Migration haïtienne post-catastrophe

Ceux qui ont quitté Haïti aux lendemains chaotiques du séisme de 2010 n’ont généralement pas rencontré à l’étranger la même attitude de solidarité et d’humanité que celle qui s’est traduite suite à la catastrophe par le déploiement sur place d’une assistance internationale conséquente.

Haïti a enduré plus de deux siècles de luttes politiques complexes, de coups d’État successifs, de gouvernements autoritaires et d’interventions internationales qui ont laissé le pays avec des institutions faibles, en grande partie incapables de réagir aux besoins de la population. La plupart des Haïtiens ont appris à ne compter que sur eux-mêmes et à développer leurs propres réseaux de soutien, non seulement dans les zones urbaines et rurales du pays mais aussi à travers les frontières internationales, un moyen de contourner les vulnérabilités inhérentes au fait de provenir d’un État fragile.

Lorsque le séisme a frappé en janvier 2010, l’infrastructure de la capitale Port-au-Prince s’est littéralement effondrée et la communauté internationale a répondu par un effort de secours conséquent et d’importantes donations destinées à reconstruire le pays. Toutefois, les milliers de personnes qui ont fui le pays à la recherche d’un refuge pour survivre n’ont généralement pas trouvé sur le moment la même solidarité et la même réponse humanitaire dans les pays d’asile potentiels. Pour ne prendre que deux exemples, la France et les Etats-Unis – deux pays donateurs majeurs qui sont profondément liés au passé et au présent d’Haïti – ont choisi de ne pas accepter ces migrants forcés à l’intérieur de leurs frontières au motif qu’ils ne remplissaient pas les conditions en vertu de la Convention sur les réfugiés de 1951. Ces deux pays ont tous deux pris des précautions pour éviter la possibilité d’une migration en masse de Haïtiens sur leurs territoires respectifs ; les États-Unis ont imposé un blocus naval autour de leurs côtes, et la France a fermé les frontières de la Guyane Française, l’un de ses départements d’outremer.

La fragilité comme déclencheur

C’est principalement la fragilité de l’État haïtien, et son incapacité à garantir les besoins élémentaires de subsistance de ses citoyens, qui a généré la migration de ces Haïtiens, une réalité que la catastrophe naturelle n’a fait qu’aggraver et qui dans un sens a servi de déclencheur – et non pas de force principale – pour motiver le déplacement.

Même si la définition juridique internationale du réfugié ne couvre pas la migration post-catastrophe haïtienne, la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés adoptée en 1984[1] prévoyait une extension de la protection des réfugiés en Amérique latine, et recommandait que soient inclus ceux qui « ont fui leur pays parce que leur vie, leur sécurité ou leur liberté ont été menacées par une violence généralisée, une agression étrangère, des conflits internes, une violation massive des droits de l’hommes ou d’autres circonstances ayant perturbé gravement l’ordre public.»

Malgré le caractère non contraignant de ce document, de nombreux pays latino-américains ont intégré cette définition élargie du réfugié à leur législation domestique. Le Brésil a été le premier pays dans la région à promulguer une loi spécifique sur les réfugiés en 1977[2], et à y inclure la notion de violation grave et généralisée des droits de l’homme prévue par la Déclaration de Carthagène comme l’une des raisons légitimes pour accorder le droit d’asile.

Dans la mesure où le Brésil était également l’une des destinations des Haïtiens déplacés suite au séisme, on était en droit de s’attendre à ce que sa législation élargie en la matière leur garantisse protection et accès au statut de réfugié. Toutefois, le Comité national pour les réfugiés (Comitê Nacional para Refugiados, CONARE) – l’organisme public désigné pour déterminer l’octroi du statut de réfugié au Brésil – est arrivé à la conclusion que le droit d’asile ne pouvait pas être accordé aux déplacés haïtiens. La raison de ce refus indiquait qu’ils [les Haïtiens] ne pouvaient pas clairement démontrer l’existence d’une menace mettant en péril leur vie, leur sécurité ou leur liberté.

Bien que CONARE ait statué que le droit d’asile ne pouvait pas être accordé aux Haïtiens, il a simultanément déterminé que ceux-ci nécessitaient une sorte de permis spécial pour rester au Brésil au motif de la situation précaire à laquelle ils seraient confrontés s’ils devaient retourner dans leur pays. En conséquence, certains Haïtiens se sont vus accorder des soi-disant ‘visas humanitaires’. Certains acteurs, y compris le HCR, ont applaudi cette mesure la trouvant exemplaire, alors que d’autres, principalement des organisations religieuses et des ONG de défense des droits de l’homme, l’ont critiquée pour être trop timide et ne pas offrir la même protection que le statut de réfugié.

En janvier 2012, du fait d’une augmentation du nombre d’arrivées de Haïtiens, les autorités brésiliennes ont pris l’initiative de régulariser la situation d’approximativement quatre mille Haïtiens qui se trouvaient déjà dans le pays, tout en introduisant parallèlement un système de quota pour les nouveaux migrants en provenance d’Haïti. En conséquence, des centaines de ces migrants se sont retrouvés coincés à la frontière.

Ce que le cas du Brésil sert à illustrer est que même lorsqu’il existe une définition nationale et régionale élargie de la condition de réfugié, obtenir une protection effective ou des solutions durables pour ceux qui fuient des États fragiles reste plus difficile et dépend davantage de la volonté politique que dans les cas des ‘réfugiés traditionnels’. Dans la mesure où ces migrants ne collent pas à la définition mondialement reconnue comme celle de réfugié, la revendication de leurs droits et leur protection restent plus facilement soumises au pouvoir souverain de l’État hôte qui décide à qui est accordé le droit d’asile et à qui il est refusé.

Un moyen concret pour progresser

Même si les Haïtiens qui ont migré suite à la catastrophe ont théoriquement des droits en vertu d’une interprétation élargie des droits de l’homme et du droit humanitaire, dans la pratique ils ne sont toutefois pas adéquatement couverts par les cadres internationaux qui traitent de la protection des réfugiés. Les cas de déplacement liés à la fragilité de l’État ne sont pas rares dans l’actualité. Au vu de l’importance de la mobilisation internationale sous la forme d’efforts de secours et de reconstruction qui a fait suite au séisme en Haïti et de la position moins généreuse envers les Haïtiens qui ont fui leur pays dévasté, nous devrions nous efforcer de trouver le moyen d’ajuster la manière dont la communauté internationale traite les déplacés en provenance des États fragiles.

L’un de ces moyens pourrait être d’insister sur le rôle que ces migrants pourraient jouer lorsqu’ils sont hors de leur pays pour améliorer la situation de leurs compatriotes restés chez eux. Dans ce cas précis ils le peuvent car en créant des liens transnationaux ils contribuent effectivement à améliorer la situation dans leur pays d’origine. Cet argument semble particulièrement adapté au cas des Haïtiens dans la mesure où l’économie d’Haïti depuis des dizaines d’années est très dépendante des envois d’argent de l’étranger, et que dans ces circonstances cela permettrait aux déplacés de renvoyer de l’argent à leurs familles restées au pays.

Une stratégie effective et peu coûteuse pour aider à reconstruire un État fragile dévasté par une catastrophe naturelle pourrait consister en l’adoption par les pays hôtes d’une politique de migration qui reconnaîtrait les migrants qui ont le plus besoin de protection et leur permettrait d’entrer dans le pays et de s’intégrer localement. De cette manière, les pays hôtes s’impliqueraient dans une approche d’assistance complémentaire.

À cette fin, les pays hôtes pourraient, soit adopter une interprétation élargie de leur législation existante en matière de réfugiés, soit permettre des exceptions, en créant des programmes spéciaux ou des visas à l’intention de ceux qui fuient des États fragiles à un moment particulièrement précaire. Il ne s’agit pas d’une solution normative mais bien d’une solution qui reposerait sur les pratiques de l’humanitarisme dans son sens large, un humanitarisme étendu qui ne se contenterait pas seulement d’envoyer de l’aide à l’étranger mais s’engagerait aussi à ouvrir la porte aux migrants forcés.

 

Diana Thomaz dianazacca@gmail.com est une étudiante diplômée de la Pontifícia Universidade Católica de Rio de Janeiro, Brésil



[1] Déclaration de Carthagène sur les réfugiés. Le Colloque sur la protection internationale des réfugiés en Amérique Centrale, au Mexique et au Panama a fait l’objet d’un accord en 1984, dans le contexte de la guerre froide, des régimes autoritaires et de la prolifération des crises politiques domestiques qui a créé des millions de réfugiés dans la région latino-américaine. Région Amériques www.unhcr.org/refworld/docid/3ae6b36ec.html .

[2] Loi 9.474/97 du 22 juillet.

 

 

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