Équité et engagement communautaire dans le transfert de la gestion de l'approvisionnement en eau

Des efforts sont actuellement entrepris dans les camps de réfugiés en Ouganda pour transférer la responsabilité des services d'eau des ONG aux services publics du pays. La transition doit être soigneusement gérée si l'on veut qu'elle réussisse.

L'Ouganda accueille environ 1,4 million de réfugiés, principalement originaires du Soudan du Sud et de la République démocratique du Congo. Afin d'améliorer la durabilité à long terme du service, le ministère ougandais de l'Eau et de l'Environnement (Ministry of Water and Environment - MWE) et le HCR ont commencé à transférer la gestion des systèmes d'approvisionnement en eau aux compagnies des eaux du pays. Actuellement, en Ouganda ce sont les agences humanitaires (principalement des ONG) qui sont responsables non seulement de la fourniture de services d'eau aux réfugiés mais aussi aux communautés d'accueil voisines.  Dans le cadre de ce transfert, il a été convenu de commencer à facturer l'eau dans les camps de réfugiés.

Les efforts entrepris jusqu’à présent par les acteurs du secteur de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène (WASH) se sont concentrés sur une série d'aspects, notamment la mise à niveau des systèmes d'approvisionnement en eau avant leur transfert, la détermination des tarifs que les utilisateurs réfugiés peuvent se permettre de payer, et le renforcement des capacités des services publics régionaux de l'eau (connus sous le nom d'autorités de tutelle). Toutefois, on peut craindre que la transition, dans sa forme actuelle, augmente les inégalités et rende les services d'eau inaccessibles - en termes d'emplacement physique et de capacité de paiement - à une population déjà vulnérable.

Oxfam a entrepris une étude en 2020 portant sur un certain nombre d'aspects de la transition des services publics : économie, engagement communautaire, gouvernance et responsabilité[1]. L'étude comprenait un examen documentaire, des entretiens avec des informateurs clés et des discussions de groupe, qui ont eu lieu en Ouganda en janvier et février 2020, axés sur quatre sites d’installation de réfugiés à différentes étapes de la transition : Rwamwanja et Kyaka II dans le centre-ouest de l'Ouganda ainsi que les sites de Rhino et Imvepi dans la sous-région du Nil occidental. Plusieurs domaines d'amélioration ont été identifiés qui pourraient contribuer à rendre la transition plus équitable, plus participative et en dernier ressort plus efficace. 

Contexte et risques

En général, les réfugiés de Rwamwanja et de Kyaka II étaient au courant des taux facturés aux usagers de l'eau ; alors que ce concept était nouveau dans la sous-région du Nil occidental. La plupart des réfugiés (dans les deux régions) ont déclaré qu'ils seraient prêts à payer si les services étaient de bonne qualité - c'est-à-dire si de l'eau potable était disponible à tout moment à un robinet voisin, avec un temps d'attente limité, et s'ils disposaient de possibilités pour augmenter leurs revenus. Cependant, les représentants des réfugiés du Nil occidental ont indiqué que les possibilités de subvenir à leurs besoins étaient limitées. Les préférences exprimées par les communautés concernant la réception d'argent ou de bons pour l'eau (en supposant que des fonds soient disponibles pour l'un ou l'autre) se divisaient en fonction de l'âge, du sexe et de la situation géographique. Une tendance clé s'est dégagée : une faible majorité d'hommes ont affirmé préférer l'argent liquide, qu'ils estiment plus avantageux en raison de ses multiples usages, tandis que les femmes se sont prononcées largement en faveur des bons en raison de leurs expériences négatives avec l'argent liquide remis pour la nourriture. Au vu de ces résultats variés, les différents partenaires devraient éviter de supposer qu'un seul modèle de transition des services d'eau pourrait s'adapter à tous les contextes.

Au contraire, les approches doivent s'appuyer sur des analyses de contexte approfondies pour adapter la transition des services publics à la réalité locale. Les partenaires doivent identifier des parties prenantes formelles et informelles, ainsi que des sources et des fournisseurs d'informations de confiance, au niveau des communautés. Il est également recommandé que l'acteur WASH chargé de la mise en œuvre - aux côtés d'autres partenaires pertinents - analyse tous les risques possibles de la transition proposée, en s'appuyant sur des données qualitatives et en veillant à ce que l’analyse des risques se poursuive tout au long du processus de transition plutôt qu'à un seul moment.

Suivi financier

Les services publics et les partenaires du secteur reconnaissent que les tarifs sont nécessaires pour couvrir les dépenses opérationnelles et contribuer aux coûts du cycle de vie de la prestation de services d'eau. Cependant, cette étude et d'autres ont remarqué l’absence fréquente de données détaillées sur les dépenses.

La construction, dans les camps de réfugiés, de distributeurs d'eau prépayés communaux, également appelés « distributeurs d'eau », est un développement émergent dans le secteur. Ces distributeurs permettent aux prestataires de services d'ajuster les tarifs, de sorte que les subventions puissent être progressivement supprimées. En Ouganda, dans les contextes de réfugiés, on reste incertain quant à la volonté et la capacité des utilisateurs finaux de payer leur consommation d’eau ; les données produites par ces distributeurs prépayés offrent toutefois la possibilité de déterminer des tarifs en fonction de l'utilisation et de l'historique des paiements réellement effectués par les individus.

Avant que les services publics n'appliquent les tarifs officiels, les agences WASH ont introduit des frais d'utilisation de l'eau informels, généralement au taux de 1 000 UGX (shillings ougandais) par ménage et par mois (équivalent à 0,28 USD). Ces frais ne suffisent pas à couvrir les dépenses mensuelles d'exploitation, mais sont considérés comme une étape intermédiaire utile avant l'introduction d’une tarification plus formelle. La gestion des actifs reste un défi majeur dans la gestion de l'approvisionnement en eau dans les camps de réfugiés, en particulier la planification et la budgétisation de l'entretien du capital.

Pour assurer un suivi financier efficace dans le cadre d'une transition réussie des services publics, les agences et les partenaires clés de WASH doivent :

  • mettre en place un outil de suivi et d'apprentissage pour les distributeurs communaux prépayés afin de documenter l'utilisation de l'eau et l’application des tarifs ;
  • établir une approche à l’échelle de l’ensemble du secteur pour tester et introduire des tarifs et des subventions dans les systèmes sans distributeurs prépayés ;
  • élaborer un modèle et un système communs pour le suivi des dépenses de fonctionnement et l'amélioration de la transparence ;
  • adopter un système de gestion des actifs à l'échelle de l’ensemble du secteur pour planifier les calendriers et les budgets de remplacement des immobilisations ;
  • atteindre un consensus à travers l’ensemble du secteur sur l'introduction intermédiaire de tarifs informels pour les usagers de l'eau dans les endroits où la transition vers les services publics n'a pas encore débuté.

 

Amélioration des modèles financiers et de la planification

Remettre à niveau des systèmes d'approvisionnement en eau par canalisation déjà existants avant leur transfert aux services publics est un objectif majeur des acteurs du secteur WASH. L'allocation de ressources pour des dépenses d'investissement dans les systèmes d'approvisionnement en eau contribue à la fois à la durabilité des systèmes dans le cadre de leur gestion future et à une meilleure équité de l'accès à l'eau potable. De telles dépenses comprennent l'extension des raccordements privés aux individus qui souhaitent avoir leur propre robinet. Cependant, ces raccordements privés sont subventionnés, et l’on peut craindre que la transition profite aux personnes économiquement favorisées au détriment des populations les plus vulnérables qui n'ont toujours pas accès aux raccordements publics. Les coûts des connexions privées ne devraient pas être subventionnés, à moins de cibler les populations vulnérables. Néanmoins, les utilisateurs de branchements privés paient des tarifs plus élevés et contribuent ainsi au potentiel de génération de revenus du système d'approvisionnement en eau, ce qui peut être positif - à condition que des investissements complémentaires soient réalisés pour garantir l'accès à l'eau pour tous aux robinets publics.

La Société nationale de l’eau et de l’assainissement (National Water and Sewerage Corporation - NWSC) de l'Ouganda, en accord avec le HCR, a pris en charge la gestion de l'approvisionnement en eau dans les camps de réfugiés de Rwamwanja et de Bweyale, où elle facture les réfugiés et les communautés d'accueil selon son tarif « favorable au plus pauvre » de 25 UGX (shillings ougandais) pour 20 litres d'eau. Cependant, les six autorités de tutelle fonctionnent comme des sociétés à responsabilité limitée et leurs tarifs d'eau sont déterminés système par système, en fonction du coût d'exploitation et de maintenance, et peuvent varier de 15 à 80 UGX (soit de 0,4 à 2 centimes de dollar US) pour 20 litres. Les usagers de l'eau doivent également payer une redevance aux opérateurs des bornes-fontaines publiques. Alors que le secteur a accordé une grande attention aux tarifs des services publics, peu de progrès ont été réalisés pour déterminer ce que devraient être les tarifs de ces bornes-fontaines publiques ; le risque est actuellement que leurs marges soient élevées et qu’en raison de ce coût l’eau devienne hors de prix pour les utilisateurs. Toutefois, les sites d’installation de réfugiés offrent un environnement où la réglementation des taux fixes est possible. Les taux doivent être déterminés avec les parties prenantes concernées dans le cadre du processus de consultation tarifaire qui est mené pour les taux tarifaires de l'Autorité de tutelle. Les taux doivent être établis de manière à fournir une incitation financière suffisante aux opérateurs de bornes-fontaines publiques pour qu'ils assument leurs responsabilités, sans pour autant exclure les utilisateurs finaux.

Inclusion, participation et responsabilité

Aucune des communautés consultées au cours de l'étude d'Oxfam n'avait connaissance du rôle actuel ou futur des Autorités de tutelles ou de la NWSC dans la gestion de l'approvisionnement en eau. Les communautés ont estimé qu'elles seraient obligées d'accepter la transition vers une gestion de l'approvisionnement en eau par les services publics si telle était la politique du HCR. En ce qui concerne les aspects liés à la gestion, les communautés de réfugiés étaient plus satisfaites des Conseils pour le bien-être des réfugiés (Refuge Welfare Councils - RWC) - structures administratives de représentation des réfugiés - que d'autres organismes comme les Comités d’usagers de l’eau (Water User Committees - WUC) qui sont souvent responsables de la gestion quotidienne des robinets. Les réfugiés ont participé à l'élection des RWC, tandis que les membres des WUC ont parfois été sélectionnés par les ONG en fonction de leur proximité avec les points d'eau. Les réfugiés se sont dits préoccupés par le fait que les WUC n'enregistraient pas correctement les paiements des frais d'utilisation. Les communautés n'avaient pas d'objection à ce que les WUC perçoivent les frais d'utilisation de l'eau si les représentants des WUC étaient élus d'une manière plus transparente impliquant les RWC et les ONG. Cela montre que la participation des utilisateurs finaux est primordiale pour qu’intervienne un changement de comportement qui conduira à un changement de culture vers l’acceptation du paiement de l'eau.

Un certain nombre de mesures sont nécessaires pour favoriser l'inclusion, la participation et la responsabilité :

  • Mettre en œuvre une stratégie de communication ciblant les besoins spécifiques et les langues locales ; cela devrait permettre une communication bidirectionnelle avec les communautés, y compris le traitement des plaintes et la prise en compte des commentaires pour améliorer les services et responsabiliser les acteurs du secteur WASH.
  • Développer un outil pour mesurer la participation communautaire, en s'assurant que la participation est inclusive et que toutes les sections de la communauté sont impliquées dans le processus décisionnel.
  • Fournir des informations clés aux utilisateurs finaux ; un meilleur accès à l'information permet aux communautés de contrôler le travail des services publics et de faire pression sur ces derniers pour qu'ils rendent des comptes, soient plus performants et tournent le dos à la corruption. Les utilisateurs finaux doivent avoir accès à des informations sur la qualité de l'eau, les prix et les structures tarifaires, la disponibilité de subventions et les systèmes de paiement des factures.
  • Développer des voies de recours détaillées selon une structure de gouvernance convenue, avec un lien clair entre les compagnies d'eau et les communautés par le biais de leurs structures de représentation de confiance. Les usagers de l'eau doivent pouvoir donner leur avis et faire part de leurs préoccupations par le biais de procédures clairement établies qui permettent aux compagnies d'eau de répondre de manière transparente.  
  • Donner aux structures communautaires existantes (telles que les WUC et les RWC) les moyens de plaider pour que leurs besoins en eau soient satisfaits, notamment en mettant en lumière les problèmes d'exclusion. Les ONG pourraient soutenir les organisations communautaires existantes par le biais d'un financement et/ou d'un renforcement des capacités afin qu'elles puissent faire entendre leurs propres voix.

 

Pour que cette transition profite réellement aux réfugiés, il est essentiel que les services publics et les partenaires aient les capacités d’améliorer l'équité, le suivi et l'inclusion. Une formation pertinente et un soutien continu de la part de spécialistes de l'engagement communautaire, de l'économie et de la responsabilisation pourraient faciliter ce processus.

 

John Allen John.Allen@oxfam.org

Ingénieur en eau et assainissement, équipe humanitaire mondiale, Oxfam

 

Caroline Muturi caroline.muturi@oxfam.org  @CarolMahighups

Promotion de WASH, Équipe humanitaire mondiale, Oxfam

 

[1] Pour plus d'informations, voir : Allen J et Muturi C (2020) Transition for All: Equity and community engagement in the transition of water supply management to utilities in refugee settlements in Uganda, UNHCR et Oxfam
https://oxfamilibrary.openrepository.com/bitstream/handle/10546/621155/rr-water-supply-management-refugee-settlements-uganda-311220-summ-en.pdf;jsessionid=7844C5C8C1F019CA6641D71E95C5B701?sequence=1

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.