Intégrer les docteurs réfugiés aux systèmes de santé d’accueil

Les docteurs réfugiés se heurtent à de nombreux obstacles pour pouvoir pratiquer la médecine, en dépit des importantes contributions qu’ils peuvent apporter.

Malgré leurs vives motivations à pratiquer la médecine, des docteurs réfugiés[1] aux États-Unis et ailleurs se retrouvent souvent à exercer un emploi peu qualifié dans l’attente d’intégrer un programme de résidence[2]. Ils peuvent rencontrer des difficultés à communiquer, à fournir les documents requis et à faire vérifier leur formation. Cela représente une occasion manquée non seulement pour les docteurs réfugiés eux-mêmes, mais aussi pour le système de santé du pays d’accueil, en particulier dans les pays ou les régions souffrant de pénuries de docteurs et/ou ceux où la proportion d’immigrants ou de réfugiés est élevée.    

Les auteurs du présent article sont eux-mêmes d’anciens réfugiés ou demandeurs d’asile, des immigrants aux États-Unis et/ou des descendants d’immigrants ou de réfugiés. En tant que professionnels de la médecine, cette problématique nous est chère et nous souhaiterions discuter de la manière dont nous pouvons aider les docteurs réfugiés et leur donner les moyens de s’intégrer au marché du travail, de reprendre leur vie et leur identité professionnelles et d’aider à combler les pénuries.

Les leçons des autres pays

Pour intégrer des docteurs réfugiés dans le système de santé d’un pays d’accueil, plusieurs acteurs doivent intervenir, y compris les associations médicales, les services de santé régionaux et nationaux, des organisations privées et les universités. Le Royaume-Uni, par exemple, a reconnu qu’il fallait apporter des modifications particulières aux politiques nationales et locales pour surmonter les obstacles tels que la reconnaissance de l’équivalence des qualifications et des formations ou encore les réglementations en matière d’emploi, afin de permettre aux docteurs et aux dentistes réfugiés de pratiquer dans le pays[3]. Des initiatives politiques ont été déployées à l’échelle du pays, dont la création d’un Groupe d’orientation des professionnels de la santé réfugiés, qui supervisait le développement des programmes pour aider à reformer les docteurs réfugiés selon les normes du service national de santé publique, couvrir les frais d’examen et réinstaller les docteurs dans les zones sous-desservies. De nombreux programmes locaux ont aidé les docteurs réfugiés à s’enregistrer auprès du Conseil général de médecine et à passer l’examen du Conseil d’évaluation linguistique professionnelle. Même s’il est devenu plus difficile pour les docteurs réfugiés de s’intégrer rapidement à la population active et de s’installer au Royaume-Uni de manière permanente en raison des lois sur l’immigration adoptées par la suite, la plupart des docteurs réfugiés ayant participé à ces projets sont restés au Royaume-Uni pour exercer leur profession.

En 2015, le gouvernement suédois a procédé à l’intégration accélérée des docteurs réfugiés dans son système de santé en vérifiant rapidement leurs références et en leur fournissant une formation individuelle, un mentorat et des cours de langue suédoise. En Turquie, l’université de Gaziantep et l’Organisation mondiale de la santé ont uni leurs forces pour former et employer 500 docteurs réfugiés syriens pour aider à dispenser des soins à la population de réfugiés syriens, les cliniques locales donnant à ces docteurs l’occasion de se familiariser avec le système de santé turc[4].

La situation actuelle aux États-Unis  

Pour pratiquer la médecine aux États-Unis, les docteurs réfugiés doivent suivre un processus particulièrement intensif en termes de durée, d’efforts et d’investissement financier, ponctué de certifications, d’examens, de périodes de résidence et de l’obtention d’un permis d’exercer. Tandis que les défenseurs de ce système mettent en lumière la nécessité de garantir la qualité de soins la plus élevée et la plus uniforme pour les patients, d’autres experts avancent que les docteurs formés à l’étranger ont des compétences cliniques au chevet des patients plus avancées que les docteurs formés dans le pays puisqu’ils ont généralement pratiqué la médecine dans des contextes faisant moins intervenir la technologie. Par exemple, une étude récemment conduite dans des hôpitaux américains a démontré que les patients plus âgés traités par des diplômés internationaux en médecine (DIM) étaient moins susceptibles de décéder sous les 30 jours de traitement que ceux qui étaient traités par des diplômés formés aux États-Unis[5]

Un certain nombre de programmes privés, publics et à but non lucratif ont été mis en place en appui aux docteurs réfugiés aux États-Unis :

La Welcome Back Initiative (WBI), fondée en 2001, faisait appel aux compétences non exploitées des DIM établis en Californie pour dispenser des soins adaptés aux populations locales[6] d’un point de vue linguistique et culturel. Depuis, cette initiative s’est élargie en un réseau national de 11 centres présents dans neuf États, desservant près de 15 000 personnes originaires de 167 pays différents. Ces centres fournissent des services gratuits aux docteurs réfugiés, y compris une orientation, des conseils professionnels, un soutien pour obtenir des références et un permis d’exercer, une assistance pour comprendre les différents programmes d’enseignement et saisir les opportunités d’emploi ou de bénévolat, et des possibilités de carrière différentes. Elle a remporté un succès modeste : 23 % des participants ont trouvé un emploi dans le secteur de la santé pour la première fois, 21 % ont réussi l’examen d’accréditation et 87 docteurs ont été acceptés dans des programmes de formation[7].

Le programme d’assistance aux diplômés internationaux de médecine du Département de santé du Minnesota vise à améliorer l’accès aux soins de santé primaires dans les zones rurales et sous-desservies en réalisant une évaluation de la préparation clinique des DIM et en finançant des organisations à but non lucratif pour qu’elles fournissent des conseils professionnels, une expérience clinique supplémentaire et des postes de résidence dans des services de soins de santé primaires aux DIM disposés à exercer dans ces zones.

En 2014, le Missouri a été le premier État à voter une loi créant une nouvelle catégorie de docteurs assistants agréés qui, pendant les 30 premiers jours, peuvent fournir des soins de santé primaires sous la supervision directe d’un docteur dans une zone souffrant de pénurie de professionnels de la santé, avant d’être placés sous la supervision indirecte d’un docteur en exercice dans un rayon de 80 kilomètres. En dépit des critiques dont cette loi a fait l’objet[8], 127 docteurs avaient fait une demande de permis en mai 2017 ; 23 ont reçu ce permis, 55 ont été jugés inéligibles, tandis que le dossier des autres est toujours en cours d’étude.

Plusieurs institutions universitaires des États-Unis, à l’instar de l’Université de Californie à San Diego et de l’Université de Californie à Los Angeles, ont mis en place des programmes visant à placer des médecins généralistes multilingues, aux compétences culturelles adaptées, dans des zones accueillant d’importantes communautés de réfugiés et d’immigrés.

Recommandations

En dépit de la créativité et des succès précoces de certains de ces programmes déployés aux États-Unis, ils ont presque tous en commun la même caractéristique, à savoir leur petite échelle. Par rapport à d’autres pays accueillant des réfugiés, les États-Unis sont en retard pour réaliser des efforts concertés en vue de reconnaître la formation des docteurs réfugiés et de trouver des solutions simplifiées pour exploiter leurs connaissances, leur talent, leurs compétences linguistiques et leurs compétences vitales au bénéfice de notre communauté. Nous proposons : 

  • Une équipe spéciale composée de parties prenantes issues d’organisations gouvernementales, privées et publiques, de conseils médicaux et d’associations professionnelles au niveau fédéral et de l’État, ainsi que de docteurs réfugiés eux-mêmes, chargée de collecter des statistiques de base sur le nombre de docteurs réfugiés, leurs caractéristiques démographiques et leurs spécialisations actuelles, et d’étudier les approches des autres pays, de réviser les exigences en matière de certification et d’étudier les possibilités d’intégration des docteurs réfugiés dans divers rôles cliniques.
  • Des incitations à participer aux programmes de résidence dans une zone géographique ou une spécialisation particulière, en fonction des besoins de la population locale ; cette mesure pourrait également inclure la restructuration de l’observation en milieu de travail, des stages et des bourses pour les adapter spécifiquement aux docteurs réfugiés.
  • Assouplir les exigences de reformation en tant que solution temporaire ou permanente pour certains, avec d’autres mesures en parallèle pour renforcer les opportunités d’emploi permettant de recruter initialement les docteurs dans d’autres rôles (afin de les familiariser avec le système américain).
  • Un système plus centralisé de bourses et de subventions ou d’allocations basées sur les besoins pour aider à supporter l’important fardeau financier des examens de re-certification et d’accréditation.
  • Des programmes robustes et accessibles pour fournir une supervision et des conseils tout au long du complexe processus de certification et d’accréditation aux États-Unis, de même que des instructions sur le système de santé des États-Unis.
  • Des boîtes à outils gratuites et facilement accessibles comprenant des ressources nationales et spécifiques aux États, des modules de communication, des stratégies pour réussir les examens et des informations sur le processus d’inscription.

Enfin, et surtout, les docteurs réfugiés devraient eux-mêmes contribuer à impulser de nouvelles initiatives. Les activités de développement professionnel pourraient aider à identifier les leaders qui pourraient diriger les programmes de soutien aux DIM, rechercher des partenariats en matière de planification stratégique et organiser les associations existantes de défense des DIM – et peut-être forger des partenariats avec ces dernières.

 

Shahla Namak snamak@wakehealth.edu
Département de la Médecine familiale et communautaire de l’École de Médecine de Wake Forest

Fatin Sahhar fsahhar@med.wayne.edu
Département des Sciences de la médecine familiale et de la Santé publique, École de Médecine de l’Université de Wayne State

Sarah Kureshi sk795@georgetown.edu
Département de Médecine familiale de l’École de Médecine de l’Université de Georgetown

Fadya El Rayess fadya_el_rayess@brown.edu
Département de Médecine familiale de l’École de Médecine Alpert de l’Université Brown

Ranit Mishori mishorir@georgetown.edu 
Département de Médecine familiale de l’École de Médecine de l’Université de Georgetown


[1] Dans le présent article, le terme « docteurs réfugiés » englobe les docteurs réfugiés et demandeurs d’asile.

[2] Une période formelle de formation supervisée pour les diplômés d’école de médecine, d’une durée de trois à cinq ans généralement, au cours de laquelle docteur se spécialise dans un domaine médical.

[3] Steward E (2007) ‘Addressing the Challenges Facing Refugee Doctors in the UK’, Local Economy Vol 22 (4) http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1080/02690940701736868

[4] Özdemir V, Kickbusch I et Coşkun Y (2017) ‘Rethinking the right to work for refugee Syrian healthcare professionals: a call for innovation in global governance’, British Medical Journal 357 www.bmj.com/content/bmj/357/bmj.j2710.full.pdf

[5] Tsugawa Y J, Anupam B J, Orav E J et Ashish K J (2017) ‘Quality of care delivered by general internists in US hospitals who graduated from foreign versus US medical schools: observational study’, British Medical Journal 356 www.bmj.com/content/356/bmj.j273

[6] Fernández-Peña J R (2012) ‘Integrating Immigrant Health Professionals into the US Health Care Workforce: A Report from the Field’, Journal of Immigrant and Minority Health Vol 14 (3) https://doi.org/10.1007/s10903-011-9496-z

[7] Ces chiffres se rapportent aux 10 700 personnes ayant participé au programme en 2012.

[8] Par exemple, Freeman B D (2016) ‘The Implications of Missouri’s First-in-the-Nation Assistant Doctor Legislation’, Journal of Graduate Medical Education Vol 8 (1) www.jgme.org/doi/10.4300/JGME-D-15-00341.1

 

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