Dans le monde entier, les procédures et les processus mis en place pour la reconnaissance des droits des réfugiés sont insuffisants. Ils peuvent s’avérer difficiles à cerner et s’appuient souvent sur des mécanismes d’exclusion tels que l’accent mis sur les origines nationales ou une compréhension étroite de la vulnérabilité. Pour les activistes, la recherche de la reconnaissance des droits comporte des risques, en particulier dans des environnements souvent déjà défavorables aux réfugiés. Par exemple, les effets négatifs d’une rhétorique anti-migrants accrue sur les personnes ayant sollicité une protection peuvent être observés de manière frappante en Tunisie, où cette rhétorique a un impact négatif sur leur séjour légal, déjà précaire, dans le pays. Dans ce contexte, ce numéro spécial pose la question suivante : quel(s) rôle(s) les actes de mobilisation localisés ou transnationaux peuvent-ils jouer pour soutenir les droits des migrants forcés dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) ?
Les articles de ce numéro spécial attirent notre attention sur les initiatives visant à renforcer les droits des migrants forcés dans la région MENA. Les auteurs soulignent l’importance des actes de mobilisation dans des lieux et des contextes différents. Cependant, ils n’hésitent pas à évoquer les nombreux obstacles auxquels se heurtent souvent ces efforts. Certains de ces obstacles sont liés à la complexité du paysage juridique dans lequel ces initiatives s’inscrivent. D’autres obstacles sont liés aux restrictions imposées aux donateurs, aux politiques et pratiques européennes d’endiguement et à la criminalisation de plus en plus répandue de la solidarité : le fait de rendre illégal le soutien aux droits humains d’autrui.
Lors de la conceptualisation de ce numéro, nous avons adopté une conception large de la mobilisation comme les processus et les efforts entrepris par différents acteurs pour s’engager, se joindre et agir afin de lutter contre l’oppression structurelle et d’instaurer un changement social : dans ce cas, pour améliorer les conditions de vie des personnes en quête de refuge.[1] En tant que partenaires de ce numéro, nous avons particulièrement encouragé les articles rédigés par des personnes activement impliquées dans la négociation des droits dans la région, y compris les migrants forcés eux-mêmes, en collaboration avec d’autres personnes apportant un point de vue différent. Nous avons été ravis de constater que de nombreuses propositions ont répondu à cet encouragement. Les articles sélectionnés mettent en évidence les opportunités et les obstacles à la mobilisation à travers une variété d’initiatives, de l’organisation des réfugiés à la solidarité transnationale. Certains articles abordent activement des pistes de mobilisation potentielles, tandis que d’autres servent de mise en garde ; tous partagent les leçons tirées du processus.
La lecture de ces textes nous permet de constater que la solidarité et les approches ascendantes sont essentielles pour garantir une mobilisation significative et sûre des droits dans des environnements difficiles. Dans cette introduction, nous réfléchissons à trois leçons qui ressortent d’un certain nombre d’articles : l’importance des approches ascendantes, l’importance de la solidarité transnationale et les défis du phénomène dit d’« ONG-isation ». Ensemble, ces leçons illustrent la réalité : l’instauration d’un changement durable en faveur des droits des migrants forcés est un travail incroyablement difficile qui ne gagne pas à être romantisé.
Approches ascendantes
Plusieurs articles soulignent l’importance des efforts menés au niveau local et des approches ascendantes de la mobilisation. En se concentrant sur les auxiliaires juridiques des réfugiés en Egypte, Adhar Marup et Chuol Simon soulignent le rôle important que les réfugiés eux-mêmes peuvent jouer pour améliorer l’accès à la justice. Dans leur article sur les organisations dirigées par des réfugiés, Watfa Najdi, Mustafa Hoshmand, Farah Al Hamouri et Oroub el Abed expliquent plus en détails les mécanismes de soutien juridique que les réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban ont pu mettre en place pour eux-mêmes, ce qui leur a permis de jouer un rôle important dans des environnements politiques différents.
Khadija Al-Khawaj, Amouna Tammimi et Mette Edith Stendevad discutent de la manière d’intégrer les approches ascendantes dans la production de connaissances. Dans la pratique humanitaire, une grande partie des connaissances est produite dans des documents écrits tels que des rapports et des évaluations. Nous apprenons que ces approches standard ne reconnaissent souvent pas l’expertise des personnes et leurs propres efforts en faveur de la reconnaissance des droits. Sur la base de leur expérience en matière de recherche collaborative impliquant à la fois les chercheur(e)s et les participant(e)s, les auteur(e)s proposent des enseignements et des outils offrant un modèle utile pour la rédaction et les actions visant à mobiliser les droits.
Solidarité sans frontières
La deuxième leçon que nous souhaitons mettre en évidence dans ce numéro est l’importance de la solidarité transfrontalière pour soutenir les efforts de mobilisation. Thomas McGee et Zahra Albarazi racontent l’histoire de la création du réseau MENA de lutte contre l’apatridie, connu sous le nom de « Hawiati ». Étant donné l’absence de mécanisme formel de reconnaissance des apatrides dans la région, le plaidoyer et la solidarité peuvent, dans de nombreux cas, être les seuls outils disponibles. Cet article montre comment la mise en place de réseaux régionaux peut soutenir les efforts déployés au niveau local en faveur des apatrides et initiés par ces derniers.
La solidarité avec les personnes en déplacement est la principale force du projet Alarme Phone Sahara, dont il est question dans une conversation entre Maurice Stierl et Moctar Dan Yaye, un activiste qui réagit aux violations des droits humains auxquelles sont confrontées les personnes qui traversent le Sahara en direction de l’Afrique du Nord. Ce que nous apprenons, c’est qu’il est important d’être plus conscient des menaces qui pèsent sur la vie des personnes qui cherchent refuge et de celles qui cherchent à les aider. Ces menaces ne sont pas les mêmes d’un bout à l’autre de la planète. En évoquant les dangers auxquels il est confronté en raison de ses actions avec Alarme Phone Sahara, Moctar Dan Yaye nous rappelle que « nous sommes tous activistes, mais nous ne vivons pas la même situation. »
L’ONG-isation de l’aide aux réfugiés
Deux des articles réfléchissent à la manière dont les initiatives de mobilisation – y compris les efforts pour formaliser ces initiatives – interagissent avec les structures plus larges de l’aide humanitaire. Ces articles s’inscrivent dans le cadre de notre troisième leçon sur l’« ONG-isation ». Nous nous inspirons de l’interprétation qu’Islah Jad donne à ce terme, à savoir un mode d’organisation capable de transformer des questions collectives en « projets » isolés qui dépendent de financements étrangers.[2]
L’article de Dina Baslan nous emmène en Jordanie, où des réfugiés issus de minorités se sont unis à des sympathisants jordaniens et transnationaux pour lutter contre l’exclusion des programmes humanitaires et le racisme structurel auquel ils sont confrontés. Elle évoque les dilemmes auxquels l’organisation qu’elle a cofondée a été confrontée lorsqu’elle s’est formalisée en tant qu’ONG, notant que « nous avons constaté que nos capacités étaient surchargées en essayant de répondre aux besoins (parfois contradictoires) des différentes parties : la communauté, les organisations partenaires, les chercheurs, les donateurs et le gouvernement. » Dans leur contribution, Adhar Marup et Chuol Simon attirent notre attention sur un problème lié : les préjugés du secteur humanitaire quant à la capacité des réfugiés à agir en tant qu’auxiliaires juridiques, ce qui limite le rôle qu’ils sont autorisés à jouer.
Réflexions
En présentant divers exemples d’actes de mobilisation, les partenaires de ce numéro ont voulu témoigner de leur solidarité avec les activistes qui œuvrent en faveur des droits des migrants forcés. Nous nous considérons comme des activistes, mais nous sommes loin de vivre la même situation que nombre de nos contributeurs et contributrices. Par exemple, nous avons reçu un financement pour ce projet de la part du Conseil de la recherche de Norvège et n’avons couru aucun risque dans le processus. Nous avons beaucoup appris des auteur(e)s qui y ont contribué. Pour nous, cette expérience a suscité une réflexion sur les moyens de collaborer et de renforcer la solidarité avec les activistes (réfugiés) à l’avenir.
Nous espérons que ce numéro spécial invitera les lecteurs à réfléchir aux nombreuses possibilités de solidarité dans la région MENA, même si les conditions de mobilisation dans la région ne semblent pas propices à la solidarité. Chaque article, ainsi que les trois principales leçons que nous avons tirées ici – l’importance des approches ascendantes, les possibilités de solidarité transfrontalière et les défis liés à l’« ONG-isation » – nous permettent de constater que les initiatives soutenant les droits des réfugiés évoluent effectivement dans ces conditions et progressent. Bonne lecture !
Mirjam Twigt m.a.twigt@umail.leidenuniv.nl
Chargée de recherche, LDE Centre Governance of Migration and Diversity (Centre LDE Gouvernance des migrations et de la diversité), Université de Leiden ; ancienne boursière post-doctorale, Département de criminologie et de sociologie du droit, Université d’Oslo.
Nora Milch nora.milch@jus.uio.no
Consultante en recherche, Département de criminologie et de sociologie du droit, Université d’Oslo
Abdullah Omar Yassen abdullah.yassen@epu.edu.iq
Professeur adjoint en droit international public et responsable des relations culturelles, Bureau international, Université polytechnique d’Erbil
Les auteur(e)s sont les membres principaux de l’équipe du projet REF-ARAB. Pour en savoir plus sur leur travail, reportez-vous à la page 23 ou visitez leur site web : www.jus.uio.no/ikrs/english/research/projects/ref-arab/