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Activisme pour la liberté de circuler dans le Sahara
  • Moctar Dan Yaye and Maurice Stierl
  • June 2023

Les activistes du Sahara se sont mobilisés pour protéger les droits des migrants à la mobilité et à la sécurité au cours de leur voyage vers l’Afrique du Nord, mais ils sont confrontés à des défis importants dans un environnement politique hostile.

Le Sahara est le plus grand désert chaud du monde. Sa superficie est proche de celle de la Chine ou des États-Unis. Historiquement divisée en pays par les frontières tracées par les puissances coloniales, la région est aujourd’hui confrontée aux effets de l’externalisation des frontières de l’Europe.[1] La région accueille de nombreuses communautés, bien que les gens considèrent souvent le désert comme un vaste espace vide. Le Sahara est également le théâtre de conflits (géo)politiques interdépendants portant sur le territoire, les ressources et la mobilité.

Le Niger est l’un des onze pays bordés par le Sahara. Bien que le Niger ne fasse pas partie de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, il joue un rôle important dans le contexte des migrations. Le Niger accueille de nombreuses personnes en déplacement, qu’il s’agisse de personnes en transit, de personnes repoussées d’Afrique du Nord ou de personnes migrant le long des routes commerciales dans le cadre de l’économie régionale.

Dans des pays comme le Niger, l’externalisation des frontières de l’Europe a eu des conséquences particulièrement dévastatrices. Sous la pression politique et l’incitation financière de l’UE, le Niger a adopté en mai 2015 une loi [2](loi 0-36) sur le « trafic illégal de migrants », criminalisant ainsi ce qui était auparavant une activité légale et régulière : le transport vers le nord de personnes en déplacement. L’effet de ce type de travail « souterrain » a été une augmentation du nombre de conducteurs inexpérimentés, des itinéraires plus longs et plus dangereux, et une augmentation du nombre de décès.

En réponse aux décès survenus le long des routes du désert, des activistes du Niger et de plusieurs autres pays africains ont lancé Alarme Phone Sahara (Ligne d’urgence Sahara). Depuis 2017, ce projet « ayant pour but de défendre la vie et la liberté de circulation des migrants et des réfugiés contre les politiques migratoires répressives et souvent meurtrières » [3] a mené des campagnes de sensibilisation sur les conditions et les risques du voyage, documenté les accidents, les violences et les décès sur les routes migratoires, et aidé les personnes en détresse dans le désert.

Moctar Dan Yaye, qui vit à Niamey, au Niger, est un activiste d’Alarme Phone Sahara. Dans l’entretien qui suit, il explique comment les politiques de l’UE visant à restreindre les mouvements migratoires ont suscité des réactions activistes et comment, malgré des conditions politiques défavorables, Alarme Phone Sahara s’est transformé en une infrastructure transfrontalière de solidarité.

Pourquoi les personnes en déplacement meurent-elles dans le Sahara ?

Dans le désert, presque tous les décès sont dus à la déshydratation : lorsque les voitures tombent en panne, lorsque les gens s’égarent en essayant d’éviter d’être repérés ou lorsqu’ils sont abandonnés. Dans le passé, avant cette criminalisation du transport, les gens se rendaient en Libye ou en Algérie en convoi de voitures. Si une voiture tombait en panne, les autres lui venaient en aide. Si une personne était en détresse, les autres passants l’aidaient. Depuis la criminalisation, il n’y a plus de convois et chacun doit trouver son propre chemin. Par ailleurs, le type de conducteur a changé. Contrairement aux anciens conducteurs, les nouveaux ne sont pas connus de la population locale et ne connaissent pas suffisamment le désert, ce qui met des vies en danger.

Comment Alarme Phone Sahara a-t-il vu le jour ?

Alarme Phone Sahara a débuté en 2017, suite à la soi-disant « crise migratoire » de 2015 en Europe. Nous nous sommes rendu compte que l’attention du public se concentrait sur la mer Méditerranée et d’autres régions frontalières de l’UE. Nous avons décidé d’attirer l’attention sur la situation ici pour montrer ce que les personnes en déplacement vivaient avant d’atteindre la Méditerranée. Nous voulions dénoncer les violations des droits humains.

Notre devise est : libre de partir, libre de rester. Nous ne facilitons pas nous-mêmes les mouvements. Nous voulons simplement empêcher la mort d’êtres humains. Notre siège se trouve à Agadez, au Niger – l’une des principales portes d’entrée de la migration vers le nord – mais nous sommes également présents dans de nombreux autres pays africains, tels que le Mali, le Togo, le Burkina Faso et le Maroc. Nous avons également des membres en Europe et nous nous considérons comme un projet transnational entre l’Afrique et l’Europe.

Nous considérons Alarme Phone Sahara comme le projet frère d’Alarm Phone, la ligne d’urgence activiste opérant en Méditerranée, qui nous a inspirés. Nous avons décidé de mettre en place une structure similaire pour le désert et de faire circuler un numéro de téléphone qui pourrait être utilisé par les personnes en détresse. Cependant, nous nous sommes rendu compte que créer une ligne téléphonique ici n’était pas suffisant, en raison de la couverture réseau limitée dans le désert.

Dans certaines régions de la Méditerranée, les gens utilisent des téléphones satellitaires en raison de la couverture limitée du réseau. Les personnes qui traversent le Sahara ont-elles un téléphone satellite ?

Les personnes en déplacement possèdent rarement un téléphone satellite. Leur possession est dangereuse car vous pourriez être considéré par la police ou l’armée comme faisant partie d’un réseau criminel. Nous avons donc dû réfléchir à d’autres moyens de nous renseigner sur les situations de détresse.

Nous avons décidé de mettre en place un réseau de bénévoles qui vivent dans des villages situés autour des routes de migration vers la Libye ou l’Algérie et qui connaissent bien ces régions. Nous appelons ces personnes des « lanceurs d’alerte » car elles tirent la sonnette d’alarme lorsque des migrants sont en détresse. Elles savent où trouver une couverture téléphonique et de l’eau ou comment aider les personnes dans le besoin, par exemple en réparant des voitures en panne. Il n’a cependant pas été facile de trouver des lanceurs d’alerte. Nous devions instaurer un climat de confiance au sein de la population. Au fil du temps, ces habitants ont compris que ce que nous essayions de faire était également dans leur propre intérêt. Nous considérons qu’il s’agit d’un combat commun.

La criminalisation de la migration a affecté l’ensemble de l’économie de la région. De nombreuses personnes sont impliquées dans des activités liées à la migration, qui étaient auparavant légales et normales. Les habitants des villages ne souhaitent pas que quelqu’un meure dans le désert, mais ils craignent les conséquences du contact avec les migrants. Ils craignent la criminalisation. Ensemble, nous avons donc essayé de trouver des idées sur ce qu’il fallait faire. Nous avons également organisé des réunions avec d’anciens chauffeurs qui ont transporté des personnes (légalement) afin d’obtenir leurs conseils et de partager nos informations avec eux. Si nos lanceurs d’alerte entendent parler de migrants abandonnés, ils ne peuvent pas les transporter, car ils pourraient être considérés comme des passeurs ou des trafiquants s’ils étaient arrêtés par la police. Ce qu’ils peuvent faire, en revanche, c’est orienter les migrants et leur indiquer la distance qui les sépare de la Libye ou du prochain village.

Combinée à ce réseau de lanceurs d’alerte, notre ligne d’assistance fonctionne bien. Parfois, lorsque nous informons les autorités de cas de détresse, elles nous autorisent, nous ou nos lanceurs d’alerte, à évacuer les migrants vers les villages les plus proches. Nous recevons également des appels de différentes villes du Niger de personnes qui s’interrogent sur les risques du voyage, ou nous recevons des appels de l’étranger de personnes de la diaspora qui recherchent quelqu’un.

Certaines organisations internationales affirment qu’il y a plus de morts au Sahara qu’en Méditerranée. Avez-vous une estimation du nombre de personnes qui meurent dans le désert au cours de leur migration ?

Personne ne peut dire combien de corps gisent dans le désert. Dans le cadre d’Alarme Phone Sahara, nous ne donnons jamais d’estimations sur le nombre de personnes qui meurent dans le désert. Les organisations qui prétendent savoir peuvent le faire parce qu’elles utilisent des chiffres pour justifier leur travail ou pour obtenir des fonds. Dans le domaine politique, les chiffres donnent de l’importance à une question, mais pour nous, il ne s’agit pas de chiffres, mais d’êtres humains. Nous sommes des défenseurs des droits humains. Nous attirons l’attention sur le fait que des morts surviennent dans le désert et sur la criminalisation et la répression des défenseurs des droits humains qui participent aux opérations de sauvetage.

Quels sont, selon vous, vos plus grandes réussites et vos principaux obstacles ?

Nous avons réussi à attirer l’attention de la communauté internationale sur ce qui se passe au Sahara, c’est-à-dire avant que les gens n’atteignent la Méditerranée et l’Europe. Pour nous, il s’agit d’une véritable réussite. Nous avons également effectué plusieurs tournées en Europe pour parler de la situation à différents publics. En outre, nous avons réussi à documenter ce que personne d’autre n’avait documenté auparavant : les refoulements de migrants en provenance d’Algérie. Aujourd’hui, davantage de personnes ont une idée de l’ampleur des refoulements qui ont lieu le long de la frontière entre l’Algérie et le Niger.

Le plus grand défi auquel nous sommes confrontés est la loi 0-36 et le manque de protection juridique. Nous sommes dans une situation où nous pouvons être criminalisés à tout moment, si nous sommes considérés comme contribuant à la « migration irrégulière » ou si nous sommes accusés de traite des êtres humains. Et cela nous fait peur. Un autre défi de taille est la question de la sécurité. Le désert est un endroit dangereux en raison de la militarisation et de l’augmentation de l’insécurité. Nous y allons à nos risques et périls pour défendre le droit à la mobilité pour tous.

Vous arrive-t-il de vous sentir en danger dans le cadre de votre activité activiste ? Les activistes européens ne comprennent-ils pas ce que signifie militer au Sahara ?

Dans un pays comme le nôtre, le sentiment de danger et de peur est permanent. Le principal problème est que si quelque chose vous arrive, vous ne savez pas vers qui vous tourner. Ils peuvent vous jeter en prison ou pire encore. En ce qui concerne le contrôle des migrations, les autorités locales et les acteurs internationaux agissent de concert. En 2021, j’ai été agressé physiquement par des hommes en uniforme sans savoir exactement pourquoi ils le faisaient. Était-ce à cause de mes activités activistes ou simplement parce que j’étais au mauvais endroit au mauvais moment ?

Je ne dirais pas que les activistes européens ne comprennent pas du tout le contexte. Nous sommes en contact avec de nombreux réseaux internationaux et les informons de l’environnement dans lequel nous travaillons. Cependant, je ne pense pas qu’ils comprennent pleinement la situation et les conditions de notre engagement. Nous sommes tous activistes, mais nous ne vivons pas la même situation. Ils ont des privilèges que d’autres n’ont pas, ils doivent donc se le rappeler et le placer au centre de nos collaborations.

Certains activistes peuvent se déplacer librement. Certains sont protégés par la loi. D’autres non.

La question des finances se pose également. Le fait d’être un activiste ici ferme de nombreuses portes, même dans votre travail rémunéré, ce qui n’est pas le cas dans les pays du Nord. Ici, il n’est souvent pas possible de militer ouvertement. Je voudrais rappeler à d’autres activistes et camarades du Nord de toujours s’en souvenir et de toujours chercher à partager des connaissances sur les contextes et les réalités des activistes du Sud Global.

 

Moctar Dan Yaye mdanyaye@gmail.com

Alarme Phone Sahara, Communication et relations publiques

 

Maurice Stierl maurice.stierl@uni-osnabrueck.de @MauriceStierl

Chercheur, Institut de recherche sur les migrations et d’études interculturelles, Université d’Osnabrück

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[1] Consultez www.fmreview.org/fr/externalisation pour une discussion plus approfondie sur l’externalisation.

[2] République du Niger (2015) « Loi Nº 2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite de migrants » www.refworld.org/docid/60a505e24.html

[3] https://alarmephonesahara.info/fr

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