Violence des gangs, violence sexiste et crime de haine en Amérique centrale : réponse de l’État face à responsabilité de l’État

En Amérique centrale, un grand nombre de déplacements sont causés par la violence des gangs, la violence sexiste et les crimes de haine contre les personnes LGBT+ mais les États dans leurs réponses ne réussissent pas à en attaquer les causes profondes.

Le Triangle du Nord de l’Amérique centrale (Northern Triangle of Central America – NTCA)[1] continue de connaître des déplacements conséquents. Depuis 2018, d’importants mouvements de personnes se déplaçant en « caravanes » rendent encore plus visible cette situation mais les réponses pour attaquer les causes profondes de cette mobilité restent insuffisantes. Les déplacements ont des causes multiples, certaines personnes fuient la violence perpétrée tant par les États que par les acteurs non-étatiques, une violence qui est aggravée par une détérioration de la pauvreté, de l’inégalité, de la corruption et de la répression politique qui vient s’unir aux effets du changement climatique.

La violence dans le Triangle du Nord est perpétrée par toute une gamme d’acteurs dans des contextes différents, allant de mégaprojets à la répression étatique, et se perpétue du fait de la corruption irréductible et de l’impunité associées à l’absence de volonté ou l’incapacité des États à en résoudre les causes profondes. Le présent article se concentre sur des actes qui habituellement seraient considérés comme des actes individuels : violence des gangs, violence sexuelle et sexiste et violence contre les personnes du fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Néanmoins, les causes profondes de l’impunité, de l’inégalité et de la discrimination s’étendent sans nul doute à d’autres manifestations de violence dans la région.

Dans cette région, les actes de violence perpétrés par des acteurs non-étatiques sont généralisés et systématiques. Même si cette violence pourrait effectivement être considérée comme individuelle dans des États fonctionnant normalement, dans le Triangle du Nord elle est facilitée par la faillite des États incapables de protéger leurs propres citoyens, d’empêcher ce type de criminalité et d’en résoudre les causes. Une telle compréhension est déterminante pour démontrer le rôle des États – un facteur déterminant pour permettre aux individus de revendiquer la protection international dans un autre pays – ainsi que la responsabilité qui incombe aux États de combattre les causes profondes de la violence et du déplacement.  

Violence, déplacement et causes sociales profondes

Le Triangle du Nord subit une violence et une insécurité endémiques et compte l’un des taux d’homicide les plus élevés du monde ainsi que de violence sexiste, de violence sexuelle et de féminicide. Ces niveaux de violence particulièrement élevés et qui perdurent, la règle

« ver, oír y callar » – voir, entendre et se taire – et l’omniprésence de l’impunité ont entrainé une situation dans laquelle la violence est normalisée et devient « un mode de communication[2] ».

La violence des gangs crée un « continuum de risque » où certaines personnes fuient en réaction à une menace ciblée et à un risque immédiat alors que d’autres recourent à la fuite comme une mesure de prévention lorsque les niveaux de risques personnels s’élèvent, et d’autres encore fuient une crainte généralisée de violence, les effets économiques de l’insécurité et de l’inégalité ou la recrudescence de la violence et des luttes de territoire dans leurs quartiers[3].

La violence sexuelle et sexiste est la cause majeure de déplacement, interne ou à travers les frontières, pour les femmes et les jeunes filles. Cela inclut la violence domestique, la violence d’un partenaire intime, la violence familiale et la violence sexuelle (perpétrée par un partenaire, des membres de la famille, de la communauté ou des groupes criminels mais aussi le trafic humain, la prostitution forcée et les abus sexuels ou l’exploitation des jeunes filles et des adolescentes). Les gangs de rue utilisent la violence sexuelle extrême et le féminicide comme outil de vengeance contre leurs rivaux, comme message à d’autres membres du gang ou comme mode de punition envers des personnes qui les ont offensés. Toutefois, celles et ceux forcés de fuir peuvent encore être poursuivis et persécutés au cours de leur déplacement parce que leurs assaillants n’ont pas été appréhendés. Les risques de persécution après déplacement augmentent d’autant plus si la violence a été perpétrée par un membre de gang, particulièrement si la victime a dénoncé le crime. Il est probable alors que le risque s’étende à l’ensemble de la famille et qu’il entraîne la fuite au-delà des frontières.

Les personnes LGBT+ fuient la violence et les persécutions perpétrées par leur famille et leurs communautés, par des membres de gangs et par des organismes de l’État. De nombreuses personnes LGBT+ ont l’impression de ne pas avoir d’autre option que de quitter leur pays par manque de protection et de soutien.

La violence envers les femmes et les jeunes filles et la violence fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre proviennent de la faillite de l’État et de son incapacité d’éliminer les attitudes patriarcales et discriminatoires qui les motivent. Ces attitudes patriarcales et les stéréotypes de genre contribuent également au machisme extrême des gangs à l’intersection de la violence générale et de la violence sexiste et/ou fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

Les gangs de rue ainsi que le contrôle territorial et la violence qu’ils emploient sont profondément enracinés dans la pauvreté, l’absence d’opportunités, la marginalisation politique, économique et sociale et dans l’exclusion des jeunes ainsi que dans l’absence de présence effective de l’État et de services dans les communautés marginalisées. La pauvreté et le manque d’opportunités rendent les personnes vulnérables et les poussent à s’engager dans des activités criminelles comme stratégie de survie, pour des raisons économiques et de protection. Cette vulnérabilité peut encore être exacerbée par l’éclatement de la famille ou l’absence d’un parent pour cause de travail ou d’émigration.

Impunité : endémique, pluricausale et à l’intersection de multiples facteurs

L’impunité est endémique dans la région et la grande majorité des crimes ne font l’objet d’aucune poursuite. Pour comprendre le rôle de l’impunité comme cause fondamentale de déplacement et de violence dans le Triangle du Nord, il est nécessaire d’en examiner la multiplicité des causes.

Premièrement, il existe une réticence à signaler les délits qui se fonde sur plusieurs facteurs, et notamment une méfiance à l’égard de la police et du système judiciaire et un manque de confiance dans la capacité des autorités de garantir une protection effective. Cette réticence peut également découler du type de violence ou de crime subi. Les victimes de la violence des gangs craignent des représailles et cette peur est amplifiée par une autre peur, celle que des informations soient passées aux gangs par des fonctionnaires de police corrompus ou agissant sous la contrainte. En ce qui concerne les victimes de la violence sexiste, des crimes de haine et de la violence sexuelle, cette réticence est aggravée par la crainte de la stigmatisation, des représailles et d’une poursuite de la violence de la part de leurs assaillants ; ceux et celles qui dénoncent ce type de crimes sont souvent victimes de nouvelles attaques ou en butte à des vexations de la part de la police. L’absence de refuges pour les victimes de violence domestique, le refus d’aider les personnes qui semblent avoir une identité de genre différente de celle qui figure sur leur document d’identité, et une absence de reconnaissance des relations entre personnes du même sexe et de la possibilité de violence entre elles, sont autant de facteurs qui viennent encore entraver la déclaration de ces crimes.

Deuxièmement, l’exercice de la justice est rendu difficile par de nombreux défis d’ordre pratique particulièrement significatifs, notamment faiblesse des institutions, manque de ressources et de capacités et volume considérable des cas. Lorsque des crimes sont signalés aux autorités, les plaintes peuvent être refusées ou simplement laissées sans traitement ou instruction. Lorsque des enquêtes sont menées, elles sont souvent longues et inefficaces. Tout cela est encore aggravé par l’absence de programmes efficaces de protection des témoins ou de soutien aux victimes.

Troisièmement, les organismes étatiques et les agences de maintien de la loi ont été corrompues et infiltrées par les gangs, ou pratiquent elles-mêmes - l’extorsion et des exactions sur la population.

Tout cela vient alimenter un cycle d’impunité dans lequel le crime peut prospérer et la confiance de la population dans les autorités s’érode de plus en plus, portant atteinte à l’accès à la justice et augmentant la vulnérabilité de certains groupes. La faillite des États incapables de fournir une réponse et une protection adéquates contribue au déplacement, et impacte sur les schémas qu’il prend, qui s’en va et où, ainsi que sur les besoins de protection internationale de ces personnes.

Mépris des États à l’égard des causes profondes

Les réponses apportées par les États à la question des gangs ont échoué à résoudre le problème ; au contraire, ces réponses ont eu des conséquences adverses qui ont provoqué de nouveaux déplacement au Salvador comme au Honduras. Alors que les gangs recrutent des enfants de plus en plus jeunes (parce que des mineurs ont moins de chance d’être identifiés comme membres de gangs lors d’attaques et qu’ils encourent des peines criminelles moins sévères) des familles entières et de plus en plus de mineurs seuls se sont vus contraints de fuir. De plus, au moment où les gangs au Salvador se relocalisent dans les zones rurales pour éviter les attaques des forces de sécurité, on observe en conséquence une recrudescence de la violence dans des zones rurales jusque-là non touchées et une augmentation des déplacements de population dans ces zones. Parallèlement, la montée de l’hostilité entre gangs et police a également forcé certains membres des forces de sécurité au déplacement.

La réponse répressive de l’État en soi a également été cause de déplacement, des jeunes sont partis pour fuir le harcèlement arbitraire et les abus de pouvoir des représentants de l’État et des personnes qui vivent dans des zones contrôlées par les gangs fuient la pression des forces de sécurité qui cherchent à leur faire divulguer des informations sur les membres des gangs. De telles approches viennent encore aggraver la méfiance à l’égard des autorités et la marginalisation des jeunes, sans résoudre aucune des manifestations plus générales de violence ou leurs causes profondes.

Responsabilité de l’État

Les stratégies de prévention manquent cruellement et cela s’avère particulièrement apparent dans la faillite persistante des États incapables de combattre les causes profondes de la violence en s’attaquant à la pauvreté, à la marginalisation et à l’inégalité qui alimentent la violence des gangs ou en remédiant la discrimination et les attitudes patriarcales profondément ancrées qui causent les crimes sexuels et sexistes et les crimes de haine à l’égard de la population LGBT+. S’attaquer aux causes profondes est essentiel mais cela nécessitera une perspective élargie de la violence dans toutes ses manifestation (violence sexuelle et sexiste et crimes de haine y compris) à laquelle devront venir s’ajouter des développements institutionnels et législatifs soutenus par des programmes politiques et sociaux solides ainsi que des campagnes de changement des attitudes. 

Toutefois, certains développements localisés semblent prometteurs et ont un potentiel de réplication dans d’autres zones ; parmi ceux-ci il convient de citer des programmes d’intervention comme Remédier la violence actif dans certaines parties de San Pedro Sula, un programme de sensibilisation des jeunes à Rivera Hernández (l’un des quartiers les plus pauvres au Honduras), des stratégies de prévention de la violence familiale mises en place par le Projet de prévention de la violence du Salvador, et un programme consacré à la coopération entre communauté et municipalité à Berlín au Salvador qui a permis à cette municipalité de rester libre de gangs[4].

Des engagements prometteurs ont également été pris récemment, même s’ils doivent encore être mis en application. Le président entrant du Salvador, Nayib Bukele, a appelé à la mise en place de programmes sociaux, de programmes d’éducation et de réintégration pour les anciens membres de gangs afin de prévenir la violence des gangs. Au titre du Cadre global de protection et de solutions régionales (plus connu régionalement sous le sigle MIRPS), le Honduras s’est engagé à « développé des stratégies pour prévenir et résoudre les risques encourus spécifiquement par les femmes et les jeunes filles, les travailleurs des transports, les commerçants, les personnes qui risquent de perdre leurs terres et les personnes LGBTI » [5]. Parvenir à remplir ces engagements, nécessitera toutefois un travail conséquent de la part de plusieurs agences et une volonté sociale et politique –un défi d’autant plus compliqué au vu de la montée de la répression politique et de la violence de l’État au Honduras.

Malgré les promesses du nouveau président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, de développer une réponse régionale pour attaquer les causes profondes de la migration, dans la réalité les réponses du Mexique comme celles des États-Unis se résument uniquement à des mesures de sécurité destinées à empêcher les personnes de se déplacer vers le nord. En dernière instance, plus de volonté politique et un engagement régional plus vigoureux sont nécessaires pour garantir la transformation en réalité de ce type de déclarations rhétoriques.

 

Vickie Knox V.Knox@london.ac.uk
Chargée de cours en Droit international des droits de l’homme et droit des réfugiés, School of Advanced Study, Université de Londres et consultante indépendante de recherche www.vickieknox.com

 

[1] Également appelé « Amérique centrale du Nord », le Triangle du Nord comprend le Salvador, le Guatemala et le Honduras.

[2] Cette expression a été utilisée par certains représentants d’organisations de la société civile que j’ai interrogés au Salvador et au Honduras en 2018.

[3] Voir : Knox V (2017) « Les facteurs qui influencent la prise de décision de ceux qui fuient l’Amérique centrale »
www.fmreview.org/fr/ameriquelatine-caraibes/knox

[4] Voir : Cure Violence (2016) Report on the Cure Violence Model Adaptation in San Pedro Sula. http://cureviolence.org/wp-content/uploads/2016/08/Report-on-the-Cure-Violence-Adaptation-in-San-Pedro-Sul.pdf; El Salvador Crime and Violence Prevention Project [Projet de prévention de la criminalité et de la violence au Salvador]
www.creativeassociatesinternational.com/projects/el-salvador-crime-and-violence-prevention-project/

[5] www.globalcrrf.org/crrf_country/honduras/

 

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