d’intégration et a eu pour effet de créer une anxiété accrue chez les réfugiés et les travailleurs sociaux chargés des dossiers, un des nombreux facteurs contributifs à des taux élevés d’abandon juste avant le départ. Les cas de personnes vulnérables les plus facilement accessibles ont été identifiés en vue d’une soumission, ce qui n’est pas la même chose que de prioriser des cas uniquement en fonction de leur vulnérabilité. De fait, les opérations intensives, même si elles ont produit de nombreuses réinstallations, ont détourné des ressources de dossiers accumulés depuis plus longtemps, ont exacerbé les tensions entre les populations de réfugiés, et ont créé un déséquilibre entre le traitement des cas de personnes vulnérables et l’atteinte des cibles.

Un nouveau modèle pour une nouvelle norme

Un système de recommandations effectuées directement par les ONG doit contribuer plus largement à aider le HCR à atteindre son objectif de croissance tout en priorisant simultanément la vulnérabilité. Dans l’optique d’étendre le système de recommandations directes des ONG, il est nécessaire d’adopter les mesures suivantes :

Approuver un plus grand nombre d’ONG habilitées à effectuer des recommandations directes : tout comme le HCR a des partenaires de mise en œuvre pour les services qu’il met à disposition des réfugiés, tout programme de réinstallation devrait également disposer d’au moins une ONG partenaire de mise en œuvre chargée de s’occuper des recommandations de réinstallation dans chaque site dans lequel des opérations de réinstallation sont en cours. Cette ONG doit être bien établie dans le pays d’accueil, et offrir d’autres programmes et services. Dans la mesure où le HCR s’est engagé à rechercher activement des alternatives aux camps pour les réfugiés et dans la mesure également où les pays de premier accueil choisissent de plus en plus de ne pas construire de camps, la nécessité d’identifier et de recommander les réfugiés vulnérables qui vivent hors des camps en vue d’une réinstallation est d’autant plus déterminante. Le rôle des ONG dans ce type de soumissions n’est pas remis en cause mais il est nécessaire qu’un plus grand nombre d’entre elles soient approuvées par les pays de réinstallation de manière à ce qu’elles puissent recommander des cas directement.

Former les ONG pour qu’elles puissent effectuer des recommandations directes : le HCR et les trois ONG actuellement chargées d’effectuer des recommandations directes de cas de réinstallation devraient concevoir un programme annuel de formation des ONG auquel les pays de réinstallation devraient contribuer. À l’heure actuelle, les ONG chargées d’effectuer des recommandations directes forment elles-mêmes leurs partenaires sur la manière de leur recommander des cas. Il n’existe néanmoins aucune formation d’introduction disponible aux ONG qui débutent dans ce domaine.

Augmenter le nombre de pays de réinstallation qui acceptent des recommandations effectuées directement par des ONG : Les États-Unis, le Canada et l’Australie devraient promouvoir ce modèle auprès d’autres pays de réinstallation et expliquer les avantages du système de recommandations directes des ONG. Et les pays qui acceptent des recommandations « sur dossier » (c’est-à-dire, sans procéder à un entretien avec le réfugié avant son arrivée dans le pays de réinstallation) devraient tous trouver un programme de ce type particulièrement avantageux si leur objectif est d’atteindre les individus les plus vulnérables.

Financer les recommandations directes : les coûts supportés par les ONG dans le cadre des programmes de recommandations directes n’ont pas été uniquement financiers. Parce que les ONG proposent ce service gratuitement aux pays de réinstallation, ceux-ci n’éprouvent qu’une obligation très limitée de se comporter véritablement comme des partenaires. Dans l’optique d’étendre le programme de manière responsable, les ONG doivent être financées pour les services qu’elles offrent, du moins partiellement ou selon une formule de compensation. La plupart des ONG, particulièrement celles installées au sein de communautés de réfugiés qui ont des liens étroits avec les populations vulnérables, éprouvent d’énormes difficultés à assurer un programme de recommandation directe sans recevoir des pays de réinstallation ou du HCR un financement similaire à celui réservé à d’autres programmes.

Recourir de manière stratégique à des ONG habilitées à effectuer des recommandations directes dans certains endroits spécifiques : en augmentant le nombre d’ONG habilitées à effectuer des recommandations directes ainsi que le nombre de pays de réinstallation disposés à accepter ces soumissions, il serait possible d’étendre stratégiquement les programmes de réinstallation dans des endroits où ils sont actuellement insuffisants au regard des besoins. Le programme de réinstallation en Afrique du Sud, par exemple, est au point mort depuis des années oscillant autour de 1400 recommandations par an depuis 2011. À l’heure actuelle, il n’y a pas d’ONG habilitée à effectuer des recommandations directes en Afrique du Sud. Un programme pourrait être initié sur un modèle très simple dans lequel une agence de réinstallation pourrait établir un partenariat avec des organisations de la société civile spécialisées qui travaillent, par exemple, avec des réfugiés appartenant à des minorités sexuelles ou des réfugiés handicapés dans le but d’identifier des cas appropriés à la réinstallation. Cibler spécifiquement certaines populations vulnérables dans des endroits où, pour une raison ou une autre, la réinstallation ne correspond pas aux besoins, constituerait une manière stratégique de recourir à des ONG habilitées à effectuer des recommandations directes.

Alors que les ONG jouent un rôle déterminant pour identifier et diriger des individus vulnérables vers le HCR afin qu’ils soient pris en considération en vue d’une réinstallation, le rôle de ces mêmes ONG dans le cadre d’une recommandation directe des cas vers les pays de réinstallation est resté très limité. Dans le contexte actuel où une majorité de réfugiés vivent en dehors des camps, les modes de fonctionnement de la plupart des secteurs d’activité se sont éloignés des modèles traditionnels pour trouver des adaptations novatrices, le secteur de la réinstallation doit faire de même.

 

Melonee Douglas melonee.douglas@hias.org
Directrice, Solutions durables, HIAS

Rachel Levitan rachel.levitan@hias.org
Vice-présidente associée, Programmes mondiaux, Stratégisation et planification, HIAS

Lucy W Kiama lucy.kiama@hias.org
Directrice nationale, HIAS Kenya

www.hias.org



[1] UNHCR Projected Global Resettlement Needs 2017 [HCR Projection des besoins mondiaux en matière de réinstallation pour 2017 – document uniquement disponible en anglais] www.unhcr.org/protection/resettlement/575836267/unhcr-projected-global-resettlement-needs-2017

 

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.