Visas humanitaires : s’appuyer sur l’expérience du Brésil

Les visas humanitaires du Brésil en ce qu’ils offrent aux migrants forcés une passerelle légale permettant d’atteindre un pays plus sûr sont un outil important de protection complémentaire. Ils comportent tout de même des défauts à corriger si l’on veut qu’ils puissent servir ailleurs de modèle d’instrument amélioré pour la protection des migrants humanitaires.

Le Brésil a commencé à délivrer des visas humanitaires aux Haïtiens en 2012 après le séisme dévastateur qui avait frappé Haïti en 2010. Cette mesure a été étendue en 2013 de manière à ce que les personnes touchées par le conflit syrien puissent en bénéficier. La législation nationale sur la migration remonte à la période de la dictature (de 1964 au milieu des années 1980) et, dans sa logique de sécurité nationale, n’offre que des possibilités restreintes de visas et de statuts réguliers aux migrants. Cette situation a été légèrement modifiée vers la fin des années 1990 lors de l’entrée en vigueur d’une législation spécifique aux réfugiés qu’il est possible de considérer comme un pas en avant vers l’acceptation de motifs humanitaires pour résider dans le pays. Depuis les débats n’ont pas cessé pour modifier le régime migratoire de manière à permettre d’autres formes d’entrée et de résidence pour motif humanitaire dans le pays mais la seule avancée réelle a été l’introduction de visas humanitaires ad hoc à l’intention des migrants forcés, ce qui a tout de même valu des félicitations au Brésil.

Les Haïtiens

Au lendemain du tremblement de terre de 2010, les Haïtiens qui voulaient émigrer au Brésil rencontraient deux difficultés : premièrement, un visa de tourisme courant était nécessaire, ce que de nombreux Haïtiens ne possédaient pas, et deuxièmement, les routes jusqu’au Brésil étaient dangereuses du fait de l’activité des trafiquants humains. En 2012, le gouvernement brésilien a décidé de créer une passerelle pour faciliter la venue des Haïtiens au Brésil et a rendu possible l’obtention à l’ambassade brésilienne de Port au Prince de visas humanitaires mentionnant « la détérioration des conditions de vie de la population haïtienne suite au tremblement de terre dans ce pays le 12 janvier 2010 ».

Le quota initial de 1200 visas par année et la restriction qui limitait la délivrance des visas à Port au Prince, ont été révoqués par la suite. N’importe quel nombre de visas pouvaient être obtenus et auprès de n’importe quel consulat brésilien, y compris en dehors d’Haïti. Il est important de remarquer que les exigences imposées pour l’obtention des visas humanitaires sont moindres que pour un visa de tourisme courant, et ne nécessitent qu’un passeport en cours de validité, une preuve de résidence en Haïti et une preuve de bonne réputation.

Ces visas devenaient ainsi un moyen de faciliter l’arrivée des Haïtiens au Brésil, une mesure novatrice qui permettait l’entrée dans un pays plus sûr. Mais une fois dans le pays ils n’avaient aucune garantie de statut migratoire. Au vu de cela, la plupart des Haïtiens ont cherché à obtenir le statut de réfugié ce qui leur permettait à partir de ce moment-là d’obtenir des documents provisoires et un permis de travail. Toutefois, le gouvernement ne considérait pas les crises environnementales comme un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié. La solution adoptée a donc consisté à transmettre les demandes de statut de réfugié des Haïtiens au Conseil national de l’immigration (National Immigration Council - CNIG) qui a la compétence de statuer sur les cas considérés comme « spéciaux ou hors régulation ». Le CNIG a accordé la résidence permanente pour motif humanitaire aux Haïtiens, et ceux d’entre eux qui possédaient un visa humanitaire voyaient leur statut migratoire résolu plus rapidement. On estime que plus de 85 000 Haïtiens sont entrés au Brésil depuis le tremblement de terre.

Les Syriens

Le gouvernement brésilien considère qu’il est important pour les réfugiés d’avoir accès à des procédures de demande d’asile, de reconnaitre le fardeau disproportionné qui risque de peser sur les pays voisins des conflits, et de voir la communauté internationale agir parce qu’il s’agit de questions de droit international.[1]

À la lumière de ce qui précède, en 2013 le Comité national des réfugiés (CONARE) a adopté une résolution permettant l’octroi de visas aux personnes touchées par le conflit syrien assortie d’exigences encore moins contraignantes que pour l’obtention d’un visa courant.[2] Valable initialement pendant deux ans, cette résolution a été renouvelée en 2015 pour trois années supplémentaires.[3] La résolution reconnait que ceux qui fuient ou sont persécutés ne sont habituellement pas en mesure de remplir les conditions officielles attachées à l’obtention d’un visa brésilien, comme par exemple de présenter des relevés de compte en banque, des lettres d’invitation et un billet d’avion aller-retour. Dans ce cas, les ambassades brésiliennes ont exceptionnellement l’autorisation d’accorder des visas même lorsque le titre de voyage a une validité de moins de six mois et de fournir un laissez-passer à ceux qui n’ont pas de passeport en cours de validité. Toutefois, les membres de famille des ressortissants syriens qui se trouvent au Brésil n’ont pas été en mesure d’obtenir des visas humanitaires pour eux-mêmes. Dans les représentations diplomatiques brésiliennes ces personnes ont reçu pour conseil d’opter plutôt pour une demande de réunification familiale, mais dans la mesure où un nombre non négligeable de Syriens au Brésil sont encore des demandeurs d’asile, pas encore des réfugiés, une telle demande signifie dans la pratique que les membres de leur famille n’ont pas la possibilité d’entrer au Brésil.[4]

Les dispositions générales de la résolution permettent l’octroi de visas non seulement aux ressortissants syriens mais également à toute personne touchée par le conflit syrien de telle sorte que des groupes minoritaires comme les Palestiniens et les Kurdes peuvent également se prévaloir de ce programme de visas humanitaires du Brésil. Plus de 8500 visas humanitaires ont été accordés au total[5] et 26 % de tous les réfugiés actuellement au Brésil sont Syriens. Forts de 2298 membres les Syriens constituent le groupe de réfugiés le plus important dans le pays.[6]

Comme dans le cas des Haïtiens, les visas humanitaires destinés aux personnes touchées par le conflit syrien permettent de faciliter le voyage au Brésil. Une fois que ces personnes se trouvent dans le pays, il devient alors nécessaire de trouver des formes de régularisation de leur statut migratoire. 

Une bonne solution, mais jusqu’à quel point?

Le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, a félicité le Brésil pour l’utilisation des visas humanitaires dans le contexte du conflit syrien et a encouragé instamment d’autres pays à prendre des mesures similaires afin de contribuer à la mise en place de voies de migration régulière à l’intention des personnes touchées par ce conflit.

Toutefois, et même si les visas humanitaires constituent un développement positif du régime migratoire brésilien, le système comprend des défauts. Le premier d’entre eux réside dans le fait que les visas humanitaires brésiliens sont établis par le biais de résolutions normatives adoptées par des organes administratifs de l’exécutif. Cela signifie qu’ils peuvent arriver à expiration, être amendés ou révoqués en fonction du bon vouloir politique du gouvernement. Fin 2015, alors que la résolution sur les visas humanitaires pour les personnes touchées par le conflit syrien approchait de sa date d’expiration, il existait un risque bien réel qu’elle ne soit pas renouvelée. Elle l’a finalement été, mais l’incertitude et l’insécurité juridique sont la caractéristique de ces deux formes de visas.

Un deuxième problème concerne le fait que les visas humanitaires ont été établis et sont appliqués dans des situations ad hoc fondées sur la nationalité ou des contextes spécifiques, à savoir pour des groupes ou des personnes spécifiques. Il semblerait donc qu’ils constituent une infraction aux principes d’équité et de non-discrimination. La question doit être posée, pourquoi d’autres migrants provenant de situations similaires ne bénéficient-ils pas de cette même forme de protection ?

Dans la mesure où ces deux défauts peuvent être perçus comme prêtant davantage de flexibilité à l’application des visas humanitaires, le modèle pourrait sembler acceptable à des États qui souhaiteraient l’imiter tout en restant en mesure d’adapter les visas humanitaires à certains groupes ou situations en fonction de leurs souhaits. Ce modèle ajoute toutefois un degré d’incertitude et renforce la nature politique d’une mesure par ailleurs humanitaire.

Troisièmement, il reste le fait qu’une fois dans le pays d’autres formes de protection doivent être trouvées. Dans le cas du Brésil, toutes les formes de protection humanitaire mènent en pratique vers une demande de reconnaissance du statut de réfugié, ce qui engendre une inflation sévère et fait peser une pression conséquente sur le système chargé de s’occuper des réfugiés. Il ne semble toutefois pas exister de plan d’urgence dans le cas où des personnes qui ont obtenu des visas humanitaires ne seraient pas reconnues comme des réfugiés, ou ne réussiraient pas à obtenir un autre statut migratoire au Brésil.

Pour finir, pendant la plus grande partie de la période d’existence de ces visas, les demandeurs d’asile provenant du conflit syriens qui ont obtenu des visas humanitaires ont été reconnus comme des réfugiés en tant que groupe et sur une base prima facie, c’est-à-dire à première vue sans avoir à subir de détermination du statut de réfugié à titre individuel. Une telle pratique pourrait potentiellement mener à reconnaître comme réfugiés des auteurs de persécutions. Récemment néanmoins des entretiens individuels ont été réintroduits en tant que mesure toute simple de correction de ce problème.

De manière similaire, il semble exister des solutions évidentes à toutes les critiques que suscitent les visas humanitaires du Brésil. Si les visas humanitaires sont appelés à devenir une avancée plus généralisée vers la protection des migrants humanitaires, la pratique brésilienne peut être considérée comme un bon point de départ.

 

Liliana Lyra Jubilut lljubilut@gmail.com
Professeure, Université Catholique de Santos www.unisantos.br

Camila Sombra Muiños de Andrade camilamuinos@gmail.com
Doctorante, Université de São Paulo www.usp.br

André de Lima Madureira alimadureira@gmail.com
Étudiant en maîtrise ès sciences en droits de l’homme, London School of Economics www.lse.ac.uk et Membre du Groupe de recherche « Human Rights and Vulnerabilities » de l’Université Catholique de Santos www.unisantos.br

Les trois auteurs font partie du projet Brazil’s Rise to the Global Stage (BraGS) de PRIO : Humanitarianism, Peacekeeping and the Quest for Great Powerhood www.prio.org/Projects/Project/?x=1645



[1] Propos de l’Ambassadeur du Brésil  lors de la Réunion de haut niveau sur le partage au plan mondial des responsabilités par des voies d’admission des réfugiés syriens. Genève, 30 mars 2016.

[4] Entretien avec Larissa Leite, Coordinatrice protection du Centre pour les réfugiés de Caritas, Archidiocèse de São Paulo.

[5] L'Ambassadeur du Brésil, voir note 1

 

 

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