Le rôle de la communauté dans les trajets des réfugiés vers l’Europe

Pour les Erythréens et les Syriens qui se rendent en Europe, les réseaux communautaires encouragent la décision initiale de partir et fournissent également des éléments de soutien tout au long du trajet.

Nous savons depuis longtemps que d’une certaine manière, les connections et les réseaux sociaux facilitent souvent la migration des personnes, par exemple en couvrant les frais initiaux ou en recevant les personnes à leur arrivée. Mais ces mêmes réseaux ont aussi un rôle à jouer en tant que promoteurs de la migration comme option parfaitement viable. Dans le cadre d’une étude menée pour l’Overseas Development Institute[i], nous avons interrogé 52 personnes de trois pays différents (Erythrée, Sénégal et Syrie) qui ont récemment « réussi » en émigrant dans trois pays européens : l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni. Pour beaucoup d’entre elles, les conseils et les actions de personnes qu’elles connaissaient les ont souvent aidées à prendre la décision de partir. La plupart du temps, ces sources d’influence étaient des contacts personnels qui avaient déjà fait le voyage. Presque tous les Syriens interrogés, par exemple, connaissaient personnellement quelqu’un qui avait déjà entrepris le voyage par les Balkans. Cette réalité, ainsi que le partage des parcours individuels de ces personnes par le biais des communautés sociales en ligne, sont deux des éléments qui normalisent l’idée de franchir les frontières.

La couverture médiatique de la « crise des réfugiés » tend à représenter les réfugiés et les migrants comme des victimes passives soumises aux humeurs de passeurs malveillants. Mais il est inexact de s’imaginer que ces personnes n’exercent aucun contrôle sur leur destin. Malgré la vulnérabilité qui sous-tend les trajets de beaucoup de réfugiés et migrants (découlant elle-même de leur statut de sans-papiers, du désespoir, de la peur et du manque de connaissance des nouveaux lieux et des nouvelles règles), les réfugiés négocient, unissent leurs forces et ripostent.

Jusqu’à présent la « crise des réfugiés » a été en partie définie par le rôle de la communauté, qui facilite la migration et protège les individus vulnérables. Les exemples les plus visibles ont fréquemment revêtu la forme d’interventions de citoyens européens mais les migrants et les réfugiés eux-mêmes s’apportent mutuellement des éléments de soutien vitaux. Le résumé du trajet d’une Syrienne en offre une illustration unique mais loin d’être atypique :

Après la traversée depuis la Turquie, Fatima et ses deux enfants ont fini par voyager de la Grèce à l’Allemagne avec un groupe de quatre hommes irakiens qu’elle avait rencontrés sur le bateau de la Turquie à la Grèce. Ils ont défendu Fatima dans les situations menaçantes, payé sa part des frais une fois qu’elle était à court d’argent et porté ses enfants quand ils marchaient pendant des jours. Lorsque le groupe de voyageurs est arrivé à Munich, chacun d’entre eux est parti dans différentes villes où ils avaient des amis. Fatima est restée coincée à la gare de Munich sans argent. Mais encore une fois, la chance a croisé son chemin. Elle a rencontré un Allemand qui lui a dit qu’il y avait à proximité un supermarché tenu par des Irakiens qui seraient susceptibles de l’aider. Elle s’y est rendue. L’Irakien lui a acheté des billets de train, a donné des biscuits aux enfants ainsi que 50 euros pour eux. Plus tard, le même jour, ils ont pris le train pour Berlin.

Par conséquent, loin d’être le produit d’un comportement rationnel purement individualiste, nous voyons que la migration est au contraire un exemple d’actions collectives. Comme l’illustre le cas de Fatima, cette action collective est facilitée par une identité commune, qui pourrait provenir de la participation conjointe au trajet lui-même, et même finalement de l’appartenance à une communauté, aussi floue et temporaire qu’elle soit. Nous pouvons constater cela par rapport au financement, à la prise de décision et, de manière plus générale, à la facilitation. Nous pouvons dire la même chose sur la manière dont les migrants et les réfugiés s’efforcent de garantir leur protection tout au long du voyage ; ces actions collectives, loin d’être des faits uniques, sont sans cesse observées.

 

Richard Mallett r.mallett@odi.org @rich_mallett

Jessica Hagen-Zanker j.hagen-zanker@odi.org

Chercheurs associés pour l’Overseas Development Institute www.odi.org



[i] Hagen-Zanker J et Mallett R (2016) Journeys to Europe: the role of policy in migrant decision-making, Insights Report, Overseas Development Institute www.odi.org/publications/10317-journeys-europe-role-policy-migrant-decision-making

 

 

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