Restitution de la propriété en Colombie

La fragilité de la propriété foncière et des droits de propriété a causé et exacerbé le déplacement en Colombie. En réponse, le gouvernement a établi un cadre juridique pour résoudre le problème, et dans le but ultime de prévenir des déplacements futurs. La reconstruction des relations et de la confiance au sein des communautés est un aspect central pour le succès de cette approche.

L’histoire de la dépossession des terres et du déplacement en Colombie s’enracine  dans des causes variées et  a entraîné l’un des déplacements de population les plus nombreux au monde. Tout d’abord, les droits des propriétaires ont été affaiblis par des ventes de terres à travers lesquelles les paysans et les communautés rurales ont été contraints – par la force, par des comportements abusifs ou par de fausses informations – de vendre leurs titres de propriété et d’abandonner leurs terres. Les ventes de terres menées de cette manière correspondent rarement à la valeur réelle du marché. Un deuxième mode de dépossession de la terre a eu lieu lorsque les propriétaires ont abandonné leurs terres en raison du conflit et de l’occupation qui s’en est suivie. Un troisième mode de spoliation des terres est intervenu à travers des transferts forcés et illégaux de titres de propriété dans lesquels des individus ont utilisé leurs postes gouvernementaux et ont agi en complicité avec des forces locales non-étatiques, pour détourner la protection offerte par des organes de gouvernement local. Certains de ces transferts malhonnêtes ont été effectués à travers des fraudes juridiques ou de procédures.[1]

Les effets de cet accaparement et de cette occupation des terres et des déplacements forcés ont été déterminants. Le Département de planification nationale colombien estime que les déplacements forcés ont touché 700 000 familles (plus de trois millions de personnes). Plus de 3 200 000 hectares – 5% des terres agricoles colombiennes – ont été accaparés ou abandonnés par des personnes qui ont été forcées de quitter la zone concernée.[2]

Mesures gouvernementales pour éviter la dépossession et le déplacement

Le gouvernement colombien a élaboré une série de politiques pour faciliter la restitution des terres et renforcer les droits des propriétaires terriens, afin de prévenir ainsi de futurs déplacements et permettre le retour de ceux qui ont été forcés de quitter leur zone d’origine. Depuis 2003, le gouvernement a mis en place le Projet protection de la terre et héritage des populations déplacées, dont le but est de minimiser les risques d’appauvrissement des populations déplacées.[3] Dans 21 régions de Colombie, le Projet s’est efforcé de garantir le plein exercice des droits de propriété en mettant en place des mesures de protection des biens. Il a également cherché à promouvoir l’officialisation des droits de propriété, notamment à travers la reconnaissance des droits des communautés indigènes et afro-colombiennes, et il a mis en œuvre des processus de gestion pour la restitution de terres, à la fois dans des situations d’accaparement foncier et lorsque des personnes ont été forcées par la violence d’abandonner leurs terres.  Le Projet a soutenu des processus d’émission de titres de propriété foncière dans neuf régions du pays, produisant plus d’un millier de titres qui ont conféré des droits formels à des paysans occupants, certains d’entre eux qui avaient déjà été déplacés et d’autres qui étaient confrontés à un risque élevé de déplacement.  

Le gouvernement actuel, sous les auspices du Président Santos, a inclus une politique de restitution des terres dans son Plan de développement national pour 2010/2014. Cette politique réaffirme les droits des populations déplacées, se concentre sur l’accès à la justice pour ceux qui ont perdu leurs propriétés du fait de la violence armée, et pose les fondations pour la résolution d’autres questions de violations des droits de l’homme et de justice transitionnelle.

Dans le cadre de la loi colombienne 1448 de 2011, Victimes et restitution foncière, la restitution de la terre est une partie intégrante de la stratégie qui consiste à prévenir activement les déplacements forcés de masse.. Le gouvernement Santos espère pouvoir résoudre 160 000 demandes de restitution au cours de la période 2011 à 2014, en : 1) promouvant les droits des propriétaires et en résolvant les différents fonciers ; 2) décourageant l’accaparement et l’occupation de terres au sein de la société rurale colombienne ; 3) mettant en place un mécanisme de recours à l’intention des personnes déplacées de force et spoliées de leurs terres. Parmi certaines des mesures prises pour parvenir à ces objectifs se trouvent les suivantes : 

  • Ne plus faire reposer la charge de la preuve de la propriété antérieure sur la personne dépossédée mais faire reposer au contraire la charge de la preuve sur le ‘nouveau’ propriétaire.
  • Établir un registre pour enquêter et déclarer quelles sont les terres qui ont été expropriées et abandonnées de force.
  • Introduire une nouvelle procédure en deux étapes pour effectuer la restitution de terres expropriées, consistant en une unité administrative spécialement consacrée à la restitution de terres et en un organisme juridique comprenant des spécialistes en matière de questions foncières.
  • Établir un programme de compensation, prévoyant la restitution des terres en nature, lorsqu’applicable, et des compensations financières (prélevées sur un fonds également établi dans le cadre de cette loi) lorsque les terres ne sont pas directement disponibles.  
  • Mettre en place graduellement et progressivement les programmes prévus par cette loi avec chacune des 364 municipalités faisant l’objet d’une priorité en fonction de l’étendue des dépossessions foncières qu’elles connaissent.

 

Plusieurs bailleurs, notamment USAID, l’ONU et des agences comme l’OIM, ont été impliqués dans le soutien à la mise en œuvre de cette politique de restitution foncière en apportant leur concours technique ou financier; l’OIM a structuré une série de projets pilotes et a contribué au renforcement des capacités à l’intérieur des institutions chargées de la mise en œuvre de cette politique.

Finalement, la loi Victimes et restitution foncière fournit un cadre juridique pour stabiliser la propriété foncière et prévenir de futurs déplacements. Au-delà d’avantages évidents qui consistent à identifier les cas de dépossession foncière, assister les victimes et fournir les bases d’une restitution, ces programmes ont permis de réinsuffler un sentiment de confiance au sein des communautés et ont envoyé  - à travers tout le pays -  le message selon lequel le gouvernement ne tolèrerait aucun déplacement causé par l’accaparement et l’occupation foncières. Mis en œuvre par le biais d’une approche communautaire ces programmes sont allés bien au-delà de l’aide administrative et juridique vers une sorte de guérison culturelle

Cette loi est le résultat d’un consensus national entre de nombreuses parties prenantes comme le gouvernement, le congrès, les partis politiques, les organisations de défense des droits de l’homme et de défense des victimes. Elle promeut un modèle dont le l’objectif est de parvenir à briser le cycle de la victimisation et d’initier à sa place un processus de restitution de pouvoir. Les solutions envisagées dans le cadre de la loi incluent la promotion d’une participation active des victimes à la conception et à la mise en œuvre de la loi, à l’accompagnement et à l’aide aux victimes par la mise en place de moyens d’existence, et au soutien de réseaux et d’initiatives émanant des victimes elles-mêmes. En vertu de cette la loi, c’est le respect de la dignité des victimes, de leurs aspirations et de leurs histoires qui devrait prévaloir dans le processus de participation – ce qui à son tour devrait contribuer à les émanciper et à renforcer leur confiance. Alors même que ce processus est encore en cours, la volonté de permettre une participation élargie et égalitaire de tous les membres de la communauté constitue une excellente plateforme pour reconstruire la confiance au sein de la communauté. Un engagement soutenu de toutes les parties prenantes concernées sera nécessaire pour parvenir à la réconciliation entre les membres de la communauté et à la restauration de la confiance publique.

Le nombre considérable des demandes constitue en soi un défi significatif pour la mise en œuvre de ce projet. En novembre 2012, le gouvernement avait déjà enregistré plus de 25 000 demandes pour un total de deux millions d’hectares de terres. Il ne fait aucun doute que ce processus nécessitera des ressources considérables et sur une longue période de temps. Néanmoins, les progrès commencent lentement à être visibles. Dans la communauté de Manpujan, par exemple, les habitants commencent à sentir qu’ils ont le pouvoir d’agir par rapport à leurs revendications en matière de propriété foncière, et ils contestent plus de 2 000 décisions juridiques antérieures contraires à leurs revendications ; ce qui jusqu’à présent a abouti à la restitution de 14 propriétés. Il s’agit là de résultats modestes mais qui constituent des victoires déterminantes pour des personnes qui ont été dépossédées de leurs terres.    

 

Eduardo Medina emedina@iom.int est Coordinateur de programme et s’occupe des questions rurales et de migration en Colombie au sein de l’Organisation internationale pour les migrations www.iom.int



[1] Ministère de l’agriculture et du développement rural. Programme de consultation en matière de recours foncier. (CONRET). Bogotá DC, décembre 2008.

[2] Département national de la planification, Ministère de l’agriculture et du développement rural, Ministère de l’intérieur et de la justice, Agence de la présidence pour l’action sociale et la coopération internationale. Politique sur la terre et le territoire en faveur de la population victime de déplacements forcés ou  en danger de déplacements forcés et de dépossession. Bogotá, 30 octobre 2009.

[3] Le Projet est sponsorisé par la Banque Mondiale, le Département colombien pour la prospérité sociale (Action sociale), le Ministère colombien de l’agriculture et du développement rural, la Commission européenne, l’UNHCR et USAID  et compte sur l’assistance technique et administrative de l’OIM.

 

 

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