Réflexions issues du terrain

Travailler avec des chefs spirituel est un élément essentiel de la prestation de services aux communautés locales, comme l’est également de comprendre leur vie religieuse et la manière dont leurs convictions influencent la prise de décision.

Les églises, les monastères, les temples et les mosquées sont situés au cœur des communautés locales, en font partie, et ont une connaissance bien meilleure de la situation sur le terrain que la plupart des autres acteurs. Au cours des violences qui ont suivi les élections au Kenya en 2008, le Conseil national des Églises est devenu un réseau important pour la distribution de l’assistance, mais aussi et de manière toute aussi importante, pour transmettre des informations aux bénéficiaires et analyser la situation au profit des organisations humanitaires.

Utiliser des connaissances locales peut s’avérer déterminant pour apporter de l’aide avec efficacité. Dans l’état Karen au sud-est de la Birmanie, la typologie du déplacement utilisée par la Convention baptiste Karen est utile pour comprendre une situation très complexe de déplacements qui se sont répétés au cours de plusieurs dizaines d’années. À travers l’ensemble du sud-ouest de la Birmanie, les moines et les monastères bouddhistes ont été des protecteurs puissants pour les populations locales, ils ont servi de sanctuaires pendant les opérations anti-insurrectionnelles et ont négocié avec l’armée birmane afin d’atténuer certains des pires excès liés à ces opérations. Ils ont été l’une des seules institutions que les militaires birmans ne pouvaient pas ignorer. Ils n’ont toutefois pas pu empêcher la destruction de centaines de villages et le déplacement de centaines de milliers de personnes, une illustration des limites de leur influence pourtant énorme face au pouvoir.

Dans le travail qui vise à promouvoir le respect des droits de l’homme des personnes déplacées il est habituel de travailler avec des organisations confessionnelles, ou plus précisément, avec des chefs religieux qui bien souvent exercent une influence considérable sur leurs communautés. En 2004, le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) a mis en place un programme d’assistance juridique à Mazar-e Charif, dans le nord de l’Afghanistan ; l’un des moyens les plus efficaces d’en faire connaître les services auprès des femmes, était avec la permission des chefs de la mosquée de lancer des annonces à travers les haut-parleurs de la Mosquée bleue du sanctuaire de l’Imam Ali, le jour de la semaine réservé aux femmes. Plus généralement, partout en Afghanistan le programme d’assistance juridique du NRC s’est appuyé fermement sur l’influence des imams locaux en comptant sur leur médiation pour résoudre des différends fonciers, particulièrement dans la mesure où de nombreuses disputes dépendaient d’une interprétation du statut des personnes, de la coutume et de la sharia. L’avis des imams locaux pouvaient s’avérer décisifs en matière d’interprétation malgré leur manque d’éducation et leur compréhension toute relative de la sharia.

Dans sa réponse suite au tremblement de terre au Pakistan en 2005, le NRC a joui d’une aide considérable pour la distribution de l’assistance en travaillant avec des imams dans les zones de montagne isolées. Les imams annonçaient les distributions et aidaient à les organiser, et ils transmettaient des prières pour le NRC à travers les haut-parleurs des mosquées, démontrant ainsi qu’ils approuvaient le travail de l’organisation.

Les croyances peuvent présenter des défis intéressants en matière de programmation. Dans le nord de l’Ouganda, les PDI ne réussissaient à expliquer les incendies occasionnels qui détruisaient des huttes que par la présence de sorcières au sein de la population. La mise à mort de l’une de ces « sorcières » était un événement périodique qu’aucune explication rationnelle ne réussissait à éviter. Au Soudan du Sud, les évaluations du cluster protection ont révélé en 2010 que la préoccupation majeure des populations dans les parties du pays touchées par le conflit concernait l’activité de personnes qui se métamorphosaient en lions (des lion-garous) plutôt que les violences commises par les parties au conflit, un fait que les analystes du siège ont refusé de laisser mentionner dans le cadre de l’analyse des résultats de l’évaluation. Dans l’État Karen dans le sud-est de la Birmanie, de nombreux PDI sont retournés dans leurs zones d’origine mais ont évité leurs anciens villages parce qu’ils étaient convaincus que de mauvais esprits, issus des événements traumatiques ayant provoqué le déplacement, les empêchaient de le faire ; ils sont donc rentrés dans des zones voisines. De telles croyances sont des facteurs constants de la vie en Birmanie, des croyances que les organisations humanitaires ont tendance à ne pas prendre suffisamment en considération lorsqu’elles travaillent avec les communautés locales.

Les organisations humanitaires et les organisations confessionnelles ont souvent des approches – et des intentions différentes, même lorsque les objectifs sont les mêmes. À Tenasserim, dans le sud-est de la Birmanie où l’influence du clergé bouddhiste pour déterminer l’assistance à apporter aux personnes déplacées est cruciale ; il est arrivé que l’installation de points d’eau par le HCR ait été refusée au profit de l’eau mise à disposition par un monastère. Les organisations confessionnelles peuvent parfois aussi se doubler d’« entreprises confessionnelles ».

Je souhaiterais, à la lumière de ces exemples, tirer un certain nombre de leçons. Premièrement, travailler avec des chefs religieux est un élément essentiel de la prestation de services aux communautés locales. Deuxièmement, il est tout aussi important de comprendre la vie religieuse des communautés locales que la manière dont les croyances influencent la prise de décision. Troisièmement, les chefs religieux et les organisations confessionnelles ne sont pas liés par les principes humanitaires et arrivent à des solutions pour résoudre le déplacement sur la base de perspectives très différentes. Finalement, même s’il est possible que les chefs religieux et les acteurs humanitaires soient animés par les mêmes préoccupations à l’égard des personnes déplacées, leurs intentions peuvent être très différentes et les résultats imprévisibles.

 

Simon Russell simon.russell@mac.com est Haut responsable en matière de protection sur la liste de ProCap, il a été récemment déployé en Birmanie, et il est Juge au First-tier Tribunal dans le centre de Londres. www.humanitarianresponse.info/coordination/procap Il a rédigé cet article à titre privé.

 

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