Le renforcement des capacités de protection pour aider la transition

Si le renforcement des capacités de protection est un succès, il peut contribuer à l’instauration de mécanismes d’asile menant à l’intégration locale.

L’UNHCR (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) cherche fréquemment à développer les capacités de protection des États qui accueillent des réfugiés, par exemple, en créant ou adaptant des cadres juridiques nationaux ; en aidant aux processus d’enregistrement et de détermination du statut ; en facilitant le transfert de connaissances vers les institutions gouvernementales ; en appuyant les institutions de la société civile par la formation ou l’apport de matériel de soutien ; et, en aidant les gouvernements à élaborer des cadres juridiques permettant l’intégration économique, sociale et juridique des réfugiés.[1] Il n’est toutefois pas entièrement clair, dans quelle mesure ces efforts réussissent véritablement à favoriser une transition vers des solutions durables.

Le renforcement des capacités de protection peut inciter les pays hôtes à assumer une part plus importante de responsabilité à l’égard des réfugiés, tout en renforçant les autorités nationales ce qui devrait leur permettre de mieux répondre à d’autres situations de refuge à l’avenir, et libérer des ressources de l’UNHCR. Cela peut constituer une opportunité pour intégrer les réfugiés aux plans généraux de développement national et pour professionnaliser de petites institutions responsables des réfugiés qui manquent de financement. Le renforcement des capacités de protection est un domaine qui toutefois fait aussi face à des difficultés politiques et administratives. 

Premièrement, les bailleurs et les États hôtes ont des intérêts contradictoires lorsqu’il s’agit d’entreprendre un programme de renforcement des capacités de protection. Les États hôtes souhaitent habituellement avoir autant de contrôle que possible sur la situation de refuge tout en cherchant à débourser le moins d’argent et en ayant le moins de responsabilité possible en ce qui concerne la mise en œuvre du programme. Le renforcement des capacités de protection à leurs yeux est souvent lié à un échec en matière de partage de la responsabilité, le signe d’une admission disproportionnée de réfugiés dans les régions d’origine, ou d’une crainte qu’un niveau de protection élevé entraîne la réadmission de réfugiés d’autres pays. Par ailleurs, ils sont souvent réticents à l’idée de formaliser la protection des réfugiés à travers des cadres juridiques. À l’inverse, les États bailleurs sont beaucoup plus enclins à voir les États proches des pays d’origine supporter la majeure partie du fardeau, et pour cela à favoriser la reproduction d’un système officiel de protection des réfugiés tel qu’en vigueur dans le Nord. Ainsi, le renforcement des capacités de protection consiste principalement à assister les États hôtes à « faire leur travail », soit en respectant leurs obligations juridiques, soit en mettant en place dans un premier temps un cadre (juridique) de protection des réfugiés.

Deuxièmement, dans les situations ou les fonctions élémentaires d’un système d’asile ne sont pas assurées, l’UNHCR risque très probablement de mettre en place des systèmes d’enregistrement, de détermination du statut de réfugié et des garde-fous pour garantir le non-refoulement. Dans ce type de circonstances, il est particulièrement difficile d’intégrer à une feuille de route évidente, des dispositions pérennes qui vont au-delà des « bases élémentaires de protection », de maintenir l’engagement, et de garantir le financement de solutions durables une fois couvertes les « bases élémentaires ».

L’exemple de la coopération entre l’UNHCR et l’Union européenne (UE) ainsi que les tentatives de transfert de la détermination du statut de réfugié aux gouvernements kenyan et ougandais peuvent servir à illustrer ces opportunités et ces défis.

Renforcement de capacité par l’UNHCR et ses partenaires

Parmi les priorités de coopération entre l’UNHCR et l’UE, les solutions durables semblent figurer tout en bas de l’échelle. De 2006 à 2013, le Programme thématique de l’EU pour les migrations et l’asile a financé principalement des projets qui concernaient les capacités de réception et d’enregistrement dans les pays d’accueil mais aussi la promotion de la ratification de la législation sur les réfugiés et l’intégration locale des réfugiés. Les plus gros projets, appelés Programmes de protection régionale et mis en œuvre par l’UNHCR, cherchaient également à favoriser des solutions durables – c’est-à-dire qu’ils ne se contentaient pas de garantir le non-refoulement mais tentaient également d’améliorer l’accès à la santé et à l’éducation, et fournissait une assistance, des conseils et des opportunités en vue, en Egypte par exemple, de promouvoir l’autosuffisance des réfugiés.[2]

L’évaluation finale de l’instrument de financement de l’UE a fini par conclure toutefois, que le bailleur et l’État hôte étaient plus enclins à coopérer sur des projets destinés à lutter contre la migration irrégulière, et que le lien entre migration et développement était insuffisant.[3] Un document de consultation, basé sur des rapports de projets de l’UNHCR, conclut quant à lui que la coordination entre ces programmes et les politiques d’aide au développement ou d’aide humanitaire n’a pas été suffisante.[4] L’aide actuelle de l’UE à la Turquie, et plus particulièrement le Programme régional de développement et de protection pour le Moyen Orient, pourrait constituer une amélioration à cet égard, parce qu’elle s’efforce, en plus d’améliorer les procédures d’asile, de favoriser le développement socioéconomique des communautés hôtes et des réfugiés. 

Certains des efforts les plus visibles de l’UNHCR en matière de renforcement des capacités de protection concernent l’établissement de procédures de détermination du statut de réfugié (DSR). Dans certaines situations de refuge prolongé, l’UNHCR s’est occupé des activités de DSR pendant des dizaines d’années, et cherche maintenant à transférer ces responsabilités à des institutions nationales responsables des réfugiés récemment mises en place. La loi kenyane sur les réfugiés de 2006, par exemple, était supposée transférer l’entière responsabilité de la DSR, de la réception et de la prise en charge des réfugiés aux autorités kenyanes en « constitutionalisant » la DSR, en établissant un Département des affaires relatives aux réfugiés, et en élaborant un cadre juridique et institutionnel complet régissant la DSR. Même si ce transfert encore en cours a connu un certain degré de succès, plusieurs difficultés ont émergé, et notamment dans les domaines suivants : renforcement et maintien d’un personnel national capable de s’acquitter des fonctions de DSR au même niveau quantitatif et qualitatif que celui de l’UNHCR ; partage des données et transferts de technologie entre l’UNHCR et le Département des affaires relatives aux réfugiés ; maintien des niveaux de financement consacrés à un mécanisme de DSR national ; et, création d’institutions et d’instruments juridiques supplémentaires nécessaires afin de remplir les responsabilités inhérentes à la DSR.[5]

Dans le centre de l’Ouganda, vers la fin des années 1990, l’UNHCR a cherché à transférer la responsabilité du programme de réinstallation des réfugiés de Kiryandongo aux autorités ougandaises, malgré l’opposition des autorités qui insistaient pour que la communauté internationale continue de subvenir aux coûts des réfugiés qu’elles considéraient comme une préoccupation internationale, pas uniquement nationale. Dans le même temps, l’Ouganda insistait pour assurer intégralement le contrôle sur les lieux d’installation des réfugiés et revendiquait un rôle décisionnel sur tous les sujets. Comme dans le cas du Kenya, les ressources restaient une préoccupation constante pour toutes les parties impliquées dans ce transfert de responsabilités. Ce cas démontre également l’importance du ton et de la rhétorique dans une aventure de renforcement des capacités de cette nature : l’Ouganda n’a pas apprécié les termes employés par l’UNHCR qui indiquaient que les sites d’installation devaient être « rendus », alors que l’Ouganda n’avait jamais considéré qu’ils avaient cessé de lui appartenir. Les autres enseignements incluent : nécessité de planification rigoureuse à chaque changement des acteurs en charge de la protection des réfugiés ; établissement puis respect de calendriers réalistes ; engagement et garantie de la part de l’UNHCR comme des autorités d’y consacrer des ressources suffisantes ; et finalement, importance d’un cadre juridique national robuste traduisant les termes du droit international sur les réfugiés et des droits de l’homme.[6]

Ces deux cas de transferts effectués par l’UNHCR démontrent que le renforcement des capacités de protection peut en théorie favoriser une nouvelle division des tâches et libérer des ressources de l’UNHCR qui peuvent alors être consacrées à un travail portant sur des solutions durables. Toutefois, la réussite du transfert de responsabilité en matière de protection juridique pourrait entraîner de la part de l’UNHCR, et de ses partenaires, une tentation de se retirer une fois les bases élémentaires de l’enregistrement et du non-refoulement garanties, causant une dégradation de la situation sur le terrain. Les autorités nationales et l’UNHCR ont pris l’engagement, en théorie, d’utiliser le renforcement des capacités de protection comme une étape déterminante vers une intégration locale – en incluant les réfugiés, par exemple, aux plans de développement national et aux processus juridiques nationaux – mais n’ont pas encore trouvé des feuilles de route évidentes leur permettant de traduire ces transferts et les efforts de renforcement des capacités de protection en solutions durables pour les réfugiés. Au contraire, les transitions liées à ces transferts n’ont fait que déplacer les responsabilités et les capacités des acteurs.

Conclusion

Le renforcement de la capacité de protection peut, au pire, contribuer à ancrer une compréhension purement matérielle du partage de la tâche et de la responsabilité en matière de protection des réfugiés, à travers laquelle les pays bailleurs ne cherchent qu’à « contenir » les réfugiés et à les maintenir dans leur région d’origine alors que les transitions vers des solutions durables disparaissent complètement hors de vue. Cependant, vouloir catégoriser tous les efforts de renforcement des capacités de protection sous une même étiquette de stratégie d’externalisation consisterait à passer à côté de leur importance, dans la mesure où cela empêcherait toute analyse de leurs contributions, échecs ou succès vers des solutions durables, et aurait pour effet d’avorter toute tentative de résoudre d’autres questions. Par exemple, les réfugiés auront-ils davantage de probabilités de trouver des possibilités d’intégration locale lorsque les efforts de renforcement des capacités de protection auront généré de nouveaux processus, institutions et procédures au niveau national ? La formalisation de la protection des réfugiés par le biais de cadres juridiques est-elle toujours la meilleure approche en vue d’améliorer la situation pour les réfugiés ?

Quelles que soient les réponses, les objectifs du renforcement des capacités de protection devraient toujours être d’obtenir des résultats positifs pour les réfugiés et de renforcer l’accès à l’asile ainsi que le partage des tâches et des responsabilités. Le renforcement des capacités de protection a potentiellement la capacité d’être une étape importante vers des efforts menant à l’instauration de solutions durables. Les États hôtes qui sont mieux équipés pour s’occuper de réfugiés à leur arrivée ou pendant leur séjour prolongé, et qui reçoivent un soutien de qualité d’autres États et des acteurs internationaux risquent également d’être plus enclins et capables de travailler en coopération avec les réfugiés et les autres acteurs à leur intégration locale.

 

Sarah Deardorff Miller sarah.deardorff@gmail.com
Membre auxiliaire du corps professoral, Université américaine, Washington DC www.american.edu

Julian Lehmann jlehmann@gppi.net
Responsable de projet, Global Public Policy Institute, Berlin www.gppi.net



[1] UNHCR (2002) « Renforcement des capacités de protection dans les pays hôtes ». http://www.unhcr.fr/4b151c361d.html

[3] Rousselot A, Aiolfi L and Charpin A (2013) Final Evaluation of the Thematic Programme “Cooperation with Third Countries in the Area of Migration and Asylum” (Évaluation finale du programme thématique de « coopération avec les pays tiers dans le domaine des migrations et de l’asile ». http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.602.8271&rep=rep1&type=pdf

[4] Papadopoulou A (2015) Regional Protection Programmes: an effective policy tool? http://ecre.org/component/downloads/downloads/982.html

[5] Garlick M, Guild E, Procter C et Salomons M (2015) Building on the foundation: Formative Evaluation of the Refugee Status Determination (RSD) Transition Process in Kenya, PDES, UNHCR. www.unhcr.org/5551f3c49.html

[6] Kaiser T (2002) « The UNHCR and Withdrawal from Kiryandongo: Anatomy of a Handover », Refugee Survey Quarterly 21(1-2)

 

 

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