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Lutte contre l’apatridie dans la région MENA : un nouveau réseau pour la mobilisation
  • Zahra Albarazi and Thomas McGee
  • June 2023

Un nouveau réseau régional sur l’apatridie dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord sensibilise l’opinion publique et offre une plateforme de mobilisation.

L’apatridie est un problème dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) depuis les origines mêmes de son système moderne d’États-nations. Selon les statistiques du HCR, des milliers de personnes dans la région MENA vivent sans nationalité – et des millions d’autres si l’on inclut les Palestiniens enregistrés dans un système distinct.[1] Des familles et des communautés entières peuvent être apatrides, une condition qui peut être héritée de plusieurs générations, entraînant de graves violations des droits fondamentaux.

En tant que co-coordinateurs du réseau MENA Statelessness Network (Réseau MENA sur l’apatridie), créé relativement récemment,[2] nous réfléchissons à la manière dont les multiples positions et expériences des personnes travaillant sur la question de l’apatridie dans l’ensemble de la région ont été représentées. En outre, nous nous penchons sur un défi auquel nous sommes régulièrement confrontés : (comment) un réseau régional peut-il soutenir des interventions ascendantes menées par des apatrides et leurs alliés aux niveaux local ou national ?

La prochaine étape de l’engagement

Connu sous le nom abrégé de « Hawiati », qui signifie « mon identité » ou « mon ID » en arabe, le réseau a été officiellement créé au milieu de l’année 2020. Si son officialisation a marqué une étape importante, elle n’a certainement pas été le point de départ d’un travail sur la question de l’apatridie dans la région, mais plutôt l’aboutissement d’années d’engagement informel et ad hoc. En effet, l’ONG libanaise Ruwad Al Houkouk (Frontiers Rights ou Droits des frontières) s’engage à fournir une assistance juridique aux apatrides depuis le début des années 2000. Toutefois, les acteurs de la région MENA ont eu du mal à constituer un réseau régional efficace. Cela s’explique en partie par l’impact de la politique de division pratiquée par les États autoritaires et par le fait que de nombreux activistes de la cause apatride (en particulier ceux du Golfe) doivent opérer à partir de lieux éloignés dans les communautés de la diaspora.

Hawiati entend développer la solidarité envers et entre les personnes apatrides et celles qui travaillent dans ce domaine.[3] En nous appuyant sur les expériences de notre réseau émergent et de ses diverses collaborations au cours des dernières années, nous soulignons un certain nombre d’enseignements tirés des efforts visant à faciliter la mobilisation locale des communautés touchées par l’apatridie. Nous présentons également quelques-uns des développements passionnants dans la poursuite commune des droits des apatrides, principalement sous l’impulsion de membres de communautés elles-mêmes concernées par ce phénomène.

Des projets locaux actifs

Les activistes apatrides, ainsi que leurs alliés, ont conçu de nouvelles générations de projets visant à placer les apatrides au centre des réponses programmatiques à ce problème. Autrefois considérés comme de simples bénéficiaires de programmes, les apatrides sont aujourd’hui perçus comme des participants actifs à la recherche de solutions. En Libye, les Touaregs exclus de la citoyenneté ont formé les mouvements « Non à la discrimination » et « Tribus touaregs », qui ont tous deux fait campagne sur le terrain pour l’inclusion par le biais d’une réforme juridique. « Nous devons faire entendre notre voix au monde entier et être écoutés par les organisations internationales », déclare Jafr Othman Al-Ansari, un représentant du second groupe. Dans le même temps, le projet pilote Maktoum Aid, conçu par l’activiste apatride Sami Haddad dans le nord du Liban, rassemble une cohorte de personnes qui luttent pour accéder à la citoyenneté en naviguant dans le système judiciaire complexe du pays. Le caractère novateur de cette initiative réside dans son orientation vers le soutien par les pairs et l’apprentissage partagé par les personnes directement touchées par l’apatridie. Sami Haddad résume cette approche : « C’est notre combat après tout, puisque c’est nous qui sommes nés sans citoyenneté. Nous devons nous approprier la cause et trouver des solutions pratiques ». Pendant ce temps, au Koweït, un certain nombre de bidounes ont attiré l’attention du public sur le problème de l’apatridie qui les affecte, eux et leur communauté, en se portant volontaires pour la phase initiale de la campagne de vaccination contre le virus de la COVID-19.

Si la pandémie mondiale a posé des défis inattendus et sans précédent au travail sur l’apatridie dans la région, elle a également suscité une réflexion plus créative sur les futures modalités de programmation. Bien que cette situation ait engendré des défis importants pour nous, en tant que réseau régional fondé au milieu de voyages internationaux restreints et de fermetures nationales, elle nous a également permis de prendre conscience des barrières préexistantes à la participation qui sont souvent étroitement liées à la nature même de l’apatridie. Lynn Al Khatib, artisane du changement dans le domaine de l’apatridie, souligne avec éloquence la façon dont l’absence de documents de voyage et de visas limite la mobilité et les possibilités de participation des apatrides.[4]

D’une certaine manière, le fait d’être obligé de travailler uniquement en ligne a été utile. Des activistes apatrides et des universitaires de la région ont entamé une réflexion critique sur les possibilités d’engagement et de mobilisation grâce à l’espace numérique élargi créé par la pandémie.[5] Par exemple, nous avons eu le plaisir d’organiser un atelier en ligne – notre première activité à grande échelle – avec un partenaire de chacune des trois sous-régions de la région MENA : le Golfe, le Levant et l’Afrique du Nord. « C’était la première fois que j’entendais parler du problème de l’apatridie en dehors de mon propre pays », a déclaré l’un des participants. Nous espérons donc que ces approches régionales continueront à libérer le potentiel de nouvelles collaborations, de solidarité et d’inspiration au-delà des cloisonnements nationaux.

Gérer les attentes

Nous sommes parfaitement conscients des limites auxquelles nous sommes confrontés. Dans une région où l’apatridie n’est pas reconnue comme un statut juridique protégé et où il n’existe pas de mécanisme officiel permettant de reconnaître une personne comme apatride,[6] il est rare, voire impossible, d’orienter efficacement les personnes apatrides vers les services compétents. Le plaidoyer et la solidarité peuvent, dans de nombreux cas, être les seuls outils dont nous disposons. Nous pensons donc qu’il est essentiel de gérer clairement les attentes.

Il ne suffit pas d’afficher les problèmes de l’apatridie pour qu’ils soient résolus. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur les frustrations et les déceptions que cela peut causer à celles et ceux qui cherchent (parfois désespérément) à résoudre leur problème d’apatridie. En revanche, pour le moment du moins, nous cherchons à continuer à sensibiliser à la gravité de la vie d’apatride, à plaider auprès des autorités nationales en faveur du changement, et à renforcer et consolider les actions isolées dans toute la région. Nous cherchons avant tout à déterminer de quelle manière soutenir les efforts déployés au niveau local par les apatrides eux-mêmes. Les premières réflexions sur ces projets pratiques ont été émises dans le cadre du processus même de construction d’une solidarité partagée entre les différentes communautés touchées. Comme le souligne l’un des participants à l’atelier : « Nous ne faisons que commencer. Nous devons travailler davantage sur la mise en réseau des acteurs concernés par l’apatridie dans la région. Et nous devons le faire de toute urgence ».

 

Zahra Albarazi zahra.albarazi@gmail.com @zalbarazi

 

Thomas McGee tmcgee@student.unimelb.edu.au @ThMcGee

 

Coordinateurs, MENA Statelessness Network (Hawiati)

 

Adresse e-mail de contact pour MENA Statelessness Network : info@hawiati-mena.org

LIRE LE NUMÉRO COMPLET

[1] Alors que le HCR a pour mandat d’identifier et de protéger les personnes apatrides, ainsi que de prévenir et de réduire l’apatridie au niveau mondial, la plupart des Palestiniens du Moyen-Orient relèvent de la responsabilité de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient).

[2] www.hawiati-mena.org

[3] Albarazi Z et McGee T (2021) ‘Introducing “Hawiati”: A network for stateless solidarity in the Middle East and North Africa (MENA)’, Réseau européen sur l’apatridie https://bit.ly/intro-hawiati

[4] Al Khatib L (2022) « “Please don’t buy me a plane ticket to present at your event, I don’t have a passport” – the birth of ENS’s community speaker policy » https://bit.ly/ENS-policy

[5] Poladoghly J (2022) « When the Subaltern Speaks Online: Stateless Advocacy through the Post-Pandemic Digital Space », Critical Statelessness Studies https://bit.ly/stateless-advocacy

[6] Bien que le HCR préconise la mise en place d’une procédure nationale de détermination de l’apatridie, aucun État de la région MENA ne dispose d’un tel mécanisme : HCR (2020) Instaurer des procédures de détermination de l’apatridie pour protéger les apatrides, Documents de bonnes pratiques, Action 6 https://bit.ly/determination-procedures-fr

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