La paix en Colombie et les solutions à l’intention de ses populations déplacées

La perspective de paix s’accompagne de la nécessité de trouver des solutions pour tous ceux qui ont été déplacés pendant les 50 années de combat. Et il n’y aura pas de solution sans envisager dans leur globalité l’ensemble des facteurs qui affectent les PDI et les réfugiés.

Depuis 2012, le gouvernement colombien s’est engagé dans des pourparlers de paix avec le groupe de guérilla le plus important dans le pays, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), dans le cadre d’un conflit qui se prolonge depuis plus de 50 ans et qui a déplacé plus de six millions de personnes. Les parties à la négociation sont arrivées à des accords en matière de développement rural, de substitution de la drogue, de participation politique, de justice transitionnelle et d’indemnisation des victimes. Les points encore à l’ordre du jour et en attente de solutions concernent la manière dont les combattants de la guérilla vont être démobilisés et désarmés et la manière d’appliquer les accords de paix dans la pratique.

L’accord de paix ne sera que le début d’une période de transition qui inclura toute une gamme de mesures destinées à réduire les risques que coure encore le pays de rechuter dans le conflit. Trouver des solutions globales et durables à la situation des populations déplacées du pays est un aspect déterminant de ce processus parce que, entre autres raisons, la réintégration des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) et des réfugiés rapatriés servira de validation à l’ordre politique post-accord et contribuera au rétablissement d’économies locales licites et à l’instauration d’un développement participatif.

Le concept de solutions globales se fonde sur la conviction selon laquelle la finalité des solutions comme la nature systémique du problème des PDI et des réfugiés exigent que l’approche empruntée en vue d’une restauration durable des droits humains des uns et des autres s’appuie sur une compréhension exhaustive des facteurs interconnectés qui entourent le déplacement afin de les résoudre d’une manière inclusive.[1] Cette conception s’oppose à d’autres approches non globales qui cherchent à résoudre les facteurs du déplacement, les préoccupations des différents groupes de population et les solutions de manière isolée, ou qui s’attendent à voir surgir automatiquement des solutions suite aux interventions générales visant au renforcement de la paix.  

Quant au fond, le concept de solutions globales nécessite une approche intégrée et multisectorielle de la protection ainsi que des solutions durables centrées sur l’autosuffisance qui impliquent activement et effectivement les populations déplacées dans tous les processus décisionnels. Des synergies de renforcement mutuel doivent être élaborées entre les différentes solutions proposées –retour volontaire, intégration locale ou réinstallation ailleurs – aux PDI, aux réfugiés et aux rapatriés. L’objectif et le résultat final doivent être une restauration complète des droits humains conforme au Cadre conceptuel de l’IASC sur les solutions durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays[2] et aux normes définies par la Cour constitutionnelle colombienne dans le cadre de l’arrêt historique T-025 qu’elle a rendu en 2004.  En termes de processus et de structures, ce concept exige du gouvernement et des Nations Unies qu’ils élaborent une stratégie globale de solutions sous la forme d’un cadre de travail impliquant la coordination de partenariats multilatéraux.

Toujours déplacés

Depuis 1985, 6,9 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur de leur propre pays et 60 % d’entre elles ont trouvé refuge dans les bidonvilles des 25 plus grandes villes colombiennes. S’ajoutent à ce chiffre environ 360 000 réfugiés colombiens se trouvant dans les pays voisins et dans d’autres régions. La plus grande partie de ces derniers ne sont pas passés par des procédures formelles d’asile et ne possèdent donc pas un statut migratoire régulier, ce qui les rend « invisibles » sur le territoire des pays d’asile dans lesquels ils résident.[3] La majorité des PDI et des réfugiés (ainsi que les réfugiés rapatriés) vivent une situation de déplacement prolongé.

Même si les combats armés ont diminué grâce au processus de paix et aux accords de cessez-le-feu qui l’accompagnent, les groupes armés non étatiques comme ceux des organisations paramilitaires officiellement démobilisées continuent, selon les estimations courantes de compter des membres dans plus de 400 municipalités, principalement en zones urbaines. De même, certains fronts de guérilla très fortement impliqués dans des activités économiques illicites ne sont pas convaincus par un accord de paix qui leur impose de déposer les armes. Des conflits peuvent également surgir en relation à l’application de l’accord de paix, particulièrement sur des questions foncières. En bref, le conflit s’est transformé ; alors que le nombre de confrontations armées entre les parties officiellement au conflit a diminué, la violence organisée a pris de nouvelles formes et continue de provoquer des situations d’urgence et des déplacements.

Le rôle du gouvernement

Alors que le gouvernement a réalisé des efforts conséquents en adoptant des politiques et des mesures dans des domaines comme la santé publique, l’éducation, la génération de revenus et l’indemnisation des victimes par le biais de restitutions de terres, les autorités civiles restent absentes ou n’ont qu’une présence marginale dans de nombreuses parties du pays, et principalement dans les zones les plus touchées par les déplacements forcés. De même, les ressources et les capacités de ces autorités civiles sont souvent inadéquates et incapables de prévenir, d’intervenir et de résoudre les problèmes de déplacement, particulièrement dans des municipalités à faibles revenus.

La complexité des problèmes liés au déplacement demande des interventions collaboratives de l’ensemble du gouvernement et une approche fondées sur les droits humains ; toutefois, les limites de la coordination entre les différentes autorités – horizontalement entre les différentes institutions étatiques et verticalement entre les autorités centrales et locales – entraînent fréquemment des inefficacités dans la recherche de solutions à des problèmes liés au déplacement. Par exemple, même si la majorité des PDI ont fui vers les centres urbains le gouvernement n’a toujours pas adopté de stratégie globale d’intégration locale dans les contextes urbains pour répondre à leurs besoins. De même, la capacité et la volonté des autorités étatiques d’accompagner et de suivre de manière cohérente le retour volontaire et les mouvements de réinstallation restent limitées.  

La loi de réparation des victimes et de restitution des terres adoptée en 2011 est particulièrement importante en ce sens qu’elle reconnait l’existence d’un conflit armé et l’ampleur des déplacements forcés et qu’elle prévoit des réparations extensives pour toutes les victimes du conflit, y compris les PDI. Les réparations sont supposées servir de passerelle vers une réintégration durable des PDI. Dans la pratique, toutefois, le gouvernement a concentré une grande part de ses efforts sur une assistance à court terme et des compensations financières plutôt que sur des processus de réintégration à long terme et sur une intervention coordonnée et durable des institutions de l’État.

Plans de développement rural et urbain

Les parties à la négociation de l’accord de paix se sont engagées à stimuler l’infrastructure économique, les services sociaux et la bonne gouvernance dans les zones rurales qui jusqu’ici avaient été contrôlées par les FARC. Cela se comprend dans la mesure où la persistance de la pauvreté et des inégalités dans les zones rurales est la cause fondamentale du conflit armé.

Il n’est donc pas surprenant que les Plans nationaux de développement général du gouvernement, le Cadre d’assistance au développement des Nations Unies qui s’aligne sur les priorités de développement du gouvernement, et le Cadre des Nations Unies pour le renforcement de la paix en Colombie se concentrent tous sur les zones rurales. Pourtant, la plupart des PDI ont fui vers des zones urbaines et ne souhaitent pas retourner dans leurs communautés rurales d’origine. Alors que les acteurs internationaux défendent une approche globale du développement qui reconnaît les liens entre zones urbaines et rurales, les accords quant à eux restent pratiquement muets sur les politiques nécessaires à l’intégration des millions de PDI qui vivent dans des zones urbaines. Il est notoire qu’aucun de ces plans ne propose de solutions stratégiques à l’intention des PDI et des réfugiés rapatriés dans le pays.

De manière tout à fait similaire, l’Équipe humanitaire dans le pays axe ses efforts sur la réponse aux besoins humanitaires associés aux situations d’urgence qui continuent de surgir dans le pays, ignorant ainsi les besoins en termes de réintégration à plus long terme des PDI et des réfugiés rapatriés. L’absence de structures prévues pour établir des passerelles entre l’architecture de la coordination humanitaire et les mécanismes de coordination mis en place sous l’égide de l’Équipe pays des Nations Unies, signifie que les acteurs du développement et de l’humanitaire à ce jour n’unissent toujours pas systématiquement leurs efforts lorsqu’ils soutiennent les PDI et les autorités dans la recherche de solutions durables à la situation de ces catégories de personnes.  

Asile et rapatriement

Alors qu’il a entrepris d’offrir des indemnités pour les violations des droits de l’homme subies en lien avec le conflit armé, le gouvernement répugne toujours à élaborer un cadre global et volontaire de rapatriement et de réintégration à l’intention de ceux que l’on appelle les « victimes de l’étranger ». Le gouvernement, par exemple, offre un soutien au rapatriement à des Colombiens qui vivent à l’étranger et cherchent à organiser leur retour par l’intermédiaire des consulats des pays dans lesquels ils vivent. Mais les réfugiés qui se rapatrient spontanément ou qui sont forcés de rentrer ne reçoivent à long terme aucun soutien au rapatriement de la part de l’État.

De même, le gouvernement n’a pas fait d’efforts pour instaurer des mécanismes tripartites entre des pays individuels d’asile et l’UNHCR (l’agence des Nations Unis pour les réfugiés) en vue d’une intégration locale des réfugiés colombiens qui ne souhaitent pas se rapatrier. Ceci, en dépit de demandes vigoureuses et répétées de la part d’ONG colombiennes et d’associations de victimes à l’étranger qui exhortent l’État à créer - dans le cadre des négociations de paix – une sous-commission pour s’occuper des réfugiés. Suivant l’exemple de la Conférence et du Processus CIREFCA qui a réussi à placer le problème du déplacement en tête de la liste de priorités de l’initiative de paix en Amérique Centrale en vue de trouver des solutions régionales à la situation des personne déracinées, les ONG colombiennes et les associations de victimes à l’étranger plaident pour obtenir l’organisation d’une conférence régionale visant à promouvoir l’accès à des solutions durables pour les réfugiés et les communautés d’accueil de cette région grâce à l’adoption d’une approche d’assistance et de développement.[4]

Le rôle de l’UNHCR

Jusqu’à présent l’UNHCR a été le seul acteur international présent dans la région à élaborer des stratégies et des solutions globales en faveur des populations déplacées en Colombie et dans les pays voisins. Outre l’assistance apportée aux autorités en vue de faciliter le retour, l’intégration locale ou la réinstallation des communautés déplacées dans les endroits où les conditions se prêtent à des solutions de ce type, l’UNHCR travaille avec les personnes déplacées et les communautés qui les reçoivent à travers toutes les étapes de ce processus. L’agence pour les réfugiés a également aidé les associations de victimes dans les pays d’asile à rétablir des liens avec le gouvernement colombien.

Dans le cadre de l’Initiative pour des solutions transitoires (IST)[5] – un projet conjoint de l’UNHCR et du PNUD, dont le but consistait à réunir les autorités nationales, les déplacés et les communautés d’accueil en vue de trouver des solutions – l’UNHCR a sélectionné 17 communautés à travers le pays, en zone rurale et urbaine, et a poursuivi trois axes de travail : amélioration de la qualité de vie (terre, logement, accès aux services essentiels et développement de l’économie locale), renforcement des organisations et des institutions, et protection des victimes et de leurs droits. L’IST comprend des projets locaux d’intégration urbaine comme la légalisation de sites informels d’installation ainsi que des projets de retour et de réinstallation. L’UNHCR tire maintenant parti des enseignements de ces projets afin de promouvoir auprès des autorités nationales une politique globale de recherche de solutions, de manière à ce que le gouvernement reproduise ces projets dans d’autres zones du pays une fois l’accord de paix signé.

Dans des pays comme l’Équateur et le Costa Rica qui accueillent de nombreux réfugiés colombiens, l’UNHCR a adopté des stratégies globales d’intégration locale et a également réinstallé des réfugiés colombiens d’Équateur et du Costa Rica dans d’autres pays de la région. Ce sont les Plans d’action du Mexique et du Brésil, et les principes de la solidarité internationale et du partage de la responsabilité entre les principaux pays qui reçoivent des réfugiés et les autres pays de la région qui ont servi à encadrer ces réinstallations.

La migration régionale a également fait l’objet d’une attention toute particulière. Par exemple, dans le cadre d’un projet de mobilité transnationale de la main-d’œuvre, des réfugiés colombiens en Équateur ont bénéficié d’un permis de résidence de deux ans au Brésil sans perdre leur statut de réfugiés en Équateur. Le permis de résidence prévoit un accès aux droits – principalement au droit de travailler et d’étudier – et aux services publics, et peut potentiellement se transformer en permis de résidence permanent.[6]

Conclusion

Le gouvernement colombien, les Nations Unies et les pays bailleurs abordent le déplacement des PDI et des réfugiés colombiens comme une question avant tout humanitaire. Ce qui explique pourquoi les différents cadres de renforcement de la paix et du développement n’ont pas réussi à susciter l’implication de l’ensemble du gouvernement ou des organisations impliquées, et qu’en conséquence ils n’ont pas réussi non plus à répondre aux besoins de réintégration des populations déplacées d’une manière globale et explicite.

Si le déplacement prolongé de 6,9 millions de PDI – 14 % de la population colombienne – reste sans solution, il est probable qu’il devienne un obstacle majeur dans le processus de renforcement de la paix. Parallèlement, il est possible que la recherche de solutions pour les PDI et les réfugiés reprennent de l’élan une fois signé l’accord de paix définitif. Même si le gouvernement n’élabore pas une stratégie et des solutions globales à l’intention des PDI et des réfugiés, l’UNHCR, en collaboration avec les communautés de PDI, les associations et les ONG de victimes, peut réussir à introduire le sujet des solutions dans le plan de réaction rapide du gouvernement et dans les plans de développement locaux. En droite ligne avec le Plan d’action du Brésil de 2014,[7] une stratégie régionale visant la recherche de solutions globales pour créer une union entre la Colombie, les pays d’asile et la communauté internationale reste un objectif souhaitable afin de créer des synergies entre l’intégration locale, la réinstallation et le rapatriement volontaire des réfugiés colombiens et des autres victimes du conflit armé.

 


Martin Gottwald gottwald@unhcr.org
Représentant adjoint, UNHCR Colombie www.unhcr.org



[1] Gottwald M (2012) « Back to the Future: The Concept of Comprehensive Solutions », Refugee Survey Quarterly 31 (3) http://rsq.oxfordjournals.org/content/31/3/101.full.pdf+html

[3] Gottwald M (2004) « Protecting Colombian Refugees in the Andean Region: the fight against invisibility », International Journal of Refugee Law 16 (4)

[6] Voir : Montenegro C (2016) « La protection sociale : une quatrième solution durable ?, Revue des migrations forcées N°51 www.fmreview.org/destination-europe/montenegro

 

 

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