La prévention du déplacement, la résolution de ses causes profondes et les promesses du Pacte mondial sur les réfugiés

Prévenir le déplacement en s’attaquant à ses causes profondes exige une approche globale et une prise d’engagement de toute une série d’acteurs. Le point de départ doit être une meilleure compréhension de ces causes profondes et de leur complexité.

En décembre 2015, le huitième Dialogue annuel du Haut-Commissaire sur les défis de protection a porté principalement sur le thème : « Comprendre les causes profondes des déplacements et y faire face[1] ». Tous ceux et celles rassemblés ont reconnu que la communauté internationale devait absolument accorder la priorité à la prévention et à la résolution des causes profondes. Cela exigerait d’inclure le déplacement au calendrier de la gouvernance de l’ONU, de toutes les organisations internationales et régionales et de tous les États, afin de mieux détecter les moteurs et déclencheurs de déplacement pour transformer les mécanismes d’alerte précoce en action rapide. Pour le faire, il a été signalé, que nous devions reconnaître la complexité de ce phénomène et qu’une approche globale était nécessaire. 

S’engager à résoudre les causes profondes du déplacement est un défi considérable. Avec un chiffre record de 70,8 millions de personnes déplacées de force dans le monde, il est impératif de s’attaquer aux facteurs qui sous-tendent, et souvent se recoupent, et alimentent la violence et le conflit qu’ils soient suscités par des violations graves des droits humains ou par l’effondrement de l’État de droit, le commerce des armes, les industries extractives, les inégalités sévères, l’autoritarisme ou encore le changement et la dégradation de l’environnement. Lorsque de tels moteurs de déplacement restent sans solution, la fuite, y compris lorsqu’elle implique le franchissement de frontières internationales, est souvent le seul mécanisme de prévention ou d’autoprotection que peuvent exercer les individus ou les communautés. En effet, la fuite est parfois la seule option viable de survie. Le rôle de l’action humanitaire n’est pas de promouvoir ou de mettre en place des restrictions sur ces mécanismes de survie mais au contraire de plaider, avec d’autres (et notamment les États, les organisations régionales et les bailleurs bilatéraux) en faveur de la résolution des causes profondes du déplacement.

Prévenir le déplacement

De nombreux cas de déplacement pourraient être évités, ou du moins leur impact minimisé, si le respect du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire pouvait être garanti. Plus nous réaliserons des avancées dans ce domaine, moins de personnes seront déracinées et forcées de vivre en exil. À cet égard, il vaudrait la peine d’examiner comment un manquement au respect de chaque droit humain entraine ou peut entrainer de déplacement, et comment résoudre cela. Le maintien de l’État de droit est essentiel : c’est ce qui sépare la justice, la stabilité et la préparation, du chaos, de l’anarchie et de l’arbitraire.

Il est indéniable, le changement climatique est également un moteur de déplacement et il figure en bonne place parmi les priorités de la plupart des acteurs internationaux. Même s’il reste difficile d’établir une connexion définitive entre le changement climatique et certains déplacements spécifiques, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (le HCR) reconnait la gravité des conséquences du changement climatique, notamment sur la situation des réfugiés et des autres personnes relevant de sa compétence. L’histoire récente a témoigné de mouvements transfrontaliers dans des situations où conflit et violence ont interagit avec des catastrophes naturelles ou des effets néfastes imputables au changement climatique. 

Il est évident que la prévention n’est pas la responsabilité exclusive d’un seul acteur. Elle exige des stratégies et des initiatives conjointes qui contribuent à la cohésion sociale et à la restitution de pouvoir en association avec la promotion et la défense des droits humains. Une division des tâches, en fonction respectivement des mandats, de l’expertise et des avantages comparatifs, aurait pour effet de renforcer la complémentarité et de maximiser l’impact. Le déplacement est tout à la fois un défi humanitaire et de développement. Une cohérence renforcée entre acteurs humanitaires et du développement peut améliorer la position des réfugiés, qui sont nombreux à souhaiter retourner dans leurs pays d’origine lorsqu’il sera possible de le faire en toute sécurité, et leur donner les moyens de prendre part au redressement post-conflictuel.

Dans toutes nos interventions, nous devons accorder autant d’importance à la « compréhension » qu’à la « résolution ». Un document de travail[2] récent de l’OCDE a examiné des évaluations d’activités de stabilisation menées par les acteurs internationaux dans des pays fragiles et touchés par un conflit comme l’Afghanistan, l’un des pays à avoir produit le plus grand nombre de réfugiés au cours des 30 dernières années. Ce document signalait que les efforts partaient souvent de l’hypothèse qu’unir les acteurs humanitaires, du développement, de la défense et de la diplomatie à travers une programmation conjointe centrée sur des « victoires faciles », contribuerait à renforcer le soutien apporté à l’État dans son rôle d’acteur légitime, améliorerait la gouvernance et aiderait à restaurer la stabilité. Le rapport mettait en exergue plusieurs circonstances dans lesquelles cela n’avait pas été le cas. Il remarquait que, dans de nombreux programmes de développement, la compréhension de l’économie politique et des principaux moteurs du conflit et de la fragilité méritait bien davantage d’attention.

Malgré les difficultés, nous devons plaider en faveur d’une opérationnalisation du nexus humanitaire-développement-paix[3]. Même s’il ne s’agit pas d’une discussion nouvelle, le contexte a changé, politiquement, économiquement et socialement. La contextualisation du déplacement et de ses causes profondes et l’apprentissage à travers des éléments de preuve constituent un processus intensif en termes de temps et de ressources mais c’est un processus dans lequel nous devons investir et que nous devons prioriser si nous voulons progresser dans nos efforts pour en attaquer les causes profondes. Pas moins importante est la nécessité d’apprendre des réfugiés afin de comprendre pleinement les facteurs qui les ont forcés à s’enfuir en premier lieu et pour apprécier véritablement leur expérience vécue du déplacement.  

Le rôle du HCR

Il existe un certain nombre de points d’entrée qui peuvent permettre au HCR de soutenir la prévention et d’y contribuer. Certains d’entre eux sont bien compris et anciens, ils incluent spécifiquement la promotion de l’égalité des sexes, de l’État de droit et des droits humains de manière plus générale, tout en investissant dans l’éducation et les moyens d’existence. Établir le dialogue avec les communautés et les individus concernés est au centre-même des programmes que mène le HCR. Les politiques sur l’Âge, le Genre et la Diversité cherchent à promouvoir une approche communautaire et ont pour objectif de restituer aux personnes déplacées ou apatrides la capacité de participer et de prendre les décisions qui ont un impact sur leur existence. Outre le fait d’assurer que les voix des communautés déplacées et des femmes en particulier, soient entendues aux cours des négociations de paix, d’autres éléments essentiels de la promotion d’un retour durable et volontaire dans des contextes d’après conflit comme par exemple la garantie de l’accès à la justice et le soutien à la réintégration des soldats démobilisés, peuvent contribuer à combler le fossé vers la paix.

Mettre un terme à l’apatridie est un moyen effectif de résoudre l’une des causes profondes de conflit et de déplacement forcé, et le HCR s’y emploie par exemple à travers sa campagne #IBelong (#Jappartiens)[4]. De nombreux indicateurs témoignent de l’élan positif qui a lieu dans ce domaine, notamment à travers des réformes de lois sur la nationalité et de nouvelles adhésions aux Conventions sur l’apatridie.

Surveiller le déplacement interne peut aider à prévoir un déplacement futur à travers des frontières internationales ; des interventions précoces en réponse à des déplacements internes peuvent atténuer les risques de bouleversement et d’appauvrissement dès le début d’une crise. Les orientations du HCR sur son engagement auprès des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) - principalement à l’intérieur du système des clusters de l’ONU - définissent également plusieurs domaines dans lesquels nous pouvons contribuer à promouvoir la responsabilité des États en soutenant l’élaboration de législations et de politiques relatives au déplacement interne, en mettant en place des projets de formation et de renforcement des capacités de protection de l’enfance ainsi que des stratégies destinées à prévenir la violence sexiste. 

Aux côtés de la prévention, une meilleure préparation grâce à des systèmes d’alerte précoce et de planification des urgences peut contribuer à atténuer les conséquences humanitaires les plus terribles des conflits et de la violence. Si par exemple un système de planification des urgences et une action concertée avaient guidé les réponses de l’Europe face à l’arrivée des réfugiés à travers la Méditerranée en 2015 lorsque leurs nombres ont commencé à augmenter, l’ampleur du chaos et une grande partie des traumatismes auraient pu être évités. Ou si nous avions disposé d’un mécanisme nous permettant de garantir un financement précoce et prévisible des interventions humanitaires destinées à répondre à des arrivées massives de nouveaux arrivants, des systèmes auraient pu être mis en place dès le début pour éviter que des situations difficiles ne se détériorent et se convertissent en de véritables urgences.

Le Pacte mondial sur les réfugiés

Nous avons pu constater à maintes reprises comment des conflits violents et d’autres moteurs de déplacement ont eu des conséquences qui ont pris non seulement des dimensions régionales mais mondiales. Si nous voulons surmonter l’isolationnisme, la fragmentation et les débats publics toxiques, nous aurons besoin d’une approche concertée, globale et proactive face aux situations de réfugiés. L’adoption universelle de la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants de septembre 2016 constituait une reconnaissance sans équivoque de cet impératif, comme l’a été également l’affirmation du Pacte mondiale sur les réfugiés de décembre 2018.

Le Pacte mondial sur les réfugiés a pour objectif de garantir un partage équitable et prévisible des responsabilités pour traiter à la fois les mouvements de réfugiés à grande échelle et les situations de réfugiés prolongées. Il représente un engagement clair des États de consacrer en temps voulu des efforts pour s’attaquer aux moteurs et aux déclencheurs d’importantes situations de réfugiés et d’améliorer la coopération entre les acteurs politiques, humanitaires, du développement et de la paix. Il insiste sur l’importance d’intensifier les efforts internationaux visant à prévenir et régler les conflits en s’appuyant sur la Charte des Nations Unies, le droit international, l’État de droit, les droits humains, le respect des libertés fondamentales et la non-discrimination. Il souligne également la nécessité de fournir de l’aide aux pays d’origine conformément à l’Agenda 2030 pour le développement durable et aux autres cadres pertinents[5]. En effet, le Pacte mondial sur les réfugiés fournit un cadre concret pour l’application du nexus humanitaire-développement- paix susmentionné. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son protocole de 1967 se concentrent sur les droits des réfugiés et sur les obligations des États mais n’offrent pas d’orientations significatives en matière de coopération internationale ; il s’agit d’un aspect déterminant que traite le Pacte pour les réfugiés et nous espérons qu’il ouvrira ainsi la voie vers un multilatéralisme renforcé. 

Toutefois, dans la mesure où le Pacte mondial sur les réfugiés n’est pas juridiquement contraignant, le succès de sa mise en œuvre dépendra de la mobilisation de la volonté politique. Le HCR travaille en étroite collaboration avec les États et d’autres partenaires pour mobiliser cette volonté en préparation du premier Forum mondial sur les réfugiés prévu en décembre 2019. Nous reconnaissons les défis inhérents à un moment où l’on assiste à une montée en force du nationalisme populiste, où l’espace consacré à l’asile est réduit et où l’endiguement devient une stratégie de réponse. Et pourtant, même en ces temps difficiles, nous continuons d’être les témoins d’un engagement solide à l’égard des questions de réfugiés de la part de toute une série d’acteurs nouveaux, notamment des institutions financières internationales, des donateurs émergeants, des acteurs du secteur privé, de la société civile ainsi que des citoyens privés qui tous personnifient le concept de la solidarité en action. Dans cet esprit, de vastes possibilités restent ouvertes pour une collaboration substantielle qui vise à prévenir les conflits et à attaquer les causes multiples et profondes du déplacement.

 

Volker Türk
Sous-Secrétaire général à la coordination stratégique au sein du Cabinet du Secrétaire général de l’ONU

Cette contribution a été rédigée dans sa fonction précédente en tant que Haut-Commissaire assistant chargé de la protection internationale au HCR. Pour plus d’informations veuillez-vous adresser à Perveen Ali alip@unhcr.org.

 

[1] Dialogue du Haut-Commissaire sur les défis de protection (2015) Comprendre les causes profondes des déplacements et y faire face
www.unhcr.org/high-commissioners-dialogue-on-protection-challenges-2015

[2] Morrison-Métois S (2017) Responding to Refugee Crises: Lessons from evaluations in Afghanistan as a country of origin, OECD Development Co-operation Working Papers, No 40 https://doi.org/10.1787/de7e6a13-en

[3] Le nexus humanitaire-développement-paix, ou « triple nexus » se réfère à l’articulation et aux liens entre les acteurs de l’action humanitaire, du développement et de la recherche de la paix. Les agences humanitaires, de développement et de recherche de la paix des Nations unies sont encouragées à travailler ensemble de manière cohérente en capitalisant sur les avantages comparatifs de chaque secteur afin de réduire les besoins, les risques et les vulnérabilités.

[4] www.unhcr.org/ibelong/fr/

[5] Rapport du Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Deuxième partie, Pacte mondial sur les réfugiés, Assemblée générale, Soixante-treizième session, paragraphes 8–9.
https://www.unhcr.org/fr/excom/unhcrannual/5ba3a9f24/rapport-haut-commissaire-nations-unies-refugies-partie-ii-pacte-mondial.html

 

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