Accélération de processus et sélection : le pouvoir à l’intérieur du régime de réinstallation des réfugiés

Il existe un déséquilibre en termes de pouvoir – et en conséquence un manque d’autonomie pour les réfugiés – inhérent à la structure même du régime de réinstallation en vigueur. Le processus vertical, du sommet vers la base, de sélection entraîne également des dilemmes éthiques, comme le démontrent certaines accélérations des opérations de réinstallation.

Sur les trois solutions durables, la réinstallation est souvent la dernière option prônée par l’UNHCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, et la dernière option dans les souhaits des réfugiés. Il arrive cependant dans de nombreux conflits un moment charnière où le HCR s’efforce, en coopération avec les États, de trouver des options de réinstallation pour un petit nombre de réfugiés sélectionnés : la possibilité de se réinstaller dans un pays tiers est offerte à moins de 1% de la totalité des réfugiés.

De quelle manière un réfugié devient-il/elle l’une de ces rares personnes ? La réponse est : habituellement, les réfugiés ne peuvent pas choisir. La structure actuelle du régime de réinstallation exige que ce soit tout d’abord le HCR qui sélectionne les réfugiés pour ensuite transférer leurs dossiers aux États. Les États ont alors tout loisir de les accepter ou non.          

Le régime de réinstallation des réfugiés est conçu pour identifier et protéger les réfugiés « les plus vulnérables ». Ce système se fonde sur la définition du réfugié aux termes de la Convention de 1951 et c’est cette définition qui est utilisée par le HCR pour déterminer le statut des réfugiés et les enregistrer en tant que tels dans les pays de premier asile. Étant donné le nombre limité de places de réinstallation offertes par les pays d’accueil, le HCR a élaboré sept catégories par critères de priorité en vue d’identifier les réfugiés qui ont les besoins les plus pressants ou les plus sérieux en matière de protection. Le HCR trie, filtre et classe par priorité les réfugiés en fonction de ces catégories pour faire des recommandations de réinstallation aux États.  Le processus de sélection et de recommandation en vue d’une réinstallation varie selon les régions et les bureaux du HCR, et les fonctionnaires chargés de la protection peuvent recourir à des évaluations participatives, à l’Outil d’identification des risques élevés, ou à d’autres modes de sélection en vue d’identifier les réfugiés les plus vulnérables et les recommander pour une réinstallation.            

Le Manuel de réinstallation du HCR, affirme que la sélection ne doit pas se fonder sur le souhait d’acteurs spécifiques, comme l’État d’accueil, les États de réinstallation, d’autres partenaires ou encore le personnel du HCR lui-même » [1]. Dans la réalité, très peu d’États acceptent des réfugiés en vue d’une réinstallation sur la base d’un « dossier », c’est-à-dire sans autre examen individuel des cas ou sans critères de sélection additionnels. De fait, la plupart des États font valoir leurs propres critères spécifiques de sélection et créent ainsi la dernière strate sélective du régime de réinstallation. Bien souvent, des désidératas sociétaux et politiques étayent ces critères supplémentaires. Certains États choisissent des réfugiés qui parlent déjà la langue locale ou qui ont une éducation supérieure et des compétences professionnelles, et tiennent compte de la capacité des réfugiés de s’intégrer à la société d’accueil sans trop d’assistance. D’autres États priorisent la protection de réfugiés qui ont des besoins médicaux urgents. Certaines exigences spécifiques des États correspondent à des calendriers politiques ou fiscaux de manière à pouvoir remplir des promesses de campagne ou s’adapter à des allocations budgétaires. Certains États ont mis en place des quotas ou des plafonds de réinstallation qui peuvent être définis plus précisément en fonction de la nationalité des réfugiés.

Le Manuel insiste également sur le fait que le HCR fonde sa sélection sur « les besoins objectifs en termes de réinstallation des réfugiés et non pas sur leurs souhaits subjectifs ». La « réinstallation n’est pas un droit » est une phrase fréquemment répétée afin de faire passer ce type de message, peut-être en vue de rassurer les États sur le respect de leur souveraineté ou de tempérer les attentes des réfugiés. Les réfugiés n’ont qu’un choix très limité dans le cadre du système de réinstallation. Habituellement les réfugiés ne peuvent pas prendre l’initiative et effectuer eux-mêmes une demande de réinstallation. Même les réfugiés sélectionnés en vue d’une réinstallation ne peuvent pas choisir dans quel pays ils seront réinstallés. En dernière instance, la seule capacité d’action laissée aux réfugiés dans le cadre du régime de réinstallation est le choix de ne pas se réinstaller si une réinstallation leur a été offerte. En conséquence, le régime de réinstallation tel qu’il fonctionne dans l’actualité donne du pouvoir au HCR et aux États et laisse les réfugiés avec très peu ou pas d’initiative dans la décision, et ce, même si le HCR promeut l’autosuffisance comme un objectif fondamental dans le cadre des solutions durables[2]. Un tel déséquilibre de pouvoir exige un examen plus approfondi, une nécessité qui est devenue encore plus patente dans le cadre des récents efforts pour réinstaller les réfugiés syriens.    

Accélération dans le cadre de la réinstallation des Syriens

Depuis 2013, le HCR a recommandé plus de 242 000 réfugiés syriens en vue d’une réinstallation ou d’autres formes d’admission dans des pays tiers[3], et il a déployé toute une variété de stratégies afin de remplir les engagements de réinstaller des Syriens pris par certains États. Premièrement, il a priorisé l’envoi de réfugiés vers les pays de réinstallation qui avaient les fenêtres de réinstallation les plus urgentes. Certains États étaient des novices en matière de réinstallation et avaient des engagements politiques à couvrir dans des délais particulièrement sensibles, et le HCR a fait en sorte que ces pays soient les premiers à recevoir des Syriens candidats à la réinstallation.

Plusieurs États, et notamment le Canada et les États-Unis, ont mis en place des opérations « accélérées » de réinstallation afin d’accueillir un nombre particulièrement élevé de réfugiés syriens sur des périodes très courtes. Fin 2015, le gouvernement canadien a accéléré le processus de réinstallation à l’intention des réfugiés syriens venant de Jordanie et du Liban, une opération qui a culminé avec l’arrivée de 25 000 réfugiés syriens au Canada. Début 2016, les États-Unis ont fait de même en démarrant une opération intensive similaire en Jordanie[4].

Dans le cadre de ces opérations accélérées, le HCR et les États concernés appliquent des critères de sélection supplémentaires en vue de mieux délimiter le profil des réfugiés et accélérer les recommandations de dossiers. Le gouvernement canadien a accordé la priorité à « des réfugiés vulnérables qui présentaient de faibles risques de sécurité, comme des femmes en situation de risque et des familles entières »[5] . Le gouvernement des États-Unis s’est également concentré « plus particulièrement sur les survivants de violence ou de torture, les personnes souffrant de pathologies graves ainsi que les femmes et les enfants – en toute cohérence avec nos impératifs en matière de sécurité nationale » [6]. Les raisons justifiant l’addition de ces critères allaient d’une volonté de réduire les délais de traitement en écartant les réfugiés susceptibles d’interdiction au titre des clauses d’exclusion, à la minimisation des risques de sécurité en sélectionnant des familles et des enfants plutôt que des hommes célibataires en âge de combattre. En réponse à ces demandes, le HCR a élaboré des « méthodologies simplifiées de réinstallation » de manière à encadrer ce traitement accéléré, et notamment un Programme de transfert humanitaire avec le Canada et un Formulaire d’identification simplifiée avec les États-Unis[7]. Ces deux gouvernements ont déployé des fonctionnaires supplémentaires sur les lieux de traitement accéléré afin d’effectuer individuellement avec les réfugiés concernés la dernière étape de détermination d’admissibilité à la réinstallation.

Outre ces critères soutenus de sélection appliqués dans le cadre des processus intensifs de réinstallation, le calendrier et la localisation des opérations ont servi de facteurs de sélection supplémentaires et non prévus en influant sur les opportunités de réinstallation des réfugiés. Les opportunités de réinstallation des réfugiés syriens de Jordanie et du Liban ont augmenté de manière substantielle de l’automne 2015 à l’été 2016 par rapport à celles des réfugiés syriens de Turquie et d’Irak qui n’ont pas bénéficié d’une augmentation similaire. Cela a causé une augmentation disproportionnée de leur probabilité de sélection en vue d’une réinstallation.

Conclusions

Un examen attentif du pouvoir et de la capacité d’action dans le cadre de la structure du régime de réinstallation et des « opérations accélérées » - ou du traitement simplifié – en tant que stratégie de réinstallation est important en vue d’éclairer les politiques de réinstallation du HCR et des États. De la même manière qu’ils avaient déjà utilisé auparavant des opérations accélérées en vue de couvrir des besoins exceptionnels[8], les États risquent de continuer à utiliser des stratégies similaires – particulièrement lorsque que le HCR prévoit de transférer 170 000 réfugiés sur les 1,19 millions d’entre ceux qui auront besoin d’être réinstallés en 2017. Toutefois, le processus de sélection actuellement en vigueur dans le cadre du régime de réinstallation est en complète contradiction avec la politique du HCR qui devrait être de minimiser l’impact des préférences des États sur la réinstallation et de promouvoir l’autosuffisance des réfugiés comme élément fondamental dans le cadre de toutes les solutions durables. La question éthique qui surgit alors est la suivante : la fin justifie-t-elle les moyens ?

Une perspective pragmatique devrait insister sur la nécessité d’appliquer des critères de sélection pour réduire un apport de réfugiés supérieur à une offre de réinstallation émanant des États. Les critères de sélection actuellement utilisés par le HCR constituent le processus nécessaire au fonctionnement du régime de réinstallation dans le cadre de ces limites. Une telle méthodologie se fonde sur le droit international et s’appuie sur la moralité et l’impératif humanitaire. Ce processus de sélection offre une voie vers la protection, l’autosuffisance et vers une augmentation de leur capacité d’action pour des milliers de réfugiés, la fin justifie donc les moyens.

Une analyse éthique révèle toutefois que la réinstallation n’est pas une exception au déséquilibre de pouvoir flagrant qui imprègne en grande partie l’ensemble de l’assistance humanitaire. En réalité, le HCR et les États se réservent le pouvoir de choisir les réfugiés qui « méritent » le plus d’être réinstallés. Les réfugiés n’ont que peu ou rien à dire dans le processus de prise de décision et aucun pouvoir pour prendre l’initiative de déposer une demande de réinstallation comme option pour leur avenir. À l’inverse, leur avenir dépend entièrement de la volonté politique du HCR et des États.

C’est sur le HCR que repose la tâche difficile d’équilibrer les intérêts des États et ceux des populations qui relèvent de sa compétence, et il est déterminant que ce déséquilibre de pouvoir entre les deux fasse l’objet d’un examen plus critique. Au lieu d’accepter le statu quo parce qu’il fournit des résultats, les parties prenantes impliquées dans la réinstallation doivent se demander comment améliorer le processus de sélection de manière à ce qu’il reflète l’objectif commun d’autonomiser les réfugiés tout en reconnaissant la souveraineté des États.    

Alors que le HCR et les États travaillent ensemble pour trouver un équilibre entre besoins de réinstallation et volonté politique d’accueillir des réfugiés dans des environnements domestiques de plus en plus antagonistes, ils doivent également s’efforcer de veiller à une distribution plus équitable du pouvoir. Il n’est pas possible de continuer à laisser aussi peu de pouvoir aux réfugiés lorsqu’il s’agit de prendre des décisions concernant leur propre réinstallation dans un pays tiers. Le HCR ne doit pas sacrifier ses approches participatives au nom de la rapidité ou de l’efficacité. Au contraire, il doit au minimum adopter des stratégies de sélection initiale plus équitables pour tous dans le cadre desquelles les réfugiés peuvent jouir de l’égalité des chances au moment d’être considérés en vue d’une réinstallation. En reconnaissance de la souveraineté des États, les réfugiés sélectionnés en vue d’une réinstallation seraient cependant encore soumis à des exigences spécifiques à chacun d’entre eux ; mais le HCR doit néanmoins exhorter les États à ne pas adopter des critères de sélection si étroits qu’ils en viennent à contredire les intentions et les objectifs de la Convention sur les réfugiés.             

 

Annelisa Lindsay Annelisa.Lindsay@oxfordalumni.org
Diplômée du MSc Études sur les réfugiés et la migration forcée, Centre d’études sur les réfugiés

Article rédigé à titre personnel.



[1] UNHCR (2011) Manuel de réinstallation du HCR www.unhcr.org/46f7c0ee2.html

[2] UNHCR (2014) Recherche de solutions durables : http://www.unhcr.org/fr/4b20d6d89.pdf et HCR (2005) Manuel relatif à l’autosuffisance : www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=50a624c32

[3] UNHCR/PNUD (2016) 3RP Regional Refugee & Resilience Plan 2017-2018 www.3rpsyriacrisis.org/wp-content/uploads/2016/12/3RP-Regional-Strategi…

[4] Hirschfeld Davies J ‘US Could Exceed Goal of Accepting 10000 Syrian Refugees’, New York Times www.nytimes.com/2016/08/06/us/politics/us-could-exceed-goal-of-accepting-10000-syrian-refugees.html?_r=0

[5] Gouvernement du Canada, ‘#Bienvenueauxréfugiés’ ‘#WelcomeRefugees: The first 25,000 – Phase1’ www.cic.gc.ca/english/refugees/welcome/phase1.asp

[6] La Maison Blanche (2015) ‘How We’re Welcoming Syrian Refugees While Ensuring Our Safety,” www.whitehouse.gov/blog/2015/11/17/how-were-welcoming-syrian-refugees

[7] UNHCR (2016) Projection mondiale des besoins pour la réinstallation en 2017 www.unhcr.org/en-us/protection/resettlement/575836267/unhcr-projected-global-resettlement-needs-2017.html

[8] Historiquement, parmi les opérations accélérées de réinstallation aux États-Unis on trouve par exemple : 20 000 réfugiés hongrois en 1957 ; 111 000 réfugiés vietnamiens en 1975 ; 7 000 réfugiés kurdes d’Irak en 1996 ; et 20 000 réfugiés albanais du Kosovo en 1999.

 

 

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