Comment établir des relations constructives avec des États fragiles

Les donateurs allouent des ressources de plus en plus importantes aux États fragiles afin de réformer et/ou de reconstruire les structures de l’État – comme le système judiciaire, la police, l’armée ou la gestion des ministères – dans un effort pour soutenir la stabilité. C’est un aspect qui s’est avéré important pour tous les secteurs de la société, notamment pour les personnes déplacées.

Tout conflit s’accompagne invariablement de déplacement. La nature prolongée des conflits dans des pays comme l’Afghanistan, la République Démocratique du Congo et le Soudan, implique que les installations de PDI motivées par le conflit deviennent rapidement semi-permanentes et parallèlement que les projets d’aide passent des secours immédiats vers la fourniture de services de bases. L’ordre du jour en matière de ‘stabilisation’ et de reconstruction de l’État exige en grande partie des gouvernements hôtes qu’ils assument progressivement une responsabilité plus importante dans ces services et dans les activités qui y sont associées. Le succès en matière de reconstruction de l’État suite à un conflit dépend largement du rétablissement d’un mode de gouvernement et de structures de sécurité efficaces. Au cours des dix années qui ont mené à 2010, la part de l’assistance au développement à l’étranger (overseas development assistance -ODA) destinée aux pays fragiles, touchés par un conflit a doublé pour atteindre 50 milliards de dollars et représenter 39 % de la totalité de l’aide au développement disponible.

Dans le même temps, on s’est posé, avec intérêt, la question de savoir quelle serait la manière d’évaluer les expériences de prévention du conflit et de consolidation de la paix afin d’en tirer des enseignements, que l’intervention ait lieu à propos du conflit (avec des objectifs spécifiques de renforcement de la paix à travers une intervention directe) ou pendant le conflit (projets conventionnels spécifiques à des secteurs donnés souvent ‘modifiés’ de manière à s’adapter à la situation conflictuelle). Parmi ces techniques on trouve des évaluations thématiques qui cherchent à saisir des constatations communes dans des contextes géographiquement et historiquement divers. Évaluer l’aide dans les situations conflictuelles est devenu une sorte de compétence de spécialiste, reconnue par la récente publication du guide du CAD-OCDE sur le sujet.[1] Les évaluateurs sont conscients des défis représentés par un schéma non linéaire et extrêmement complexe de changement social à l’intérieur de pays touchés par un conflit dont il n’est pas possible de rendre compte grâce à une simple logique de cause à effet.

Une évaluation thématique récente est en train d’examiner la performance du PNUD dans 20 pays touchés par un conflit, en se penchant principalement sur la contribution du PNUD en faveur du renforcement de la gouvernance dans des situations fragiles.[2] Le PNUD est pratiquement la seule agence à avoir la capacité d’opérer ‘à grande échelle’ à travers une gamme multiple de domaines de programme, avant, pendant et après le déclenchement d’un conflit et plus spécialement pendant les transitions vers l’instauration de la paix et pendant la phase du développement post-conflictuel.

 

Les dix Principes de l’OCDE pour l’engagement international dans les États fragiles et les situations précaires :

1. Prendre le contexte comme point de départ.

2. Ne pas nuire.

3. Faire du renforcement de l’État l’objectif fondamental.

4. Accorder la priorité à la prévention.

5. Reconnaître qu’il existe des liens entre les objectifs politiques, sécuritaires et de développement.

6. Promouvoir la non-discrimination comme fondement de sociétés stables et sans exclus.

7. S’aligner sur les priorités locales d’une manière différente selon le contexte.

8. S’accorder sur des mécanismes concrets de coordination de l’action des acteurs internationaux.

9. Agir vite … mais rester engagé assez longtemps pour avoir des chances de réussite.

10. Éviter de créer des poches d’exclusion.

[Voir https://www.oecd.org/dac/governance-peace/conflictfragilityandresilience/principlesforgoodinternationalengagementinfragilestates.htm pour plus de détails.]

 

Toutefois, l’un des problèmes inhérents à ces principes est qu’ils alimentent une attente unique dans l’histoire qui voudrait que l’organisation soit en mesure de répondre et qu’elle réponde positivement à toutes les demandes nombreuses et variées qui lui sont adressées.

Les activités de développement n’ont pas à elles seules le pouvoir de mettre fin ou de prévenir un conflit violent et le déplacement qui l’accompagne, mais elles bénéficient de l’avantage que constitue une approche sectorielle transversale. Au Sierra Leone, suite à une guerre civile brutale qui a duré de 1991 à 2002, l’Accord de paix de Lomé a prévu l’établissement d’une Commission vérité et réconciliation. Pour ceux qui revenaient des installations de PDI, l’approche de réconciliation au niveau communautaire incluait des enquêtes sur les violations des droits de l’homme perpétrées pendant la guerre civile ainsi que l’instauration de recherches sur les processus de résolution de conflits et de réconciliation entre les différents groupes ethniques. De même, à Timor-Leste, aux lendemains de la crise de 2006 et des déplacements qui l’ont suivi, le PNUD a soutenu le retour des PDI à l’aide de trois projets impliquant l’instauration d’un dialogue entre les communautés et d’un processus de réconciliation organisé par le gouvernement. Des médiateurs communautaires ont été formés par environ 12 ONG partenaires.

Soutien au secteur public

Le PNUD travaille souvent dans des situations de conflit par l’intermédiaire d’unités de soutien à des projets qui sont généralement intégrées au secteur public et qui opèrent parallèlement à celui-ci. Bien que cette méthode puisse contribuer à renforcer le rythme et la qualité de la prestation de service, elle risque également d’affaiblir les institutions sur lesquelles les pays doivent compter sur le long terme. La communauté internationale dans son ensemble a fait l’objet de nombreuses critiques pour sa mauvaise coordination de ses experts internationaux intégrés assignés à des ministères. Au Soudan du Sud, par exemple, on a vu des centaines de visages étrangers qui ‘conseillaient’ de manière ostensible le gouvernement et qui géraient effectivement des départements entiers du gouvernement. Même dans les cas où des experts nationaux sont employés, les salaires et les mesures d’incitation utilisés pour attirer à ces postes des employés talentueux créent souvent des distorsions majeures au sein du marché du travail du secteur public. Bien souvent, il y a également des pressions pour fournir des services au niveau du terrain tout en sachant que l’expansion des capacités de l’État qui permettrait la fourniture de ces mêmes services peut prendre des années. Le dilemme est particulièrement aigu dans des endroits comme la République Démocratique du Congo, dans lesquels un gouvernement central faible n’a pas été capable de trouver une solution aux nombreuses causes sous-jacentes de la poursuite du conflit, et n’a pas non plus réussi à s’occuper de la situation des nombreux PDI engendré par ce même conflit.

Les réfugiés et les PDI de retour sont fréquemment confrontés à des problèmes de propriété des terres et des biens, particulièrement s’ils ont été absents pendant une longue période. Dans un tel contexte, il peut être important de réhabiliter l’infrastructure judiciaire de base et d’étendre l’accès à l’assistance légale. La difficulté dans les contextes post-conflictuels consiste bien souvent à établir une passerelle entre une résolution traditionnelle des différends et des systèmes formels de justice, tout en assurant la promotion des processus de justice transitionnelle. Pour effectuer un tel travail, il est essentiel de comprendre l’économie politique d’un pays en conflit afin de pouvoir aborder une réforme judiciaire d’une manière cohérente. Par exemple, une formation judiciaire qui permet aux juges de rendre de meilleurs jugements n’aura probablement pas beaucoup d’impact s’il n’y a pas d’indépendance judiciaire, si la corruption continue de dominer le système judiciaire, ou si la police a été démantelée ou qu’elle est partiale. Résoudre ces problèmes est souvent crucial pour permettre un retour durable des réfugiés et des PDI.

Dans le Puntland (Somalie), suite à l’émergence d’un système judiciaire formel, les structures coutumières – plus particulièrement les groupes ‘d’anciens’ – se sont sentis menacés et ont craint de voir diminuer leur autorité et leur influence. Cela a entraîné une augmentation alarmante des cas d’assassinats de fonctionnaires de justice en 2009 et 2010, et a suscité un débat sur comment réussir à mettre en place des programmes relatifs à l’état de droit tout en faisant preuve de davantage de sensibilité par rapport à la situation conflictuelle.. À l’opposé, les femmes dans la région autonome du Somaliland, en Somalie, se sont tournées de plus en plus fréquemment vers les structures formelles émergentes soutenues par l’UNDP dans la mesure où celles-ci fournissaient un forum permettant de faire entendre la voix des femmes, alors que les mécanismes traditionnels et coutumiers continuaient de les exclure.

Parmi les succès notoires concernant un soutien destiné à donner aux femmes l’opportunité de participer plus pleinement dans le paysage politique et judiciaire émergeant dans les pays en situation post-conflictuelle, il convient de citer l’expansion de l’accès des femmes à la justice dans certains pays, particulièrement en faveur des survivantes de violence sexuelle et sexiste. La violence sexiste augmente pratiquement toujours pendant les guerres civiles et de manière générale également parmi les migrants forcés. Malgré l’impact disproportionné du conflit sur les femmes, celles-ci sont souvent exclues des processus de prise de décision et de planification. Les dispositions permettant de faire entendre la voix des femmes au sein des structures macroéconomiques qui déterminent le mode de croissance de l’économie, les secteurs qui feront l’objet d’une priorité d’investissement, et les types d’emplois et de perspectives d’emploi qui seront créés et pour qui, sont encore très restreintes.

Le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) des anciens combattants est un processus qui fonctionne rarement sans heurts, et pas seulement parce qu’il s’agit d’une arène extrêmement politisée qui implique l’ensemble de la communauté ainsi que tous ceux qui sont démobilisés. Malgré un certain nombre d’approches novatrices, la tendance a été de se concentrer sur les résultats – nombre de soldats démobilisés auxquels des kits de réinsertion ont été remis – plutôt qu’une amélioration à plus long terme de leurs moyens d’existence. Le problème, une fois que les aspects techniques hautement complexes (et inter-agences) de cet exercice ont été achevés, est que les agences partenaires clôturent leurs projets, que le financement des bailleurs diminue, et que le travail de suivi se limite à un groupe exclusif relativement restreint d’agences partenaires (PNUD y compris) qui ne disposent que de budgets réduits. Dans certains pays les gains positifs se trouvent alors souvent compensés par la résurgence de conflits locaux qui entrainent un déplacement secondaire. C’est ce qui s’est produit dans le cas du programme de DDR pendant la période de l’Accord de paix global au Soudan, de début 2005 et jusqu’à la sécession du Soudan du Sud en juillet 2011. L’effet cumulatif peut être un retour aux armes et une reprise du déplacement une fois que l’attention de la communauté internationale s’est portée ailleurs.

Analyse du conflit et changement

Pour pouvoir anticiper les conflits et contribuer à les prévenir il est impératif d’effectuer des analyses détaillées et opérationnelles de la situation conflictuelle au niveau du pays concerné. Une analyse du conflit fixe les étapes d’une théorie du changement. Une fois le problème évalué et une fois les déclencheurs de violence connus, une théorie du changement propose la manière dont une intervention dans le cadre de ce contexte pourrait modifier le conflit. Mais une compréhension exhaustive du contexte doit précéder un tel exercice. Le paysage opérationnel dans la plupart des pays en conflit se caractérise par de nouvelles formes fluides de conflits internes, habituellement provoquées par une multitude de ‘déclencheurs’ et exacerbées par les déplacements qui en résultent.

La nature même des conflits est qu’ils sont spécifiques aux pays dans lesquels ils se déclenchent, et qu’il n’existe pas de formule pour les traiter de manière générale. L’efficacité d’un soutien programmé dépend toujours d’événements dans la sphère politique et sécuritaire, sur lesquels des agences extérieures n’ont aucun pouvoir d’influence. Dans les cas où les apparences de réconciliation politique sont restées des apparences, et où la violence s’est poursuivie (par exemple dans le sud de la Somalie), certaines interventions n’ont eu qu’un impact limité, et c’est fréquemment une reprise du conflit et une incapacité à résoudre les situations de déplacement qui a renversé les progrès.

Une conclusion apparaît évidente, dans les États fragiles il n’existe pas de substitut à une présence sur le terrain, forte et continue. Toutefois, même en faisant abstraction des difficultés de recruter des employés pour travailler dans des environnements hostiles, on observe une tendance alarmante de la part de certains donateurs qui consiste à augmenter les financements tout en réduisant le nombre d’employés permanents sur le terrain. Le PNUD a réussi dans une certaine mesure à résister cette tendance, mais il n’est pas possible de développer la confiance et de démontrer un engagement à long terme si l’on est pris en otage par des considérations de ‘rentabilité’, précisément dans des pays où la fragilité se définit par des relations transitoires.

 

Jon Bennett Jon.Bennett@dsl.pipex.com est le principal auteur et a dirigé l’équipe qui a publié récemment les deux rapports suivants:

 

[1] Evaluating Peacebuilding Activities in Settings of Conflict and Fragility: Improving Learning for

Results. Lignes directrices et série de références du DAC, publication de l’OCDE (2012). http://dx.doi.org/10.1787/9789264106802-en

[2] Bennett, J et al, ‘Evaluation of UNDP Support to Conflict-Affected Countries in the Context of United Nations Peace Operations’, (Evaluation Office du PNUD, septembre 2012).

 

 

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