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Suivi par internet d’une zone à risque

L’un des principaux défis que rencontrent les organisations en opération dans de nombreuses zones de conflit ou post-conflit provient de l’impossibilité de pouvoir accéder régulièrement aux communautés déplacées et aux sites de projet en raison de l’insécurité.

L’un des principaux défis que rencontrent les organisations en opération dans de nombreuses zones de conflit ou post-conflit provient de l’impossibilité de pouvoir accéder régulièrement aux communautés déplacées et aux sites de projet en raison de l’insécurité. Dans les zones où le niveau de risque limite les capacités de suivi, les acteurs humanitaires ont habituellement le choix entre réduire leurs opérations ou accepter les conséquences d’une supervision minimale.

Le développement des bases de données en Irak avait donc pour objectif d’accroître la visibilité des besoins des populations déplacées, qui se trouvaient le plus fréquemment dans des endroits éloignés et à risque. L’outil utilisé à cet effet permettait de mieux planifier, cibler et coordonner les interventions. De surcroît, il permettait de répondre aux questions soulevées par les bailleurs de fonds et les audits quant à la capacité des organismes à suivre et évaluer leurs activités dans des zones à haut risque et souvent inaccessibles. En effet, grâce à la base de données Project Tracking, les équipes nationales et internationales passent moins de temps en visite sur les terrains à haut risque et bénéficient d’un outil interactif pour la gestion ou l’évaluation de l’état des projets.

Nous nous sommes rendu compte dès le début que les systèmes devaient être simples à utiliser, relativement bon marché et disposer d’une interface interactive pour consulter les données « réelles » par internet. Les utilisateurs devaient pouvoir s’approprier autant que possible le système, le but étant de renforcer les compétences internes afin de réduire la dépendance envers les consultants externes et les entreprises de développement de logiciels (ainsi que les coûts). Sur le plan technique, la sécurité des données étant prioritaire, plusieurs mesures de protection de données individuelles étaient intégrées à l’application web. Le logiciel a été développé en interne, une grande partie du travail ayant été initié par des collègues iraquiens, certains eux-mêmes déplacés; le total des autres coûts s’est avéré inférieur à US$50 000, l’essentiel de cette somme ayant été consacrée à l’achat de serveurs, caméras et autre matériel.

Les bases de données ont été conçues pour couvrir toutes les phases de réalisation du projet depuis l’évaluation initiale des besoins des groupes relevant de la compétence de l’UNHCR, la justification, les coûts de l’intervention, le calendrier d’intervention prévu, et jusqu’à l’achèvement du projet. Ces bases de données rassemblent non seulement une grande richesse d’informations et de données mais elles constituent aussi une plateforme conviviale où partenaires et personnel peuvent facilement consulter l’état des activités du programme. Dès lors, équipes et partenaires peuvent fièrement fournir les « preuves » de leurs résultats dans les zones les plus hostiles, avec comme objectif final de permettre aux bailleurs de fonds et autres parties prenantes d’accéder aux informations non confidentielles de la base de données.

Simple plateforme d’information à sa création, le système a évolué et regroupe aujourd’hui les données relatives à l’évaluation et aux progrès de la mise en œuvre et toute une série de rapports, à l’usage des partenaires mais aussi de l’UNHCR. Le système sert aussi à archiver tous les documents pertinents d’un projet et, comme tel, est devenu la source de documentation de référence de tous les projets en Irak. La dernière version offre la possibilité de suivre et vérifier la condition des actifs et peut facilement être appliquée à d’autres interventions en modifiant simplement les coordonnées géographiques.

Contenu des bases de données

Comme beaucoup d’activités menées en Irak se déroulaient dans des zones à haut risque mais où les besoins demeuraient importants, l’intention était de fournir des informations attestant autant que possible de la réalisation des activités commanditées, en saisissant des données sur chaque refuge réhabilité ou construit par l’UNHCR et ses partenaires. Ainsi, pour toute assistance en matière de logement en Irak, les renseignements suivants doivent être saisis dans la base de données Projet Tracking:

  • Critères de sélection donnant droit à l’assistance et caractéristiques démographiques des familles bénéficiaires
  • Dates de commencement et d’achèvement prévues et réelles
  • Photographies prises au début, au cours et à la fin des travaux avec coordonnées GPS intégrées (système de positionnement global)
  • Titre de propriété en cas de futur litige foncier et/ou pour protéger les individus bénéficiaires.
  • Devis quantitatif permettant (i) de vérifier les comptes, (ii) de contrôler et comparer les coûts des facteurs de production entre les différents maîtres d’œuvre et selon les sites et (iii) d’automatiser la recherche du fournisseur le moins cher et le plus fiable par activité, secteur et zone géographique. 

Les photos géo-localisées permettent non seulement de confirmer les réalisations des organismes travaillant dans les zones difficiles d’accès, mais aussi d’atténuer le risque de réclamations abusives concernant l’état d’avancement ou le calendrier de livraison d’une activité. Les parties prenantes peuvent comparer les coordonnées GPS incorporées aux photos avec les coordonnées des zones où il était prévu d’intervenir. Il en va de même avec la date encryptée dans la photo, qui doit correspondre aux délais convenus pour la mise en œuvre du projet. Ainsi, il y a moins de chances que les photos fournies ne correspondent pas aux activités qui avaient été approuvées, par exemple un maître d’œuvre qui prendrait 100 photos de 5 maisons différentes mais qui déclarerait que 100 maisons ont été construites. Enfin, pour que le maître d’œuvre se sente responsable de l’activité et se l’approprie, le bénéficiaire atteste par signature que le devis quantitatif est conforme aux travaux effectués, une fois ceux-ci terminés.

Il est bien sûr dans l’intérêt d’une équipe ou d’une organisation de démontrer aux autres agences, aux bailleurs de fonds, aux autorités ou à sa hiérarchie les progrès ou l’évolution d’un projet ou d’une activité. En conséquence, elles sont encouragées à faire un rapport d’activité « en temps réel », en téléchargeant toute nouvelle information et toute « preuve » de leurs activités aussi rapidement que possible pour accélérer les paiements.

Aussitôt les photographies et les informations connexes téléchargées, la base de données extrait les données GPS qu’elle enregistre et associe à chaque abri, chaque camp de PDI ou tout autre emplacement par le biais d’une interface Google. L’UNHCR a fourni à ses partenaires des téléphones portables équipés d’une caméra et du GPS, même si la technologie présente parfois ses limites dans le contexte irakien et que, dans certaines zones, le GPS n’est pas suffisamment efficace. Une fois les données téléchargées, la base de données génère automatiquement des représentations Google Earth, des rapports de synthèse avec répartition démographique et géographique, des moyennes de prix basées sur les devis quantitatifs, etc. Il est aussi possible de produire d’autres cartes en utilisant un nombre quasiment illimité de variables.
 
Fort du succès de la base de données Project Tracking, l’UNHCR a développé une base de données de camps de PDI indiquant le nombre de camps et leur localisation, leur besoins, le type d’assistance requise et la date à laquelle telle assistance a été fournie. La base de données permet de constater sans ambiguïté le travail accompli mais aussi les conditions des camps et les besoins qui demeurent insatisfaits.

Quels sont les avantages ?

Tout en réduisant les missions de supervision, le déploiement du système dans tout l’Irak a permis à l’UNHCR de disposer d’informations plus fiables concernant le lieu, l’heure, la date et le coût de la vaste majorité des activités en cours. Le système de suivi ne prétend toutefois pas remplacer les systèmes existants mais tend plutôt à renforcer et compléter les procédures actuelles de supervision et d’évaluation. Les partenaires l’ont d’abord considéré comme une exigence supplémentaire plutôt que comme un outil de substitution pour le suivi et de l’évaluation. D’abord sceptiques sur sa nécessité – et sur le besoin de rapporter encore plus d’informations – les partenaires ont progressivement saisi les différents avantages, au fur et à mesure du développement du système, autant pour eux-mêmes que pour l’UNHCR ou d’autres parties.

Les coûts supplémentaires, comme la saisie des données, sont limités et largement compensés par les améliorations éventuelles: réduction des fraudes, réduction des risques pris par les équipes en visite sur le terrain et plus grande efficacité du programme.

À son lancement, le système était relativement complexe mais aussi difficile à utiliser sans connexion stable à internet. Les partenaires rencontraient alors des difficultés à saisir les données, en particulier les titres fonciers et les photographies. Au fur et à mesure que la connectivité à internet et les compétences du personnel se sont améliorées, le téléchargement des données est devenu plus aisé. Le personnel de l’UNHCR, qu’il soit attaché aux programmes ou présent sur le terrain, a connu lui aussi quelques difficultés initiales pour travailler avec le système. Dans la version précédente, l’utilisateur devait par exemple mettre lui-même à jour sa version de la base de données si des modifications y avaient été apportées centralement. La dernière version a résolu ces problèmes; la mise à jour est automatique, tandis que la technologie est plus conviviale et plus facile à comprendre.

Les représentations visuelles des besoins (comme dans les camps de PDI) par Google Earth permettent d’améliorer les interventions communautaires et permettent aux parties prenantes d’évaluer des informations cruciales, de définir les priorités et les responsabilités. En inspectant les zones d’intervention des organisations avec Google Earth, il est possible de localiser les zones géographiques délaissées, et toute incapacité à relier des programmes qui devraient être coordonnés ou qui devraient s’enrichir mutuellement.

Cette vision complète de tous les sites de personnes déplacées, appuyée par des photographies géoréférencées, fait sortir de l’anonymat une grande partie des personnes en détresse résidant dans des lieux difficiles d’accès. La mise à disposition immédiate de données aide aussi fortement à interpeller les bailleurs de fonds, les autres organismes ou les autorités concernées. En effet, la sensibilisation basée sur des « preuves » de la condition des individus, a convaincu les gouvernements d’apporter un soutien accru aux camps et, dans un certain nombre de cas, a permis d’éviter l’expulsion de populations vulnérables. De surcroît, le Comité des commissaires aux comptes de l’ONU a récemment reconnu que le système permettait « la vérification et le suivi des activités individuelles dans des zones à risque…et l’utilisation de ces informations pour faire état des progrès, des tendances et des variations au sein d’un programme. »

C’est à partir du terrain que le système s’est développé, et particulièrement d’une opération pour laquelle il était nécessaire de gérer de manière plus transparente d’importantes sommes de financement et surtout de nous montrer plus responsables envers les personnes bénéficiaires. Ces applications avaient été développés pour répondre aux besoins spécifiques de cette opération, en concertation avec les usagers (personnel de terrain, personnel des partenaires de mise en œuvre, personnel attaché au programme, personnel d’encadrement, etc.), ce qui a certainement contribué à la réalisation du produit. En revanche, comme il s’agit d’une nouvelle technologie, le personnel doit suivre une formation avant de pouvoir l’utiliser; la courbe d’apprentissage, particulièrement abrupte, a certainement eu des conséquences sur la durée nécessaire à son développement.

Le développement de ces systèmes a permis d’aborder progressivement tous les problèmes importants en Irak. Cependant, le succès de cette initiative sera véritablement complet uniquement lorsque le système sera appliqué à d’autres opérations et mis en œuvre volontairement par d’autres organisations.

Andrew Harper (harper@unhcr.org) travaille comme directeur de l’Unité de soutien à l’Irak et coordinateur principal d’urgence au Moyen Orient et en Afrique du Nord pour l’UNHCR. (www.unhcr.org/iraq/). Cet article a été écrit à titre personnel; l’auteur transmet ses plus sincères remerciements à ses collègues en Irak.

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