Le traitement différencié des réfugiés en Irlande

Le gouvernement irlandais déploie des efforts considérables pour réinstaller les réfugiés syriens arrivant dans le cadre du processus de réinstallation du HCR mais il offre peu d’appui aux réfugiés (dont certains viennent également de Syrie) qui sollicitent l’asile de manière individuelle en vertu du système de protection internationale.

En réponse à la guerre en Syrie, le gouvernement irlandais a entrepris d’accueillir 4 000 réfugiés. La société civile et, plus généralement, la population irlandaise partagent ce sentiment de solidarité avec les personnes ayant souffert en Syrie, tandis que le slogan « Bienvenue aux réfugiés » a largement circulé au cours de l’année dernière. Dans le cadre de son engagement à accueillir ces personnes, l’État irlandais déploie des efforts importants et une assistance considérable en appui au programme de réinstallation des réfugiés syriens selon le processus organisé par l’agence de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR).

Entre 2000, date de son commencement, et fin novembre 2016, le programme de réinstallation dirigé par le HCR a apporté son appui à 1 705 personnes vulnérables originaires de 27 pays différents, dont l’Irak et la Syrie, pour les aider à commencer une nouvelle vie en Irlande[1] . Conformément à leur récent engagement d’accueillir 4 000 réfugiés syriens, les autorités irlandaises ont commencé à planifier la réinstallation de familles établies dans des camps de réfugiés hors de Syrie. À la mi-2016, plusieurs cohortes de Syriens étaient arrivées en Irlande et avaient été placées dans différents endroits à travers le pays. Les autorités fournissent des ressources financières à ces personnes pour les soutenir au cours de la première année de transition et pour aider immédiatement les familles à entrer en contact avec les écoles, les services de santé, les autorités responsables du logement, etc. Les organismes officiels sont mobilisés afin de garantir aux réfugiés un accès équitable aux services. Leurs besoins spécifiques immédiats, par exemple l’interprétation ou la garde d’enfants, sont pris en compte et satisfaits, dans la mesure du possible. L’engagement et l’intégration dans la communauté font également partie du processus de soutien à la réinstallation. Cette approche pratique et bien pensée de la réinstallation, même si elle se ne dure probablement qu’à peine plus d’un an, serait tout à l’honneur du gouvernements irlandais si on la considérait en dehors du contexte plus général de ses politiques et de ses pratiques en matière d’immigration.

Parallèlement aux efforts de réinstallation de ces réfugiés, 4 209 demandeurs d’asile (arrivés en Irlande par leurs propres moyens) attendent la décision relative à leur demande de protection et sont logés dans des conditions semblables à une prison à ciel ouvert, dans le cadre d’un système appelé « Direct Provision » (« Prestation directe »), qui ne permet pas aux demandeurs d’asile de travailler, d’étudier ni de cuisiner pour eux-mêmes. En 2016,109 demandes ont été déposées par des demandeurs d’asile syriens en Irlande[2].

Il faut parfois attendre jusqu’à dix ans pour que les autorités rendent leur décision finale concernant l’octroi de l’asile. Aucun soutien structuré n’est fourni aux personnes qui ont sollicité l’asile d’elles-mêmes dans le cadre du système de protection internationale et dont le statut a finalement été reconnu. Les anciens demandeurs d’asile sont abandonnés à leur propre sort et doivent subvenir eux-mêmes à leurs besoins pendant leur transition vers une vie indépendante, si bien que la pauvreté et les difficultés les attendent inévitablement sur le chemin.

La position du gouvernement en matière de « migration équilibrée »

Le nouveau gouvernement élu début 2016 a énoncé sa position en matière de migration dans une section intitulée « Garantir une migration équilibrée » (« Ensuring a Balanced Migration ») dans son Programme pour un Gouvernement de partenariat (Programme for a Partnership Government)[3]. Ce programme s’engage à offrir un refuge sûr aux réfugiés arrivant en Irlande dans le cadre du programme de réinstallation et à garantir leur intégration. En revanche, il n’utilise pas le même langage à propos des réfugiés sollicitant une protection dans le cadre du système établi par le droit international des réfugiés. La position du gouvernement en matière de migration se préoccupe fortement de la protection des foncières. Les multiples références à des mesures telles que « combattre la migration illégale », « se montrer plus sévère en cas d’abus » par de « faux demandeurs d’asile » et faciliter les expulsions sont loin de constituer une politique équilibrée.

La formulation du Programme pour un gouvernement de partenariat implique l’existence de deux catégories de migrants : les bons et les mauvais. Les bons migrants sont les bienvenus en Irlande et leurs besoins sont reconnus, tandis que les mauvais migrants ne sont pas les bienvenus et doivent être expulsés. Cette approche renforce les préjugés à l’encontre des demandeurs d’asile et ne contribue aucunement à la construction d’une société inclusive et égalitaire qui accorde aux migrants un même niveau de reconnaissance, de participation et d’opportunités.

En raison de ses préoccupations en matière de protection des frontières, le programme a manqué l’occasion de formuler une réponse exhaustive et juste face à l’immigration, notamment en ce qui concerne les conditions d’accueil des personnes à la recherche d’une protection en Irlande. Le programme a reconnu l’impact négatif du système de prestation directe sur la vie familiale des demandeurs d’asile mais sans reconnaître pour autant que ce système nuisait également au développement des enfants, aux libertés individuelles et à des conditions de vie digne.

Sortir du système de prestation directe

Afin d’éliminer l’arriéré de demandes déposées par des personnes qui attendent la détermination de leur statut depuis plus de cinq ans, un grand nombre de demandeurs d’asile se sont vus confirmer leur statut en 2015 et 2016. Il s’agissait d’une grande avancée et d’une « libération » pour les personnes qui étaient coincées dans les complexités du processus de protection irlandais depuis 10 ans parfois, voire plus encore dans certains cas. Toutefois, même après la reconnaissance finale de leur statut, presque aucun soutien ciblé de quelconque type n’a été apporté à ces réfugiés pour les aider à opérer la transition vers une vie indépendante et s’intégrer dans leur communauté. Seules quelques mesures symboliques ont été prises, par exemple la distribution d’une brochure informative (Your Guide to Independent Living) et des séances d’information proposées tous les trimestres aux résidents des centres à qui le statut de réfugié a été accordé.

Les réfugiés continuent de vivre avec une allocation de 19,10 € par semaine et on s’attend à ce qu’ils parviennent eux-mêmes à naviguer les procédures bureaucratiques complexes, par exemple demander une carte d’immigrant ou des prestations de sécurité sociale, faire un dossier de logement social, trouver un logement privé sous location et négocier l’allocation d’aide au logement. Les réfugiés doivent quitter le logement fourni par le système de prestation directe mais leurs coûts de déplacement pour visiter d’autres logements ne sont pas couverts, si bien qu’ils doivent essayer de couvrir ces coûts et celui des appels téléphoniques avec leur budget hebdomadaire de 19,10 €[4]. Une réfugiée nous a confié qu’elle avait reçu une allocation de 16 € pour un billet de train pour l’aider à quitter le Centre et se réinstaller ailleurs en emmenant tous ses effets personnels et ménagers. Les familles sont ainsi abandonnées à une vie de pauvreté, et doivent rembourser les sommes empruntées à des amis ou des « usuriers » afin de couvrir leurs frais de réinstallation.

Observations comparatives

Le Programme pour un gouvernement de partenariat donne le ton des politiques et des pratiques en matière d’immigration et envoie actuellement un message de division aux prestataires de services et au public. Sa position met en lumière le traitement différentiel accordé par l’État, dans le cadre duquel les besoins des réfugiés syriens réinstallés sont bien pris en considération tandis que ceux des personnes sortant du système de prestation directe semblent ne pas compter. Un tel traitement préférentiel constitue une politique inéquitable, qui creuse les inégalités dans la société et peut engendrer la frustration et même les conflits entre différents groupes vulnérables. Pour les réfugiés syriens déposant une demande d’asile en Irlande dans le cadre du système général de protection internationale, il doit être difficile de comprendre pourquoi leurs compatriotes arrivés en Irlande via le processus du HCR bénéficient d’un logement social et d’un éventail d’autres services de soutien, tandis qu’eux-mêmes peinent à trouver des locations privées à un coût abordable (dans le contexte de la profonde crise du logement qui sévit actuellement en Irlande) et doivent affronter un processus de transition complexe sans aucun appui.

Pour les professionnels du secteur, il est particulièrement préoccupant de constater que les personnes sollicitant une protection en vertu des procédures de la Convention relative aux réfugiés ne sont pas traitées de la même manière que les personnes réinstallées dans le cadre du processus du HCR. Les organismes de défense des droits humains, tant nationaux qu’internationaux, devraient s’adresser à l’État irlandais pour faire part de leurs préoccupations quant à son traitement des réfugiés. Cette négligence à l’égard du principe d’égalité, pourtant central aux droits humains, doit être remise en question dans le cadre de la législation nationale sur l’égalité et du droit constitutionnel, européen et international des droits humains.

 

Natalya Pestova pestovang@gmail.com
Coordinatrice de projets, Mayo Intercultural Action www.miamayo.ie

 

 

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