États fragiles, identités collectives et migration forcée

La migration forcée et la violation des droits des minorités sont à la fois des causes et des conséquences de la fragilité et de l’échec des États. La communauté internationale a eu une tendance préoccupante à ignorer les questions relatives aux capacités de l’État lorsqu’il s’est agi de décréter des rapatriements. La gouvernance et l’état de droit devraient constituer des aspects essentiels dont il faudrait tenir compte dans toute tentative pour résoudre la migration forcée dans des États fragiles comme la République Démocratique du Congo.

La défaillance d’un États se doit à toute une gamme de raisons sociales, politiques et économiques complexes, et lorsqu’elle survient elle cause des problèmes graves à ceux qui vivent à l’intérieur des frontières de l’État concerné. Les citoyens pâtissent des conséquences de l’insécurité alimentaire, du manque d’eau, du déclin économique, de l’augmentation de la corruption, de la mauvaise qualité ou de l’absence de services publics et d’une recrudescence des atteintes à toute une série de droits humains. Par ailleurs, la défaillance de l’État peut entraîner les gouvernements à poursuivre délibérément des politiques d’exclusion dans une tentative pour obtenir un soutien public. Les minorités résidentes deviennent alors particulièrement vulnérables à des atteintes aux droits de l’homme, alors que les relations entre groupes ethniques se tendent souvent jusqu’à la rupture et que les institutions étatiques se fragmentent en fonction des divisions ethniques.

C’est particulièrement dans les États postcoloniaux que l’on observe une absence d’adéquation entre les frontières d’un État et les peuples qu’elles contiennent. Même dans ces types de cas, il existe de bonnes raisons pour ne pas souhaiter l’effondrement éventuel des États existants et leur reconstruction sous la forme d’États nouveaux. Premièrement, l’histoire nous apprend que la force qui pousse à créer des États mono-ethniques a été en soi une cause majeure de migrations forcées. Deuxièmement, le processus de dissolution et d’effondrement d’un État est horriblement perturbateur pour les individus tant au niveau national que régional. Il existe de plus, une puissante aversion internationale face à la faillite de l’État et à la sécession.

En termes généraux, nous devons présumer que les frontières qui séparent le monde aujourd’hui sont relativement stables même lorsque les unités nationales qu’elles constituent ne le sont pas. D’un point de vue moral, nous pouvons attendre de l’État qu’il soit basé sur la légitimité gouvernementale et l’existence d’institutions domestiques qui permettent aux peuples de s’autodéterminer. Dans la pratique cependant, la reconnaissance est accordée aux États par d’autres États pour des raisons politiques et diplomatiques, ou par peur des implications que l’effondrement d’un État et la migration non contenue qui s’en suivrait pourraient entraîner. À l’extrême, des États comme la Somalie, qui au cours des dernières années n’ont rempli aucun des critères juridiques internationaux pour justifier de la qualité d’État (qui comprennent de ‘gouverner’ et d’avoir ‘la capacité de s’impliquer dans des relations avec d’autres États[1]’), sont souvent encore reconnus comme tels, dans le but entre autres d’assurer le contrôle de la migration.

Cela tend à signifier que la réponse préférée de la communauté internationale, y compris celle du HCR, est le rapatriement des réfugiés qui fuient des États fragiles, avec l’intégration dans le premier pays d’asile comme alternative principale. Les États ont depuis longtemps un intérêt mutuel au rapatriement, considéré comme une composante vitale du maintien de l’ordre et de la sécurité. Cet intérêt s’est développé conjointement avec le développement des relations internationales; pouvoir déterminer avec certitude à quel État incombe la responsabilité de quels citoyens est maintenant un précepte fondamental des relations internationales. Il est donc nécessaire d’instaurer une série de solutions incarnant de véritables engagements à renforcer les États fragiles tout en envisageant, le cas échéant, des solutions régionales et internationales aux problèmes de la migration forcée.

Faiblesse de l’État et migration forcée en RDC

La situation dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) est une illustration des nombreux obstacles rencontrés lorsqu’il s’agit de traiter les questions étroitement liées de la migration forcée et de la fragilité de l’État. La RDC est unanimement reconnue comme un État défaillant. Dans l’Indicateur des États défaillants (Failed state index) de 2012, la RDC se trouvait au 2e rang. Elle se trouvait au 1e rang par rapport à l’indicateur sur les pressions démographiques, au 3e rang en ce qui concerne les réfugiés et les PDI, au 4e rang en ce qui concerne les ‘inégalités de développement’ et au 2e rang en matière de droits de l’homme[2]. Alors qu’il existe toute une série de moyens pour mesurer la fragilité de l’État, ou même sa défaillance, il est généralement accepté que l’absence d’état de droit et la faiblesse du gouvernement central entravent les capacités de l’État à assurer ses propres fonctions élémentaires et à résister aux insurrections et au soulèvement de groupes mercenaires qui menacent son monopole en matière d’emploi légitime de la force sur son territoire.

Les pressions démographiques, les inégalités de développement et les conflits pour contrôler les ressources, couplés à l’incapacité des forces armées nationales à mettre un terme aux violations perpétrées par les groupes rebelles dans l’est du pays, continuent de provoquer des déplacements. Il est estimé qu’il y aurait environ 476 000 réfugiés dans les pays avoisinants et approximativement 1,57 million de PDI à l’intérieur même de la RDC.

L’est de la RDC a également accueilli de nombreux réfugiés. L’arrivée de plusieurs vagues de Rwandophones c’est-à-dire de personnes parlant le Kinyarwanda (la langue officielle du Rwanda), avant, pendant et après le génocide rwandais de 1994 a exacerbé les tensions qui existaient entre les Congolais, les Rwandophones et les autres groupes ethniques dans les Provinces du Nord et du Sud Kivu où des afflux successifs de migrants forcés provenant du Rwanda ont mené à une situation d’instabilité grave. Lors du déclenchement de la guerre au Congo en 1996, de nombreux locuteurs kinyarwandais, tant congolais que rwandais, ont été obligés de traverser la frontière du Rwanda, où ils se trouvent encore en nombres importants. Des luttes armées qui ont manipulé les tensions ethniques, ainsi que des intérêts économiques pour gagner le contrôle sur des terres et des ressources naturelles précieuses ont fait de l’est du Congo l’une des régions les plus dangereuses du monde.[3]

Dans un cas comme celui-ci, l’une des solutions préférées de la communauté internationale est le rapatriement. Il existe toutefois un obstacle majeur au rapatriement de réfugiés congolais du Rwanda, et il s’agit de la crainte que le Rwanda n’exploite cette opportunité pour ‘rapatrier’ des locuteurs kinyarwandais non congolais dans une tentative d’ altérer la composition ethnique de la région et obtenir un accès sur des terres et des ressources précieuses. Les relations entre les différents groupes dans l’est de la RDC sont tellement mauvaises que de nombreux réfugiés craignent de retourner chez eux, et préfèrent rester dans des camps de réfugiés au Rwanda malgré des conditions déplorables.

Il est d’une importance vitale d’éviter des retours forcés, ou d’éviter le retour de réfugiés dans des zones où leur vie et leur liberté sont en danger. Les questions touchant aux meilleurs moyens de garantir un rapatriement volontaire et une citoyenneté effective sont compliquées par la fragilité extrême de l’État congolais. De nombreux réfugiés susceptibles de rentrer chez eux reconnaissent le statut international spécial attaché à la citoyenneté officielle, et cherchent un réconfort dans la valeur théorique d’un État congolais. Il s’agit-là d’une ironie cruelle, dans la mesure où ces personnes sont celles qui ont été les victimes les plus évidentes de la défaillance de ce même État. Autre ironie, en RDC comme dans de nombreux autres États fragiles et défaillants, l’accès effectif aux bienfaits de la citoyenneté est soit inaccessible ou se fonde sur les mêmes liens communautaires qui ont aggravé la faiblesse de l’État et entraîné la migration forcée.

 

Kelly Staples kls25@le.ac.uk est Chargée de cours en politiques internationales à l’université de Leicester



[1] Convention de Montevideo concernant les droits et devoirs des États, 1933 http://avalon.law.yale.edu/20th_century/intam03.asp

[3] Voir RMF 33 : ‘République Démocratique du Congo : Passé, Présent, Avenir ?’ http://www.fmreview.org/fr/RDCongo

 

 

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