Des obstacles à l’autosuffisance en Allemagne

La majorité des réfugiés et demandeurs d’asile présents en Allemagne dépendent de l’assistance gouvernementale et sont confrontés à des obstacles importants les empêchant de devenir autosuffisants. Les mesures prises pour l’intégration doivent éliminer ces obstacles de manière à garantir des bénéfices mutuels à long terme pour les réfugiés et leurs nouvelles communautés.

Depuis le pic en 2015 de la soi-disant crise migratoire, l’Allemagne a accepté environ 830 000 demandes d’asile[1]. Compte tenu du vieillissement de sa population, de l’effondrement de son taux de natalité et de la difficulté à trouver des travailleurs qualifiés, la pleine utilisation des capacités des réfugiés sur le marché du travail est porteuse de potentiel, et peut s’accompagner d’avantages socio-économiques à très grande échelle.

Des études suggèrent qu’il faudra peut-être attendre 10 à 15 ans avant que les réfugiés n’aient une répercussion positive sur les budgets nationaux, mais ils ont également le potentiel d’aider à renforcer sur le long terme la viabilité fiscale, à condition qu’ils soient bien intégrés[2]. Malheureusement, les tendances actuelles semblent indiquer que l’intégration ne commence que  tout doucement en Allemagne, avec guère plus de 100 000 réfugiés employés à mi-temps ou à plein temps, alors que la grande majorité reste dépendante des prestations sociales allouées par le gouvernement. En 2016, le coût de ces prestations (sous forme de logements, soins de santé, alimentation, provisions journalières élémentaires, formations linguistiques et petites sommes d’argent à dépenser) était plus élevé que prévu, atteignant plus de 20 milliards d’euros. Si les tendances actuelles ne s’inversent pas, les coûts continueront de croître de façon exponentielle, et la pérennisation à long terme de la dépendance des communautés de réfugiés à l'aide sociale pourrait également conduire à des cycles durables de pauvreté et de mécontentement social[3].

L’autosuffisance et ses avantages

En acceptant le plus grand nombre de demandes d’asile parmi tous les pays de l’Union européenne (UE), l’Allemagne a décidé d’assumer pleinement une position de chef de file humanitaire au sein du bloc. Il est cependant important que l’Allemagne ne tombe pas dans le piège qui consiste à voir les réfugiés comme un collectif homogène de victimes qui n’a aucune capacité (ni désir) de s’aider lui-même. En réalité, les réfugiés ont divers antécédents en termes de formation, expériences professionnelles, compétences techniques, réseaux sociaux et réserves de créativité dans lesquels puiser pour se construire de nouvelles vies. Lorsque les mesures politiques encouragent les réfugiés à mettre à profit ces compétences diverses, ces derniers augmentent grandement leur potentiel à devenir autonomes et autosuffisants, devenant des instigateurs de leur propres réussites socioéconomiques[4].

La réalité est que les réfugiés resteront en grand nombre et sur le long terme. L’Allemagne doit donc mettre l’accent sur des politiques qui promeuvent l’autosuffisance durable des réfugiés. Malgré un certain nombre de tentatives allant dans ce sens, l’accès des réfugiés aux opportunités d’emploi et à une autosuffisance possible reste précaire, cet accès est empêché par des structures institutionnelles, des contraintes d’ordre pratique et par l’incertitude extrême qui caractérise toujours leur vie quotidienne.

Obstacles à l’emploi d’ordre pratique

En juillet 2016, la loi allemande sur l’intégration a amélioré – du moins en théorie – les critères d’accès au marché de l’emploi pour les demandeurs d’asile et également pour ceux qui ont vu leur demande acceptée. La loi a raccourci les périodes d’interdiction de travailler, limité l’ampleur des vérifications de priorité citoyenne pour les candidatures à l’emploi et a garanti un droit de séjour pour la durée des formations professionnelles. Malgré ces réformes, des difficultés légales et pratiques continuent de freiner l’obtention d’emplois et d’empêcher les réfugiés de trouver des moyens de subvenir à leurs besoins matériels de manière autonome. 

L’acceptation d'une demande d'asile peut prendre jusqu'à six mois au moins, et les restrictions et avantages liés à l'emploi varient selon le type de statut accordé. Pour ceux qui attendent encore que l’on prenne une décision, leur pays d'origine et la probabilité que leur demande soit acceptée sont les facteurs qui déterminent leur accès aux cours de langue, aux programmes d'emploi et aux offres d'emploi du gouvernement. Certaines localités, en raison de leur taux de chômage élevé ou de leurs concentrations d'emplois techniques spécifiques, peuvent encore exiger de vérifier s’il n’y a pas une priorité à accorder à un ressortissant allemand pour les postes auxquels les réfugiés postulent, ce qui signifie que l'employeur doit d'abord vérifier si un candidat allemand ou européen ayant les compétences requises est disponible. Les autorités locales qui effectuent ces contrôles disposent d’un degré d'autonomie important et elles ne sont que très peu tenues de justifier les décisions qu'elles prennent. Les conditions de résidence que les États et les municipalités imposent aux réfugiés leur interdisent de quitter des zones où il est difficile de trouver un emploi, à moins de pouvoir trouver un emploi qui satisfasse aux exigences légales en termes de salaire minimum avant de déménager.

Même les emplois les moins qualifiés nécessitent en général une certaine maitrise de l’allemand, et si l’on tient compte des temps d’attente variables pour accéder à des formations linguistiques organisées par le gouvernement et du temps nécessaire pour compléter de telles formations (entre 12 et 24 mois), les personnes accèdent rarement aux emplois immédiatement, même les plus élémentaires. De plus, les programmes officiels d’intégration linguistique du gouvernement ne fournissent pas les formations linguistiques spécialisées nécessaires aux emplois plus qualifiés. Avec peu de revenus disponibles, les réfugiés n’ont souvent pas la possibilité financière d’entreprendre des formations privées dans l’espoir de surmonter ces obstacles.

La rigidité structurelle du système d’éducation et de formation professionnelle en Allemagne complique encore davantage la situation des réfugiés qui sont titulaires de diplômes étrangers. Dans le cadre des procédures de préparation à l'emploi, les centres pour l'emploi et les guildes locales évaluent si les qualifications des réfugiés répondent ou non aux normes allemandes, à la fois pour des emplois techniques et non-techniques. Même dans les cas où les compétences des réfugiés sont indéniables, il est quasi impossible d'éviter ces longs processus bureaucratiques d'évaluation ou des tests de compétences pratiques simples pour entrer directement dans le monde du travail, et lorsque des alternatives existent, elles sont proposées à la discrétion des autorités locales et des entreprises. Compte tenu des difficultés liées à la reconnaissance des qualifications, l'entrée sur le marché du travail par le biais d'un apprentissage formel et de stages de formation gérés par les employeurs est souvent l'un des seuls moyens envisageables pour accéder à de nombreuses professions. Cependant, les centres pour l'emploi ne sont pas tenus de trouver des moyens pour permettre aux réfugiés de combler les lacunes perçues en matière de compétences afin qu'ils puissent exercer ou suivre une formation complémentaire pour exercer un emploi qu’ils ont exercé précédemment. Même si une personne réussit néanmoins à surmonter ces obstacles pour trouver et compléter un programme d'apprentissage ou de formation de ce type, cela ne lui garantit nullement un emploi par la suite, ni le droit de rester en Allemagne.

En raison des pénuries de logement et des difficultés à trouver des logements privés à louer, les réfugiés ont tendance à vivre dans des centres d'hébergement bien plus longtemps que les politiques ne le prévoient. Les conditions de vie dans ces endroits surpeuplés et constamment bruyants peuvent aboutir à des conflits entre résidents, et elles peuvent rendre les activités quotidiennes plus difficiles à gérer lorsqu'elles doivent cadrer avec des horaires de travail, l'accès aux installations sanitaires, l’étude, les repas et le sommeil s'en trouvant perturbés.. Dans les petites villes, les centres d’hébergement sont souvent mal reliés aux transports publics, ce qui crée des difficultés pour se rendre sur le lieu de travail dans les zones métropolitaines. En outre, il est décourageant de chercher du travail parce qu'une fois qu'ils déclarent un revenu, les réfugiés doivent prendre eux-mêmes en charge leurs frais d'hébergement dans les centres qui sont souvent inabordables.

Des ressources incertaines, et des besoins imprévisibles

Pendant que l’on examine leurs demandes d’asile, les réfugiés qui vivent dans les centres d’hébergement reçoivent une allocation nominale mensuelle (entre 81 et 145 euros, en fonction de l’âge). Les centres peuvent également fournir des prestations supplémentaires en nature, tels que des repas préparés, des produits de toilette et d’hygiène ou des vêtements. Au terme des 15 premiers mois, ou une fois leur demande d’asile acceptée, les réfugiés reçoivent une allocation mensuelle légèrement supérieure (entre 237 et 409 euros). Parce que les réfugiés ont épuisé la plus grande partie ou la totalité de leurs ressources matérielles pendant leur fuite, tant qu’ils ne perçoivent pas un revenu, ils n'ont guère d'autres ressources à leur disposition et trouvent difficile de dépasser l’état de simple subsistance.

Les systèmes de prestations sociales déjà complexes changent rapidement au niveau fédéral et local, ce qui entraîne des retards de mise en œuvre, des versements incohérents et des décaissements incorrects. Les déménagements fréquents, forcés (et souvent inopinés) vers de nouveaux centres d’hébergement signifient souvent que les réfugiés doivent trouver ou acheter de nouveaux articles ménagers ou meubles lorsqu'ils ne sont pas fournis, ou qu’ils doivent abandonner ceux qu'ils ont déjà accumulés, mais ne peuvent emporter avec eux du fait de règles différentes dans les établissements, ou de l'impossibilité de payer des services de déménagement.

Sans d'autres moyens fiables pour rester connectés, les réfugiés doivent utiliser une grande partie de leurs allocations pour acheter des téléphones et payer des forfaits (indispensables pour contacter la famille, les amis et les services). Ils doivent également payer d'autres services liés à leur demande d'asile, traducteurs et conseillers juridiques compris.

Un virage vers la réciprocité

L'Allemagne doit s'engager sur une vision plus globale de la place qu’elle veut bien accorder aux réfugiés dans sa société à l’avenir. Les réfugiés sont-ils simplement des hôtes temporaires dont les besoins fondamentaux ne doivent être satisfaits qu’en attendant qu'ils puissent être envoyés ailleurs ? Ou s'agit-il d'une nouvelle population de résidents permanents qui doivent s'intégrer –pour s'enraciner, construire une vie indépendante et contribuer en retour ?

En supposant que l'objectif soit ce dernier, les politiques doivent envisager des moyens plus productifs de tirer parti du vaste potentiel socio-économique que représentent les réfugiés. Au minimum, les lois et les processus concernant les demandes d'asile, les transferts de logement, les renouvellements du statut de résidence, les cas jugés en appel et les expulsions doivent être davantage rationalisés, raccourcis et simplifiés. Cela réduirait l'incertitude prolongée qui sape la motivation des réfugiés et leur désir de surmonter les obstacles à l'emploi, à la sécurité financière et à une vie autonome. Les politiques devraient en outre continuer d’élargir les droits légaux à l’emploi, tout en s'efforçant d'éliminer les obstacles existants – en permettant notamment une plus grande flexibilité dans les examens d'équivalence professionnelle et les tests de compétences, une insertion plus facile dans les emplois moins qualifiés ou plus demandés, et plus d’opportunités pour l’acquisition de compétences techniques et linguistiques sur le lieu de travail. Plus important encore, les politiques doivent partir de la prémisse que les réfugiés ont la capacité et le désir de devenir autonomes ; le rôle des structures institutionnelles devrait être de les habiliter afin qu’ils y parviennent.

 

Elizabeth Ekren elizabeth.ekren@uni-bonn.de
Doctorante, Centre d’études sur le développement, Université rhénane Frédéric-Guillaume de Bonn
www.zef.de/staff/Elizabeth_Ekren

Cet article s’appuie sur une étude doctorale en cours et sur des études de terrain menées auprès de quatre centres d’hébergement pour réfugiés à Cologne.


[1] En plus de ceux qui ont été reconnus comme réfugiés, ce chiffre inclut ceux à qui d’autres statuts reconnus de résidence ont été accordés, tels que « l’interdiction de déporter » ou « la protection subsidiaire » qui ne sont pas l’équivalent juridique du statut reconnu de réfugié.

[2] Commission européenne (2016) ‘An Economic Take on the Refugee Crisis: A Macroeconomic Assessment for the EU’ Institutional Paper 033 https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/file_import/ip033_en_2.pdf

[3] Les données sources pour les chiffres cités dans ce paragraphe et dans le reste de l’article sont disponibles (en allemand) ; il suffit de contacter l’auteur.

[4] Voir par exemple HCR (2006) Refugee Livelihoods: A Review of the Evidence www.unhcr.org/4423fe5d2.pdf  

 

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