Les impacts macro-économiques de l’aide aux réfugiés syriens

Une nouvelle étude sur les effets de l’assistance humanitaire en réponse à la crise syrienne met en lumière d’importants impacts positifs sur la croissance économique et la création d’emplois à l’échelle régionale.

Alors que 5,6 millions de réfugiés syriens enregistrés sont actuellement accueillis par des pays voisins et que plus de 6 millions sont déplacés à l’intérieur de la Syrie, la création d’opportunités économiques est devenue une composante centrale de l’approche axée sur la résilience adoptée en réponse à la crise. Reconnaissant l’impact destructeur du conflit sur les moyens d’existence et les ressources économiques, la communauté internationale s’est engagée à créer 1,1 million d’emplois pour les réfugiés et les communautés d’accueil d’ici la fin 2018. Cet objectif ambitieux, annoncé lors de la conférence de Londres en appui à la Syrie et à la région en février 2016, s’accompagne d’engagements de la part des gouvernements nationaux concernés qui jouxtent la Syrie (pour ouvrir leur marché du travail et améliorer leur environnement réglementaire), de la communauté internationale (pour stimuler la création d’emplois grâce à l’accès à des financements concessionnels et aux marchés externes) et du secteur privé (pour stimuler la croissance économique en apportant de nouveaux investissements).  

Au cœur de la réponse de la communauté internationale se trouve le  Plan régional pour les réfugiés et la résilience (3RP)[1], qui se base sur des plans élaborés sous la direction des autorités nationales concernées, à savoir l’Égypte, Irak, la Jordanie, le Liban et la Turquie. Le 3RP associe des éléments humanitaires et de développement, couvre huit secteurs différents, dont les moyens d’existence, et est étayé par un appel à financements d’un montant annuel total de 5,6 milliards US$ pour 2018. Une récente étude des impacts macro-économiques du 3RP (conduite en coopération avec le Mécanisme sous-régional d’intervention pour la crise syrienne du Programme des Nations Unies pour le développement)[2] démontre la contribution notable qu’il apporte à la croissance économique et à la création d’emplois dans la région – une contribution que la plupart des discours publics ont manqué de saluer alors même qu’elle offre aux décideurs un puissant instrument pour favoriser la cohésion sociale parmi les communautés d’accueil.

Les données qualitatives

Dans de nombreuses communautés d’accueil, l’impact économique des réfugiés syriens et de l’assistance humanitaire fait l’objet de grands débats. Il est évident que la crise syrienne a eu un impact globalement négatif sur l’économie de nombreux pays voisins en affectant le flux des échanges, le PIB et la croissance, et qu’elle pourrait menacer la stabilité régionale. Cependant, comme plus de 90 % des réfugiés vivent hors des camps, ils sont devenus d’importants clients pour les biens et services locaux, qu’ils paient avec leurs économies, les revenus de leur travail, les transferts de fonds et l’assistance humanitaire. Les entreprises locales bénéficient également des programmes d’assistance humanitaire dans la mesure où elles sont engagées en tant que fournisseurs des organisations non gouvernementales (ONG) et des organismes humanitaires. Qui plus est, l’arrivée du capital privé et de l’expertise des réfugiés syriens a accéléré la croissance des activités dans certains pays, tels que l’Égypte, la Jordanie et la Turquie[3]. Les entreprises syriennes sont devenues un important moteur de création d’emplois pour les réfugiés et sont un exemple de premier ordre illustrant l’approche de « l’élargissement du gâteau » adoptée par les communautés d’accueil.

Les données quantitatives

Pour étayer davantage ces données qualitatives, cette nouvelle étude utilise un cadre économique afin d’estimer les impacts du 3RP sur la relance budgétaire et l’emploi. Dans un premier temps, nous estimons son impact potentiel sur le PIB en nous basant sur les multiplicateurs budgétaires. Les investissements publics entraînent des impacts économiques supérieurs à leur valeur initiale, l’économie bénéficiant de leurs retombées. Par exemple, la construction d’un camp de réfugiés crée des revenus non seulement pour l’entreprise de construction, mais aussi pour les fournisseurs de matériaux et de main-d’œuvre. Ces revenus sont ensuite dépensés pour acquérir d’autres biens et services qui, à leur tour, se traduisent par des impacts économiques supplémentaires. Les multiplicateurs budgétaires saisissent ces retombées économiques. Dans une étude menée en 2015 au Liban, le PNUD et l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ont conclu que chaque dollar de leur plan d’aide aux réfugiés de 800 millions US$ qui était dépensé produisait 0,60 US$ de revenus supplémentaires, soit un multiplicateur de 1,6[4].

La deuxième étape de l’analyse consiste à quantifier le potentiel de création d’emplois. En utilisant les données historiques (y compris les données qui saisissent les récentes évolutions nationales) pour quantifier la relation entre l’évolution du chômage et la productivité au niveau macro-économique pour chaque pays, il est possible de traduire l’impact sur le PIB national en prévisions sur la création d’emplois[5].

Il est important de noter que l’estimation finale de l’étude est une prévision du potentiel global de création d’emplois dans chaque pays. Elle ne fait pas de distinction entre les réfugiés et les autochtones, et ne décrit pas non plus les types d’emplois créés. L’impact à un niveau micro-économique dépendra de la mise en œuvre du programme 3RP, du ciblage et des politiques économiques nationales. En particulier vis-à-vis des réfugiés, il est indispensable de tenir compte des obstacles sur le marché du travail. Les réfugiés subissent de bien plus importantes restrictions économiques, juridiques et sociales en matière d’emploi que les citoyens des pays d’accueil. Tant que ces obstacles existent, les réfugiés ne seront pas en mesure de bénéficier pleinement de l’expansion estimée des opportunités économiques. Il appartient donc à la communauté internationale et aux gouvernements d’accueil de cibler leurs programmes et leurs politiques de manière à promouvoir une croissance inclusive.

Les résultats de l’enquête indiquent l’impact potentiellement significatif du programme 3RP sur les pays d’accueil. Avec des dépenses totales d’environ 9 milliards US$ sur la période 2017-2018, ce plan d’intervention permet une relance budgétaire beaucoup plus importante. Ces effets à court terme revêtent la forme d’un impact prévu d’environ 17 à 25 milliards US$ sur le PIB, tandis qu’on estime son impact associé en matière d’emploi à hauteur de 75 000 à 110 000 de nouveaux postes créés[6].

L’effet relatif pour chaque pays dépend principalement de la taille de son économie et du montant des financements reçus, le Liban et la Jordanie étant les plus grands bénéficiaires. Comme le marché de ces pays est relativement petit, leur croissance économique devrait connaître une dynamique beaucoup plus forte en conséquence de l’entrée massive d’assistance humanitaire. Toutefois, même les grandes économies, telles que la Turquie et l’Égypte, devraient contribuer à l’objectif de Londres à hauteur de 12 000 à 23 000 emplois. En mettant en lumière les impacts économiques positifs de l’aide aux réfugiés, cette recherche préconise de financer pleinement le 3RP. Bien qu’il semble peu probable d’atteindre l’objectif de création d’emplois par une réponse axée uniquement sur la résilience, le 3RP représente une importante contribution pour multiplier les opportunités économiques pour les réfugiés et soutient la croissance à long terme en renforçant la résilience parmi les communautés d’accueil. 

 

Tobias Schillings tobiasschilllings@gmail.com
Candidat en maîtrise d’économie à l’Université d’Oxford, et consultant économique pour le Mécanisme sous-régional d’intervention du PNUD pour la crise syrienne
www.economics.ox.ac.uk/graduate-students/tobias-schillings


[1] 3RP (2018) Regional Refugee and Response Plan 2018-2019: Regional Strategic Overview www.3rpsyriacrisis.org/wp-content/uploads/2018/01/3RP-Regional-Strategic-Overview-2018-19.pdf

[2] Schillings T (2018) ‘Jobs Make the Difference – Estimating job creation potential of the 3RP Regional Refugee & Resilience Plan’, Issam Fares Institute for Public Policy and International Affairs, Document de travail no 44, Université américaine de Beyrouth http://website.aub.edu.lb/ifi/publications/Pages/workingpapers.aspx

[3] Voir par exemple Ucak S, Holt J and Raman K (2017) ‘Another Side to the Story: A Market Assessment of Syrian Businesses in Turkey’, Building Markets http://anothersidetothestory.org/

[4] PNUD/UNHCR (2015) Impact of humanitarian aid on the Lebanese economy, http://www.lb.undp.org/content/lebanon/en/home/library/poverty/impact-of-humanitarian-aid-undp-unhcr

[5] L’explication complète du cadre et des résultats est disponible en ligne sur http://website.aub.edu.lb/ifi/publications/Pages/workingpapers.aspx

[6] Cette prévision suppose un financement à 100 % du 3RP. Étant donné l’important écart de financement apparu ces dernières années, en particulier pour le secteur des moyens d’existence, les bailleurs devront apporter de nouveaux financements pour atteindre ces résultats.

 

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