La Convention de 1969 de l’OUA et le défi permanent qu’elle constitue pour l’Union Africaine

Quarante ans après l’entrée en vigueur de la Convention de l’OUA sur les réfugiés, l’état déplorable dans lequel se trouvent aujourd’hui de nombreux réfugiés en Afrique soulève la question de savoir si la Convention s’est montrée à la hauteur des attentes qu’elle avait suscitées.

Peu de temps après leur indépendance, de nombreux États d’Afrique se sont vus confrontés au défi que représentait la construction d’une nation ainsi que la nécessité de protéger, d’assister et de trouver des solutions durables pour les réfugiés déplacés par les guerres de libération et la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. L’Organisation de l’unité africaine (OUA) a été établie en 1963[1] et la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes de réfugiés en Afrique (la Convention de l’OUA sur les réfugiés) a été adoptée en 1969 pour entrer en vigueur en 1974. La principale préoccupation de l’époque était le nombre important d’Africains fuyant les conflits surgissant des luttes contre le colonialisme. Comme l’avait affirmé Mwalimu Julius Nyere, alors président de la Tanzanie : « Nous avons vu des réfugiés s’enfuir des pays coloniaux et notre idée était de bien traiter ces personnes[2] ». Personne ne s’attendait à ce qu’il y ait encore des réfugiés après l’indépendance – ni des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) qui ne font même pas l’objet d’une mention dans la Convention de l’OUA.

Une série de conflits internes se sont alors déclenchés dans une grande partie de l’Afrique ; Angola, Mozambique, Ouganda, Sierra Leone, Liberia et Rwanda n’en sont que quelques exemples. Alors que les dernières années ont vu un retour progressif de la paix et la stabilité dans ces parties du continent qui étaient alors perturbées (et de nombreux réfugiés et PDI ont eu en conséquence la possibilité de rentrer chez eux), de nouveaux conflits ont émergé en parallèle en RDC, au Soudan du Sud, en Égypte et en Tunisie, et plus récemment au Mali et en République centrafricaine, alors qu’en Somalie une guerre sans fin s’est transformée en un conflit politico-religieux atroce. Ainsi, alors que l’Afrique avait réussi à se libérer du joug colonial, le continent en est encore à tenter de se libérer de ses propres transgressions. À travers tous ces événements, de nombreuses populations se trouvent déplacées, un grand nombre d’entre elles dans des situations prolongées et statiques qui perdurent depuis des années et dans certains cas des décennies. Contrairement aux années menant à l’indépendance, les causes majeures du déplacement forcé en Afrique sont aujourd’hui en grande partie domestiques, même si parfois des facteurs extérieurs ont pu influencer la situation.

La Convention de l’OUA a été adoptée afin d’établir des normes relatives au traitement des réfugiés dans les pays d’accueil sans s’intéresser aux événements qui avaient lieu dans les pays d’origine[3]. Mais à l’heure actuelle, dans une grande partie de l’Afrique les réfugiés sont loin d’être accueillis avec le sentiment exubérant de solidarité qui avait entouré la promulgation de la Convention de l’OUA. Au contraire, les États africains suivent de plus en plus la voie d’autres régions en fermant leurs frontières et en menaçant de retour forcé ceux qui ont réussi à pénétrer sur leur territoire. Même dans les pays où les réfugiés sont facilement admis et où des politiques positives sont en vigueur à leur égard, leur traitement n’est pas toujours conforme à la Convention. Auparavant ce type de traitement était uniquement le fait des États, mais aujourd’hui c’est également le traitement qu’ils reçoivent de la population qui devient préoccupant dans la mesure où les communautés d’accueil sont devenues de plus en plus hostiles à l’égard des réfugiés. En Afrique du Sud par exemple, un pays où il y a encore peu, de nombreux citoyens avaient été eux-mêmes réfugiés pendant de longues années, le comportement xénophobe et l’intolérance envers les réfugiés sont devenus courants.

Depuis la montée du terrorisme international, la sécurité est devenue la principale préoccupation lorsqu’il s’agit d’envisager d’accorder l’asile à des réfugiés. Une telle évolution menace la survie même de l’institution de l’asile en Afrique. Dans la première partie des 40 années de la Convention, la préoccupation en matière de sécurité concernait principalement des activités militaires et politiques subversives que les réfugiés étaient suspectés d’avoir commises dans leur pays d’origine. La Convention contient des dispositions spécifiques en vue de traiter cette préoccupation, notamment une stipulation explicite interdisant toute activité subversive de ce type[4]. Les premières législations sur les réfugiés avaient également pour objet de les contrôler et de protéger l’État d’accueil. Une telle position, menace non seulement de revenir en force, mais elle s’accompagne aussi de certains parmi les cas les plus flagrants de refoulement. Même s’il est vrai que les État ont le devoir de se protéger eux-mêmes contre les préjudices, l’application de ce devoir ne devrait pas justifier d’enfreindre les engagements pris dans la Convention.

Performance à cette date

À l’examen des 40 premières années de son existence, ce n’est pas la Convention de l’OUA elle-même que l’on remet en cause mais la performance des États parties à mettre en pratique les attentes et la vision initiales de la Convention. Lorsque la Convention a été adoptée à Addis-Abeba en septembre 1969 et qu’elle est entrée en vigueur en juin 1974, son opportunité et son importance ont suscité de nombreuses acclamations. L’accueil extrêmement favorable réservé à la Convention était également partagé par la communauté internationale, et parmi celle-ci par les acteurs humanitaires, les défenseurs des droits de l’homme, les universitaires et le reste de la société civile. Il ne restait plus qu’à l’appliquer, et dans les cas où les États parties se montraient réticents, il ne restait plus à la communauté internationale que de les convaincre de le faire par un coup de pouce. Il est juste de remarquer toutefois, que si cette dernière s’est acquittée avec diligence de sa tâche en défendant une application pleine et entière de la Convention, les États parties quant à eux sont très largement revenus sur leur engagement.

En dépit de ce qui précède, quelques pays en Afrique s’efforcent encore de remplir leurs obligations. L’Éthiopie, par exemple, a adopté – et pratique – une politique de porte ouverte à l’égard des réfugiés. Entre 2009 et 2014, le pays a accueilli près de 450 000 réfugiés et en 2009 a introduit une politique « d’installation hors des camps », en vertu de laquelle les réfugiés ont le droit de vivre en dehors des camps à condition qu’ils soient capables de subvenir à leurs besoins. Cette politique, qui initialement ne concernait que les réfugiés Érythréens, est maintenant également applicable aux réfugiés d’autres nationalités qui en remplissent les conditions. L’Éthiopie a admis des réfugiés tout en faisant face à des conditions locales extrêmement difficiles, comme un impact particulièrement conséquent sur son environnement écologique fragile. L’Ouganda également pratique une politique de porte ouverte et a, par exemple, proposé aux réfugiés des terres à cultiver. Ces exemples font parties des bonnes pratiques qui devraient être encouragées.

La majorité, si ce n’est la totalité, des pays qui accueillent des réfugiés en Afrique, ont comme point de départ d’être pauvres. Leurs ressources suffisent à peine à couvrir ne serait-ce que les besoins essentiels de leurs propres populations. L’effet sur ces pays de l’accueil des réfugiés revient constamment comme un refrain, et ils sont nombreux à signaler les conséquences négatives de leur attitude généreuse. Cela représente également un défi par rapport au principe du partage des tâches à propos duquel la Convention déclare : « lorsqu’un État membre éprouve des difficultés à continuer d’accorder le droit d’asile aux réfugiés, cet État membre pourra lancer un appel aux autres États membres, tant directement que par l’intermédiaire de l’OUA [l’Union africaine] ; et les autres États membres, dans un esprit de solidarité africaine et de coopération internationale, prendront les mesures appropriées pour alléger le fardeau dudit État membre accordant le droit d’asile[5] ».

Ce principe louable est un domaine dans lequel il aurait été possible de faire davantage, mais dans la mesure où la plupart des États parties connaissent des circonstances socioéconomiques similaires et compte-tenu des réalités géographiques, chercher à répartir les réfugiés parmi les différents pays membres n’aurait pas été aisé. Le temps est peut-être venu d’explorer d’autres options, comme celles discutées en 1980 dans le cadre de la Conférence internationale relative à l’assistance des réfugiés en Afrique (ICARA)[6], lorsque des projets ont été lancés dans le but de susciter l’intérêt des donateurs à l’égard de ce qui était connu à l’époque comme les programmes de développement et d’assistance aux réfugiés.

Solutions

L’existence d’un mécanisme permettant de convertir le statut de réfugié de manière prévisible et efficace en une solution adéquate et durable est nécessaire non seulement par rapport aux pays qui accueillent actuellement des réfugiés dans le cadre d’un système de réinstallation mais aussi par rapport aux pays africains. Dans les premiers temps de la Convention, on constatait un effort pour y parvenir. À l’époque, en Afrique australe, les réfugiés qui pénétraient aux Swaziland depuis l’Afrique du Sud étaient immédiatement air liftés à destination de la Tanzanie, de la Zambie ou de l’Ouganda, sans oublier les offres louables de mise à disposition de sites de réinstallation du Burkina Faso et du Bénin. Mais il n’y a eu aucune initiative similaire récente de la part d’États africains proposant de réinstaller des réfugiés d’un pays vers un autre dans un esprit de partage du fardeau. Les États parties qui sont en position de le faire devraient être encouragés à envisager de recevoir des réfugiés africains en vue de réinstallation.

Afin de redonner de l’espoir et de proposer un futur tangible aux réfugiés, une disposition permettant l’emploi a été incluse dans la Convention. L’imposition constante de réserves considérables à cette disposition et à sa disposition jumelle – la liberté de mouvement – n’est en rien un signe de santé. C’est le souci obstiné de maintenir ces réserves à la Convention qui est en partie responsable des mouvements secondaires de réfugiés à la recherche de moyens d’existence. Dans de nombreux cas, les préoccupations ou les facteurs contextuels qui avaient conduit les États parties à exprimer ces réserves ont depuis lors disparu, mais les réserves ont eu tendance à rester en vigueur, sapant ainsi la solidité du régime de protection. Ce n’est pas ce à quoi les États africains devraient aspirer. Si rien n’est fait, des réfugiés encore plus nombreux continueront de se déplacer de manière illégale à la recherche d’une existence meilleure.                      

Reconnaissance du statut de réfugié

En vertu de la définition de la Convention de 1951 des Nations Unies sur les réfugiés, de nombreux réfugiés accueillis dans les premiers temps par l’Éthiopie auraient eu à prouver des craintes bien fondées de persécution à un niveau individuel afin d’être reconnu comme tels. L’Éthiopie toutefois leur a accordé la reconnaissance du statut de réfugié sur une base prima facie intrinsèque à la définition de la Convention de l’OUA qui s’applique dans les circonstances où il s’agit de répondre à un afflux massif de demandeurs d’asile. Même si le mécanisme de prima facie utilisé en vue de déterminer le statut de réfugié n’a pas été créé par la Convention de l’OUA, celle-ci a toutefois contribué incidemment à promouvoir une alternative plus rapide au processus plus lent et souvent plus pesant qui consiste à déterminer individuellement le statut de chaque demandeur d’asile.

En prévoyant un fondement juridique permettant de les considérer comme réfugiés, la Convention de l’OUA a même inclus par inadvertance les personnes qui fuient des catastrophes environnementales comme la sècheresse et la famine. Dans ce type de cas, la Convention a également fonctionné comme un filet de sécurité garantissant la protection des droits de l’homme de ceux à qui un tel filet aurait autrement été refusé, même si par ailleurs la Convention reste muette et ne décide pas si les victimes de catastrophes naturelles peuvent légitimement prétendre au statut de réfugiés. En outre, dans la mesure où la définition du réfugié dans la Convention de 1951 reste axée sur l’individu, la Convention de l’OUA, en accordant cette protection plus étendue s’est montrée à la hauteur des besoins généraux du continent même si l’époque de la décolonisation qui a influé sur sa conception et son adoption est maintenant révolue depuis bien longtemps. Ainsi, la véritable valeur ajoutée qu’a apporté la Convention de l’OUA au cours des quarante dernières années réside dans le fait d’axer (dans la définition) la détermination du statut sur les circonstances objectives qui forcent à la fuite plutôt que de relier la fuite du demandeur d’asile à son interprétation individuelle et subjective du danger causé par les événements qui l’entourent.

C’est cette même valeur ajoutée qui a été empruntée et appliquée au dilemme que constituait l’exode massif de réfugiés pendant la guerre dans les Balkans, et qui a servi d’inspiration pour d’autres projets législatifs similaires comme la Déclaration de Carthagène. À son tour, la Convention de l’OUA pourrait s’informer des discussions qui ont entouré la Déclaration de Carthagène relatives à la violence généralisée, l’agression interne et les violations massives des droits de l’homme.

Quarante ans après, la Convention de l’OUA reste le premier point de référence lorsqu’il s’agit de traiter les problèmes relatifs aux réfugiés dans l’ensemble de l’Afrique, et elle a considérablement influencé la législation d’une majorité des pays du continent. Au lieu de cette législation nationale centrée sur le contrôle des réfugiés que des États africains nouvellement indépendants cherchaient à promulguer, la priorité s’est déplacée vers la gestion des affaires relatives aux réfugiés.

Plus récemment, la Convention a eu une influence majeure sur l’élaboration de la Convention de 2009 de l’Union africaine sur la protection et l’assistance des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays en Afrique (Convention de Kampala de 2009), dans la mesure elle-même ne couvre absolument pas les besoins de protection et d’assistance des PDI. En mai 2006, une proposition a été déposée par des États membres de l’UA en vue d’amender la Convention de l’OUA pour y inclure des dispositions concernant la protection et l’assistance des PDI. Cette idée, lorsqu’émise a suscité une forte opposition, en particulier de la part du HCR qui était convaincu que la proposition risquait de menacer sérieusement l’intégrité de la Convention.

Même si l’on peut admettre que cette décision ait contribué à préserver l’intégrité de la Convention de l’OUA et qu’elle ait suscité l’élaboration de la Convention de Kampala, elle n’en reste pas moins une occasion manquée de réexaminer la Convention de l’OUA avec un œil critique et, le cas échéant, de la modifier pour qu’elle se trouve où elle devrait être 40 ans après son entrée en vigueur. Sans aucun doute, il devait être évident au moment de son adoption que la Convention n’était pas parfaite et qu’elle comportait des défauts. En dépit de cela, elle n’a subi aucun amendement et le document reste inchangé depuis 1969, même si les temps ont quant à eux considérablement changé et qu’il y a eu depuis de nombreux appels à révision.

Il est nécessaire de se pencher à nouveau sur la Convention de l’OUA – de réexaminer les dispositions qu’elle prévoit, et notamment la définition qu’elle donne d’un réfugié, à la lumière de l’Afrique d’aujourd’hui, pour veiller à ce qu’elle continue de refléter les réalités qui poussent aujourd’hui les personnes à fuir. Les temps ont certes pu changer, mais les besoins demeurent. À la question hypothétique de savoir ce qu’il adviendrait si l’on annulait la Convention de l’OUA, la réponse très probablement serait qu’il faudrait en promulguer une autre.

 

J O Moses Okello, jomosesokello54@yahoo.com a récemment été le Représentant du HCR en Éthiopie. www.unhcr.org

Cet article ne reflète en rien la position officielle du HCR, et l’auteur est entièrement, et seul responsable des opinions qui y sont exprimées.



[1] L’Organisation de l’Union africaine (OUA) s’est depuis transformée en Union Africaine (UA).

[2] « Africa: Innocence lost »: dans un entretien pour le magazine Refugees du HCR, 1999.

[3] À l’exception de l’article V qui définit les principes du rapatriement volontaire.

[4] Article 3.

[5] Article II (4).

[6] Qui a été organisée dans les années 1980 sous les auspices des Nations Unies, du HCR et de l’OUA.

 

 

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