Programme communautaire de prévention des conflits et de renforcement de la paix en RDC et en Somalie

La nécessité de résoudre les causes profondes du déplacement à travers la perspective du « triple nexus » humanitaire-développement-paix est de plus en plus fréquemment et largement admise. Un programme dirigé localement en RDC et en Somalie reflète cette approche et offre des enseignements et des recommandations utiles.

Au cours des années, du fait de la complexité des facteurs interconnectés qui sont en jeu, l’industrie de l’aide s’est heurtée à des difficultés pour trouver des solutions durables au déplacement. On assiste à l’émergence d’un consensus selon lequel une meilleure coordination entre les acteurs humanitaires, du développement et de la recherche de la paix (connue sous le nom de « triple nexus ») pourrait offrir un cadre de travail pour combattre les problèmes associés aux déplacements prolongés et donc trouver des solutions durables. C’est dans ce contexte que le Programme prévention des conflits et recherche de la paix financé par Sida[1] a été conçu et mis en œuvre.

Ce programme cherche à répondre à certaines des causes profondes du déplacement en République démocratique du Congo (RDC) et en Somalie. La conception de ce programme s’est appuyée sur trois notions clés :

Premièrement, le programme cherche principalement à comprendre et à résoudre les moteurs structurels et immédiats du conflit. Les moteurs structurels contribuent au conflit mais pris isolément n’entrainent pas de violence. En Somalie et en RDC, ils sont associés à trois crises : 1) une crise d’identité (par exemple, la nature de la composition ethnique/tribale et la nature de la compétition entre les élites ; 2) une crise de représentation (par exemple, la nature du système politique et de la culture politique) ; 3) une crise de pénétration (par exemple, la capacité de l’État de s’acquitter de ses fonctions essentielles). Les moteurs immédiats sont ceux qui transforment les causes structurelles en conflits potentiellement violents. En Somalie et en RDC, ces derniers incluent : inégalité d’accès à l’information, aux services et autres biens publics ; participation inégale à la prise de décision ; et utilisation des identités ethniques et claniques à des fins politiques restreintes. 

Deuxièmement, le programme se focalise explicitement sur une paix positive par contraste avec une paix négative. On entend par paix négative, la cessation de la violence physique directe. La paix positive concerne l’élimination de la violence structurelle, c’est-à-dire l’élimination de facteurs comme des griefs profondément ancrés, des violations des droits humains, des violences sexistes, des injustices sociales ou l’exclusion et la faiblesse des institutions publiques et de gestion du conflit. Les activités destinées à construire une paix positive ont pour objectif de supprimer ou de réduire progressivement les causes structurelles et immédiates du conflit violent. En RDC, dans le Tanganyika nous utilisons comme point d’entrée pour promouvoir une paix positive, l’accès équitable aux services de santé à destination de deux groupes ethniques (Bantou et Twa) et en Somalie l’accès à la justice dans les districts de Karaan et Jawl Wadaag de Mogadishu.

Troisièmement, traiter les causes profondes du conflit tout en évitant une rechute dans la violence exige une Analyse de la sensibilité au conflit qui s’efforce de résoudre la relation entre le programme et le contexte du conflit ou du déplacement. Nous avons inclus cette analyse dans le cadre de notre évaluation de référence en nous appuyant sur les connaissances de nos partenaires locaux dans le but de mettre en lumière les domaines prioritaires en termes de risques et de stratégies d’atténuation. Nous avons également intégré une approche de type « agir sans nuire » ou « Do No Harm », en identifiant certains facteurs spécifiques de division et de cohésion sur les lieux du projet – c’est-à-dire les éléments de la société qui divisent les personnes (et constituent des sources de tension) ou favorisent la cohésion (et peuvent être déterminants dans la résolution du problème). Les résultats de ce cette analyse ont permis de fonder les stratégies de conception et de mise en œuvre des diverses composantes des programmes respectifs en RDC comme en Somalie.

Le programme : causes profondes et paix positive

Au cœur du programme se trouve une tentative pour aider les personnes touchées par le conflit de telle sorte qu’elles puissent rester en sécurité au sein de leurs communautés en ayant le pouvoir d’influencer les décisions qui affectent leur vie. Le programme s’acquitte de cette mission en soutenant les activités suivantes qui incarnent l’esprit du triple nexus :

 

  • Action humanitaire : répondre au besoin humanitaire par le biais d’une fourniture directe de service, en offrant une assistance juridique et en améliorant la responsabilité et l’accessibilité des services de santé dans des zones où une partie conséquente de la population a besoin d’assistance humanitaire ou risque de développer ce besoin.
  • Recherche de la paix et cohésion sociale au niveau local : mise en place d’activités qui promeuvent la cohésion sociale comme des dialogues intra/inter communautaires et qui incluent la participation des groupes marginalisés dans les processus de prise de décision en matière de services de santé et de justice.
  • Gouvernance et État de droit au niveau local : se concentrer sur le renforcement des systèmes et le développement de la capacité des détenteurs d’obligations auxquels il incombe de fournir des services de santé et de justice, tout en contribuant à renforcer les capacités et les connaissances au niveau communautaire pour que leurs membres (les détenteurs de droits) soient en mesure de demander aux détenteurs d’obligations de rendre des comptes.

 

L’appropriation locale fait partie intégrante de la conception méthodologique et de la mise en œuvre des deux projets. Les partenariats intègrent des membres de la communauté et des détenteurs d’obligations, plus particulièrement des acteurs du gouvernement local ainsi que la société civile. Les acteurs locaux sont les agents les mieux placés mais aussi les plus aptes, les plus effectifs et les plus investis sur la durée pour améliorer le degré de responsabilisation et d’inclusion, pour atténuer le conflit et pour identifier et résoudre des problèmes locaux.

En RDC, nous travaillons avec une organisation confessionnelle locale, Commission Diocésaine de la Justice et Paix. Dans ce cas le programme contribue à renforcer la résilience, le bien-être et la participation inclusive de personnes des groupes ethniques Bantou et Twa, à travers des initiatives de recherche de la paix et d’accès à la santé dans les zones sanitaires de Nyunzu et Kalemie de la province Tanganyika. Ce programme cherche à résoudre les causes profondes du conflit entre Twa et Bantou en créant ou rajeunissant les plateformes communautaires représentatives de ces deux groupes ethniques.

À Nyunzu, un territoire qui a connu une pauvreté extrême et dont la cohésion communautaire a été fortement ébranlée après des dizaines d’années de sous-investissement, des bénévoles issus de la communauté ont été mobilisés et élus au sein de comités locaux de promotion de la paix et de la santé. À travers ces comités, des membres des communautés Bantou et Twa coopèrent pour construire la paix et promouvoir le relèvement. Les comités mixtes ont été essentiels pour rétablir la confiance. Les actions de plaidoyer des comités, y compris auprès des milices locales, ont permis le retour de la sécurité et des personnes déplacées dans les zones du projet créant ainsi des conditions dans lesquelles des services de santé peuvent être réinstaurés et à nouveau accessibles.

Les travailleurs de santé communautaire mènent des activités de sensibilisation dans leurs villages, ils contribuent à faire connaitre les services locaux de santé et à redonner confiance à leurs usagers. Les Twa sont maintenant beaucoup plus nombreux à utiliser des services qu’ils évitaient auparavant par crainte de discrimination et de mauvais traitements. Les femmes Twa choisissent maintenant d’accoucher dans les centres de santé, plutôt que seules à domicile et elles sont maintenant beaucoup plus nombreuses à y amener leurs enfants pour être vaccinés.

À Mogadishu et dans l’ensemble du sud et du centre de la Somalie en général, l’une des principales causes de conflit et de déplacement est l’incapacité de l’État de fournir des services essentiels, notamment la gestion et l’administration d’un système de justice équitable et transparent. Le programme en Somalie mène son action en partenariat avec deux districts, Hawl Wadaag et Karaan. Il œuvre à faciliter l’accès aux systèmes de justice et cherche à renforcer les capacités des membres de la communauté et des autorités locales en vue de prévenir et gérer les conflits et les disputes de manière non violente. Le projet s’efforce spécifiquement d’amener ceux chargés d’administrer les services de justice à changer de comportement de manière à ce qu’ils protègent le droit à un procès équitable ; son but est également d’encourager les citoyens à recourir à des services de justice sûrs et de soutenir les communautés pour qu’elles développent des stratégies d’action collective où toutes les voix peuvent se faire entendre, quelle que soit l’affiliation clanique.

Le programme agit en étroite collaboration avec les deux conseils de district en insistant sur la mise en œuvre locale, la réappropriation et la durabilité du projet. En outre, les représentants des communautés qui comprennent des membres issus des groupes de femmes et de jeunes, ont été impliqués dans l’analyse initiale portant sur la nature des conflits à Mogadishu.

Conscient du pluralisme juridique propre à la Somalie ainsi que de la préférence et de la confiance de la communauté dans les systèmes informels de justice traditionnelle et coutumière, le projet a cherché à établir un dialogue et à renforcer la capacité et la volonté des fournisseurs de justice formels et informels de manière à promouvoir le droit à un procès équitable. Des activités participatives sous forme de forums de partenaires, de plateformes de dialogues ainsi que la planification d’une action communautaire d’atténuation du conflit ont aidé à générer des communications régulières entre les communautés et le gouvernement local sur la question de la gestion du conflit et de l’accès à la justice. Tout cela a contribué à promouvoir une reddition de comptes fondée sur des rôles et des responsabilités ayant fait l’objet d’un accord des différents acteurs. 

Implications en termes de politique et de pratique

Bien qu’encore dans sa phase initiale, le programme génère déjà des enseignements précieux en matière de prévention des conflits et de pratique de recherche de la paix. L’apprentissage et la recherche ont été intégrés au cycle-même du programme et maintenant, dans sa deuxième année, trois leçons méritent tout particulièrement d’être mises en exergue.

La fourniture de service s’est avérée un point d’entrée utile ainsi qu’une plateforme viable autour de laquelle organiser les approches de recherche de la paix et renforcer la cohésion sociale entre les groupes en conflit. Renforcer l’État au niveau local, les institutions informelles et la responsabilisation en matière de prestation de services est essentiel pour que les approches soient menées localement et de manière durable. Le potentiel de collaboration et d’action collective par le biais du bénévolat au niveau de la base est énorme.

Travailler avec les comités bénévoles en RDC, par exemple, s’est avéré un facteur essentiel pour promouvoir la représentation des femmes et de la minorité ethnique dans les processus locaux de prise de décision. C’est un aspect qui a aidé à créer la confiance en démontrant que la coopération entre les communautés était déterminante dans la résolution des problèmes locaux. Pour instaurer avec succès la cohésion sociale, il est nécessaire de comprendre les dynamiques de pouvoir à l’intérieur du groupe et de traiter les inégalités et les obstacles de participation auxquels les exclus se trouvent confrontés ; cela exige également des ressources adéquates permettant de compenser les coûts de participation.

Identifier et soutenir des institutions locales tout en maintenant l’impartialité exige une compréhension profonde des dynamiques du conflit local. Cela demande de procéder régulièrement à une analyse de sensibilité du conflit et de recourir à des approches de type « agir sans nuire ». De tels processus doivent s’appuyer sur des ressources et un soutien adéquats et s’accompagner d’une capacité d’adaptation en réponse à une compréhension de l’évolution des réalités et des dynamiques locales.

Tout ce qui précède comporte de claires implications pour les donateurs et les pratiques et politiques de leurs partenaires de mise en œuvre et nous allons en souligner cinq.

Premièrement, les donateurs doivent exiger des partenaires de mise en œuvre qu’ils adoptent explicitement une programmation adaptée au contexte et dirigée localement ; les donateurs peuvent faciliter cela en soutenant des approches plus flexibles qui s’appuient sur l’enseignement au cours du cycle de programmation et permettent l’adaptation. Une difficulté à laquelle nous nous sommes heurtés est que la conception initiale du projet se fondait sur une théorie générique et mondiale du changement. Pendant la phase de lancement du projet en RDC et en Somalie, et conformément à l’étude de référence menée sur le terrain, l’équipe du projet a pris conscience que chaque projet national nécessitait sa propre théorie du changement spécifique à son contexte pour ensuite informer les différentes adaptations de conception du projet. La flexibilité des donateurs et leur ouverture à une gestion aussi souple du projet est vitale, comme l’a démontré, en ce qui nous concerne, l’approche de Sida.

Deuxièmement, ceux qui au sein de la communauté de l’aide recherchent des solutions durables au déplacement induit par le conflit doivent investir dans des études et une analyse appropriées. Dans le but de mesurer les résultats de la recherche de la paix, il est crucial, par exemple, de prendre conscience que tout ce qui compte ne peut pas être compté. Une analyse qualitative riche comprenant des récits et des anecdotes associée à une analyse quantitative peut apporter une perception et des résultats plus profondément révélateurs des dynamiques de consolidation de la paix qu’une méthode quantitative seule.

Troisièmement, il est important de casser la compartimentation entre action humanitaire, développement et recherche de la paix. Les engagements pris lors de la Grande Négociation[2] (The Grand Bargain) à l’égard de solutions durables et du triple nexus sont bienvenus dans la mesure où ils mettent l’accent sur les synergies entre ces domaines d’intervention. Au niveau de la base, les personnes ne vivent pas leur existence dans des compartiments même si la communauté de l’aide continue d’être organisée et de fonctionner de manière compartimentée. Cette compartimentation peut être imposée par des donateurs qui financent des flux différents dans les environnements touchés par les conflits et qui tendent à séparer délibérément les actions humanitaires du développement et de la recherche de la paix.

Quatrièmement, les mécanismes de financement doivent être adaptés au cas par cas de manière à soutenir des solutions dirigées localement pour répondre à des crises prolongées, en utilisant des flux de financement conjoints conçus pour incorporer des éléments de paix positive en se focalisant sur la résolution de certaines causes profondes de conflit violent et de déplacement.

Finalement notre expérience à travers la mise en place de ce projet démontre qu’il est possible pour des acteurs humanitaires de s’impliquer dans un mécanisme de recherche de la paix dirigé localement et d’entrer en partenariat avec des acteurs locaux du développement et du travail sur la paix tout en maintenant leur neutralité et leur impartialité. Pour que les solutions durables de recherche de la paix soient un succès, il incombe aux acteurs extérieurs de recherche de la paix de comprendre le rôle des structures et des dynamiques locales et d’identifier des moyens pour soutenir une participation inclusive favorisant la confiance et garantissant l’impartialité.

Au-delà du local

Établir des connexions entre la recherche de la paix au niveau local et des efforts plus larges à l’échelle d’une province ou d’un pays est l’un des défis majeurs du travail dans le domaine de la recherche de la paix, et ce, pas uniquement parce que les événements, les acteurs et les enjeux à des niveaux supérieurs façonnent et influencent les efforts de recherche de la paix au niveau local. Une planification effective à long-terme par les acteurs internationaux dépend de l’existence et de la mise en application de plans de développement et d’atténuation du conflit et d’une volonté politique dont la communauté locale et nationale puisse véritablement s’approprier. Cet aspect est particulièrement compliqué en RDC où l’État est défaillant et où les autorités et les élites nationales manquent souvent de volonté politique.

Néanmoins, il existe tout de même en RDC un énorme potentiel pour que des efforts de recherche de la paix conduits localement aient un impact positif au-delà de la sphère strictement locale. Des initiatives comme celles du projet financé par Sida ont le potentiel d’instaurer une dynamique favorable au développement et à la recherche de la paix propre à contrebalancer le manque de volonté politique des élites en renforçant la cohésion sociale et la volonté politique de la base vers le haut.

 

Wale Osofisan Wale.Osofisan@rescue-uk.org
Directeur technique principal (par intérim), Unité technique sur la gouvernance

Shuna Keen Shuna.Keen@rescue.org
Responsable principale Cadres de travail et apprentissage – Recherche de la paix

International Rescue Committee www.rescue.org

 

[1] Agence suédoise de coopération internationale pour le développement

[2] https://interagencystandingcommittee.org/grand-bargain-hosted-iasc/

 

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