Les pratiques d’exclusion des réfugiés en vigueur aux États-Unis

La question du « soutien matériel » apporté à une organisation considérée comme impliquée dans une activité terroriste suscite de nombreuses controverses aux États-Unis dans les milieux juridiques spécialisés dans l’immigration, le plus souvent en ce qui concerne la question de ce soutien lorsqu’apporté sous la contrainte.

La durée moyenne du temps écoulé entre le moment où un réfugié est soumis au Programme d’admission des réfugiés des États-Unis par le HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, et celui où le réfugié arrive aux États-Unis est de 18 à 24 mois. Pendant cette période, une multitude d’agences gouvernementales effectuent des vérifications de sécurité et font passer des tests de santé et des entretiens qui ont tous pour but de déterminer s’il est acceptable d’admettre cet individu spécifique sur le territoire des États-Unis. Même en présence de ce processus de contrôle à niveaux multiples, les services de l’immigration reçoivent de manière constante des appels de citoyens américains comme de politiciens élus leur enjoignant de suspendre le programme d’admission des réfugiés au nom de la sécurité nationale. Aucune base statistique valide ne permet de soutenir les craintes qui motivent ces appels ; une part absolument minimale des centaines de milliers de réfugiés réinstallés aux États-Unis ont été arrêtés pour des accusations liées au terrorisme.

Exclure quelqu’un pour avoir soutenu une organisation terroriste semble être une mesure concrète en vue de garantir la sécurité nationale, mais une attention plus minutieuse aux définitions contenues dans la Loi sur l’immigration et la naturalisation (Immigration and Naturalization Act - INA) met en évidence les failles inhérentes à cette législation. « Prendre part à des activités terroristes » signifie commettre un acte « que son auteur sait, ou devrait raisonnablement savoir qu’il constitue un soutien matériel, notamment un hébergement sécurisé, un transport, un moyen de communication, des fonds, un transfert de fonds, ou tout autre avantage financier… » à une organisation terroriste (ou à un membre d’une organisation de ce type). La définition « d’une organisation terroriste » donnée par la Loi couvre 60 organisations[1] terroristes étrangères de Niveau 1 parmi lesquelles se trouve l’EI (« État Islamique) et Boko Haram, de Niveau 2, des individus et des organisations comme l’Ulster Defence Association ou l’Ira-véritable, et finalement une liste de Niveau 3, des organisations qui consistent « en un groupe de deux individus ou plus, organisés ou non, qui se livrent, ou possèdent un sous-groupe, qui se livre » à des activités terroristes.

Selon ces définitions, un Sri Lankais qui fait à manger, fourni des petites sommes d’argent ou effectue un travail manuel après avoir été enlevé par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul est considéré comme ayant apporté un soutien à une organisation terroriste. C’est le cas également d’un Salvadorien qui a évité d’être exécuté en permettant à des rebelles du FMLN d’utiliser sa cuisine (et leur a indiqué le chemin lorsqu’ils l’on interrogé). C’est encore le cas de cette femme d’affaires colombienne qui a fourni des denrées alimentaires et des biens de première nécessité qui se trouvaient dans son magasin suite aux menaces des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) même si après avoir accéder à leurs demandes[2] elle a tout de même vu son hôtel et son magasin détruits par ces mêmes FARC. Ces trois personnes ont toutes trois été considérées comme irrecevables.

Dans un effort pour corriger cette injustice qui consiste à priver certaines personnes de protection humanitaire alors qu’elles ne représentent aucune menace pour la sécurité des États-Unis – et que de fait elles sont des victimes de ces mêmes groupes terroristes que nous jugeons être une menace – la Loi sur l’INA permet dans certaines circonstances au secrétaire d’État et au secrétaire à la Sécurité intérieure de passer outre aux motifs d’inadmissibilité liés au terrorisme. Dans la mesure où ces exemptions sont uniquement discrétionnaires, toutes les tentatives d’appel auprès du Département de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security - DHS) par le biais du système juridique restent généralement inutiles. En 2014, la grande majorité des exemptions accordées dans des cas de « soutien matériel » – 816 au total – excusaient des actions commises alors que le requérant était contraint ou agissait sous la menace. Sur ces exemptions, 652 concernaient des requérants qui demandaient à être réinstallés et seulement 14 des demandeurs d’asile. Alors que la rhétorique américaine en matière d’immigration se concentre avec autant de force sur le contrôle, le filtrage et la vérification des migrants, il n’est peut-être pas surprenant de voir que les exemptions lorsqu’elles sont accordées le sont dans le contexte de la réinstallation, c’est-à-dire avant même que ces individus ne pénètrent dans le pays.

Dans les circonstances où le DHS refuse d’accorder une exemption en matière de soutien matériel, les conséquences sont peut-être beaucoup moins graves dans le cas de l’admission préalable d’un requérant qui peut être réorienté ailleurs en vue de sa réinstallation. Alors que si une exemption est refusée à un demandeur d’asile qui se trouve déjà aux États-Unis, celui-ci ne pourra plus obtenir l’admission légale dans le pays même si ses craintes de persécution sont légitimes.

 

Katherine Knight kknight01@qub.ac.uk
Doctorante, Université Queen’s de Belfast www.qub.ac.uk



[2] Tous les cas sont réels et n’ont pas été inventés à titre d’illustration.

 

 

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