Vers une plus grande visibilité des réfugiés qualifiés pour favoriser leur recrutement

La mise en valeur des compétences des réfugiés permet de les relier à des opportunités d’emploi à l’échelle mondiale. Elle permet également un changement de paradigme, selon lequel les réfugiés ne sont plus des fardeaux pour leur pays d’accueil, mais sont, au contraire, reconnus comme des travailleurs qualifiés pour lesquels les pays devraient rivaliser.

Les réfugiés rencontrent de nombreux obstacles pour accéder à l’emploi. En plus du droit au travail qui leur est fréquemment refusé dans les pays d’accueil et du manque d’itinéraires migratoires économiques accessibles, légaux et sûrs, ils pâtissent, en outre, du manque de visibilité de leurs compétences et des difficultés à vérifier leurs qualifications. L’organisation Talent Beyond Boundaries (Talent au-delà des frontières, « TBB ») conduit un projet pilote en Jordanie et au Liban pour déterminer comment il pourrait être possible d’ouvrir des itinéraires de mobilité professionnelle assurant la protection des réfugiés et surmontant ces divers obstacles.

Pour prendre des décisions éclairées en matière de recrutement, les employeurs ont besoin d’informations détaillées sur le parcours professionnel et l’éventail de compétences des candidats. Par conséquent, la première étape pour créer des opportunités d’emploi internationales pour les réfugiés consiste à recenser et démontrer l’ampleur et la richesse des compétences que les réfugiés ont à offrir. TBB a mis au point une plate-forme électronique accessible nommée Talent Catalog (le Catalogue des talents), la première en son genre, sur laquelle les réfugiés établis dans un pays d’asile peuvent documenter leurs qualifications, leurs compétences et leur expérience pour les partager avec des employeurs internationaux cherchant à combler leurs pénuries de compétences. En vue d’encourager les réfugiés à s’inscrire et créer un profil sur le Catalogue des talents, TBB a organisé des séances d’information auprès des réfugiés au Liban et en Jordanie pour leur expliquer les itinéraires de mobilité professionnelle garantissant leur protection. Depuis juillet 2016, plus de 10 000 réfugiés présents au Liban et en Jordanie se sont inscrits et ont créé un profil sur le Catalogue des talents. Ensemble, ils représentent quelque 180 professions ; plus d’un tiers possède un diplôme de l’enseignement supérieur ; et plus d’un tiers parle une autre langue que l’arabe.[1]

Un autre élément de l’équation consiste à trouver des employeurs disposés à recruter des réfugiés qualifiés pour combler leurs déficits de compétences. TBB identifie les employeurs potentiels et leur présente un argumentaire économique et humanitaire en faveur du recrutement des réfugiés. À ce jour, cinq entreprises ont offert un emploi en Australie ou au Canada à 11 candidats vivant actuellement au Liban ou en Jordanie, tandis que 60 autres candidats se trouvent à une étape ou une autre du processus de recrutement avec 20 autres employeurs australiens et canadiens. Parallèlement, d’autres employeurs en Amérique du Sud, en Europe, aux Caraïbes et en Afrique du Nord ont déjà commencé à consulter le Catalogue des talents, ou se sont engagés à le faire dès qu’un de leurs postes deviendra vacant.

TBB travaille étroitement tant avec les réfugiés, qu’avec les employeurs afin de clarifier avec ces derniers les compétences et les qualifications particulières qu’ils recherchent, d’identifier les candidats inscrits au Catalogue des talents qualifiés pour les postes difficiles à pourvoir et de faciliter les processus de recrutement à distance. Dans le cadre de ces processus, TBB aide les réfugiés à démontrer leurs compétences et leur expertise, par exemple en les aidant à préparer ou mettre à jour leur CV, en leur donnant des conseils sur l’enregistrement de présentations vidéo destinées aux employeurs, en leur donnant accès à des formations aux entretiens d’embauche et en facilitant leur accès à des cours de langue en préparation de l’évaluation formelle des compétences linguistiques à laquelle ils devront se soumettre. Il arrive que les employeurs conduisent également leurs propres tests (dans les faits, un processus informel de reconnaissance des qualifications) pour vérifier que les candidats satisfont à leurs critères, quoique ces processus soient parfois insuffisants pour satisfaire les exigences en matière de visa pour certaines professions réglementées. Quant aux réfugiés, ils considèrent également que les opportunités offertes par TBB sont bénéfiques sur le plus long terme. Comme nous l’a confié un candidat au Liban : « Même si le poste ne vous est pas offert, vous en tirerez de nombreux avantages. Votre confiance augmentera, vos compétences s’amélioreront et vous serez prêt à relever n’importe quel défi dans le monde du travail. »

La deuxième ébauche du Pacte mondial sur les réfugiés propose de collecter des données démographiques et socio-économiques (y compris sur les marchés du travail, l’investissement et les compétences) qui pourraient, entre autres avantages, contribuer à favoriser une croissance économique inclusive tant pour les communautés d’accueil que pour les réfugiés. Le Catalogue des talents est un exemple de collecte de données permettant de surcroît de démontrer la diversité et l’étendue des compétences des réfugiés, compétences qui pourraient répondre aux besoins des employeurs et contribuer à la croissance économique n’importe où dans le monde.

Engager les États

« Attirer et retenir le talent mondial est crucial pour l’avenir numérique du Canada. Les réfugiés devraient absolument faire partie de cette réserve de talents. » (Sandra Saric, vice-présidente du Talent et de l’Innovation pour le Conseil des technologies de l’information et des communications du Canada)

Les gouvernements ont un rôle crucial à jouer pour créer des opportunités économiques pour les réfugiés qualifiés et reconnaître leurs qualifications mais, à ce jour, les itinéraires de migration économique n’ont pas été conçus en considération des circonstances des réfugiés. Les personnes fuyant les zones de conflit n’ont pas forcément de moyens de prouver leurs qualifications ou n’ont pas forcément accès à des papiers d’identité légaux et ne sont pas toujours en mesure de fournir un descriptif de leur parcours professionnel, des références ou des justificatifs de leur salaire annuel sous forme classique. En reconnaissance de ces difficultés, le gouvernement du Canada finance actuellement un projet pilote au Kenya visant à identifier les obstacles entravant l’accès des réfugiés aux programmes pour migrants qualifiés. Au Canada comme en Australie, tout en travaillant avec un nombre croissant d’employeurs en vue de recruter des réfugiés qualifiés, TBB continue de consulter ces deux gouvernements, mais aussi de les cibler par ses activités de plaidoyer, afin de trouver des solutions pour que le système actuel d’octroi de visas aux travailleurs qualifiés puisse tenir compte des circonstances uniques des réfugiés qualifiés. TBB entretient également un dialogue de même nature avec trois autres États.

Talent Beyond Boundaries aide à faire progresser un cadre efficace, éventuellement réplicable par d’autres acteurs, qui permette aux réfugiés de reconstruire leur vie de manière autonome, en garantissant leur protection et leur dignité, tout en contribuant à l’économie mondiale.

 

Leah Nichles lnichles@talentbeyondboundaries.org
Directrice du plaidoyer international, Talent Beyond Boundaries

Sayre Nyce snyce@talentbeyondboundaries.org
Directrice exécutive, Talent Beyond Boundaries

www.talentbeyondboundaries.org


[1] Voir Talent Beyond Boundaries (Sept 2017) Mapping Refugee Skills and Employability: Data and Analysis from the Talent Catalog
http://talentbeyondboundaries.org/s/TBB-Data-and-Analysis-Report-September-2017.pdf

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.