Donner une place centrale aux adolescents et aux jeunes

Si la communauté internationale souhaite que les jeunes personnes vivent une vie plus productive et épanouissante, elle doit prêter une bien plus grande attention à leurs vulnérabilités, leur potentiel et leurs droits.

À l’échelle mondiale, près de 90 % des jeunes personnes vivent dans les pays les plus pauvres. Les liens qui unissent pauvreté, conflits violents et migration forcée sont aujourd’hui largement reconnus ; en conséquence de ces liens, les jeunes et les adolescents représentent souvent la majorité des populations déplacées, mais aussi des populations d’accueil. Dans les situations de conflit violent, ce sont souvent les jeunes et les adolescents, qu’ils soient de sexe masculin ou féminin, qui sont enrôlés dans les groupes armés ou deviennent la cible de violences sexuelles, qui se retrouvent sans l’encadrement des adultes et sans limites sociales clairement définies au cours d’années cruciales pour leur développement, et qui n’ont d’autre choix que de s’en remettre à eux-mêmes dans un environnement étranger.

Parallèlement, même les plus jeunes de ces jeunes personnes commencent à assumer des responsabilités d’adultes – ce que mettent parfaitement en évidence les situations de déplacement. Les jeunes réfugiés et PDI peuvent être parents ou jouer le rôle de tuteurs ; ils essaient de gagner de l’argent pour maintenir l’unité familiale ; ils militent en faveur du changement politique ; et ils peuvent rejoindre les forces ou les groupes armés. Dans n’importe quelle distribution d’assistance alimentaire, il se trouve toujours de nombreux adolescents et jeunes gens qui ont pour responsabilité de subvenir aux besoins de leur famille et de leur communauté.

Pourtant, les programmes humanitaires, les initiatives de stabilisation et les activités de relèvement rapide ne tiennent toujours pas systématiquement compte des besoins et des droits de cette cohorte et ne cherchent pas forcément à reconnaître, ni exploiter leur potentiel. Une jeune fille avec un bébé est généralement considérée comme une «jeune mère» plutôt que comme un enfant avec un enfant. Un garçon ou une fille ayant combattu dans un groupe armé est considéré comme «ancien(ne) combattant(te)» plutôt que comme un enfant victime de violations de ses droits humains. Ces deux exemples se compliquent encore si les jeunes personnes concernées ont plus de 18 ans. Bien que leurs besoins et leur potentiel soient largement différents de ceux d’une personne plus âgée, ils tendent à être identifiés en fonction de leur expérience et non pas de leur âge ou du stade de vie qu’ils traversent. Pour dire les choses sans détour, les jeunes et les adolescents peuvent se voir dépossédés de l’identité que leur confère leur âge par quelqu’un qui a décidé de les exploiter.

Il est aussi possible que les programmes, y compris ceux à l’attention des adolescents et des jeunes déplacés, regroupent tous les enfants ou tous les adultes, sans distinction, sans reconnaître du coup les besoins spécifiques et les expériences particulières des adolescents et des jeunes. Par exemple, alors que l’on voit souvent des garçons adolescents jouer au football dans les camps de personnes déplacés, les adolescentes ou les filles plus âgées qui sont mères d’un enfant ont généralement peu de temps pour se rendre dans un «Espace Ami des Enfants» et sont peu susceptibles de suivre les cours éducatifs d’urgence organisés pour les enfants déplacés. Parallèlement, une jeune fille pourra se sentir exclue des établissements de santé reproductive en milieu urbain: à moins que ces établissements soient appropriés à ses besoins et reconnaissent sa situation, elle refusera tout simplement de s’y rendre.

Qu’est-ce qui fait le succès d’un programme?

Les réunions de haut niveau, panels, rapports et autres déclarations ont appelé à multiples reprises l’ONU, les gouvernements et la société civile à comprendre le besoin et saisir l’occasion de «s’engager auprès des jeunes» et d’aborder «les questions relatives à la jeunesse». La réussite des programmes en faveur des adolescents et des jeunes est garantie lorsqu’ils sont conçus et exécutés de manière délibérée, ciblée, systématique et holistique, avec pour objectifs de permettre aux jeunes gens d’exercer pleinement leurs droits, de renforcer les capacités nationales et de responsabiliser les gouvernements ou les autres entités responsables envers les jeunes personnes. Dans les contextes de déplacement, il est encore plus impératif d’adopter ces principes de programmation axés sur les droits humains et de les adapter en fonction des expériences et des droits propres aux adolescents et aux jeunes. Actuellement, les programmes tendent à se diviser en trois catégories:

Premièrement, il y a les programmes qui sont conçus spécifiquement pour cibler les adolescents et les jeunes, tels que les clubs de filles ou les programmes de formation professionnelle destinés aux anciens combattants. Deuxièmement, certains programmes abordent les questions qui concernent les jeunes de manière disproportionnées, tels que les programmes de réparation de fistule ou de lutte contre la traite des êtres humains. Troisièmement, d’autres programmes cherchent à faire participer les jeunes personnes à des programmes plus généraux, tels que les stratégies de réduction des risques de catastrophe. Enfin, certaines organisations adoptent une stratégie de programmation axée sur les besoins des jeunes populations.

Ces programmes axés sur les jeunes diffèrent des programmes «habituels» dans le sens où ils adoptent la «perspective des jeunes». Ils doivent répondre favorablement aux questions suivantes (y compris les programmes humanitaires) : Le programme sera-t-il bénéfique aux adolescents et aux jeunes gens ? Aborde-t-il les questions de l’expérience et des droits des jeunes de 10 à 24 ans, aussi bien en termes de leur situation actuelle (ex : comme chefs de famille, victimes de violences sexuelles, parents, etc.) que relativement à leur âge et au stade de vie qu’ils traversent ? Par exemple, un programme d’éducation élémentaire dans un camp de PDI pourrait être particulièrement bénéfique pour les jeunes enfants mais exclure les garçons et les filles plus âgés qui désirent apprendre. Les programmes axés sur les jeunes reconnaissent ce type de carence et créent un environnement dans lequel les jeunes peuvent suivre une instruction qui leur donnera les outils pour aborder correctement l’âge adulte, dont ils se rapprochent. On peut citer comme exemple les écoles où les bébés sont accueillis, où les enfants plus âgés peuvent s’asseoir confortablement et où le programme scolaire reflète les expériences des jeunes personnes. De la même manière, la sécurité à l’intérieur et autour des camps devrait être orientée vers la prévention du trafic des êtres humains tout comme elle est orientée vers la prévention de l’influx d’armes et de munitions.

Lorsqu’ils sont efficaces, les programmes reconnaissent également la différence entre les adolescents et les jeunes adultes. L’expérience d’une fille de 13 ans diffère de bien des manières de l’expérience d’un jeune homme de 21 ans. Bien que les principes qui sous-tendent leurs droits (non-discrimination, universalité, etc.) sont identiques, leur situation particulière risque fortement de différer.

Il arrive de plus en plus fréquemment que la législation internationale des droits humains reconnaisse les droits et les besoins particuliers des enfants bien qu’aucune n’accorde une attention particulière aux droits des enfants plus âgés per se. Actuellement, il n’existe aucun cadre de protection des droits des adolescents et des jeunes personnes. Même si la Convention relative aux droits de l’enfant[1] est loin d’être universellement appliquée, des progrès significatifs ont été effectués relativement aux enfants de moins de 10 ans. Toutefois, au-delà de cet âge, et surtout au-delà de 12 ans, les garçons et les filles bénéficient d’une moindre attention et de moins de services. Les gouvernements, tout comme les organismes d’aide, n’accordent généralement pas le même degré de priorité aux droits et aux besoins des enfants plus âgés, en particulier aux nouvelles questions qui apparaissent alors que les adolescents grandissent.

Cela ne veut pas dire que les organisations n’abordent pas les préoccupations des jeunes et des adolescents. La pauvreté, la mortalité maternelle, la migration forcée, la faim et la discrimination ne sont que quelques exemples des nombreuses questions auxquelles s’attaquent quotidiennement les organismes de développement et les administrations publiques. Certaines d’entre elles, à l’instar du FNUAP ou de l’UNHCR, ont commencé à changer leur approche et à aborder systématiquement ces questions en axant leurs interventions sur les jeunes. Quant aux jeunes gens et aux adolescents déplacés, ils font eux aussi face à un défi : celui de s’assurer que les organisations et les gouvernements adoptent à la fois la «perspective des jeunes» et la «perspective des déplacés».

 

Sarah Maguire S_r_maguire@yahoo.co.uk est une consultante spécialisée dans les domaines de la justice, de la protection de l’enfance, des questions de genre et de la migration forcée.

 

 

 

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