Communication d’informations à la frontière entre la Thailande et la Birmanie

La communication d’informations est apparue comme une préoccupation particulière des résidents des camps en Thaïlande depuis ces dernières années, alors que les possibilités de rapatriement devenaient plus concrètes.

Environ 110 000 résidents (principalement issus de l’ethnie Karen) vivent dans neuf camps à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie, où les programmes humanitaires sont dorénavant orientés sur la préparation au retour. Le consensus général parmi la communauté humanitaire indique toutefois que les conditions en Birmanie ne sont pas encore propices à la promotion du rapatriement.[1] Cependant, en raison du manque d’informations officielles et de l’incertitude provoquée par la réduction des financements et la réduction subséquente des services dans les camps, les réfugiés sont d’autant plus soucieux d’obtenir des informations fiables relativement à leurs futures options.

Le Comité des réfugiés karens a formellement mis en avant, à l’occasion du premier atelier sur le rapatriement organisé en juin 2012, le besoin d’un meilleur partage des informations avec les réfugiés en tant que préoccupation prioritaire. L’UNHCR (l’agence de l’ONU pour les réfugiés) et le comité de coordination des services en faveur des personnes déplacées en Thaïlande (CCSDTP), qui coordonne les activités de 19 ONG prestataires de services dans les camps, ont reconnu que les réfugiés n’ont pas suffisamment accès aux canaux formels par lesquels ils peuvent demander et obtenir des informations pertinentes et crédibles.[2]

En 2013, j’ai mené une étude ethnographique en vue de comprendre comment les résidents de camps percevaient le rôle et l’importance de la communication dans le contexte des camps, et plus particulièrement à la lumière de l’éventualité d’un rapatriement. De nombreux résidents auxquels je me suis adressée m’ont expliqué que le manque d’informations fiables au sujet de la situation en Birmanie et des projets de rapatriement ne faisait qu’accentuer leurs préoccupations et leur incertitude. Par exemple, une mère de deux enfants m’a dit : « Je ne sais rien, je n’ai aucune information concernant où ils nous enverront et ce qu’ils nous feront ».

Les résidents des camps désiraient également connaître les options possibles pour ceux qui ne souhaitaient pas retourner en Birmanie. Seraient-ils autorisés à rester dans les camps ou à s’établir dans un pays tiers ? Ou les camps seraient-ils fermés par la force et le rapatriement imposé aux personnes n’ayant pas le droit à la réinstallation car elles étaient arrivées après le moratoire sur la sélection des nouveaux arrivants, appliqué par le gouvernement thaïlandais depuis novembre 2005 ? De plus, les résidents des camps ne souhaitent pas simplement recevoir des informations mais également pouvoir exprimer leurs préoccupations et leurs questions au sujet de la négociation des conditions de retour.

« Nous résidons ici tellement longtemps et pourtant personne ne nous donne une chance. Nous ne pouvons pas rencontrer l’ONU ni les ONG. Nous ne pouvons rien dire ; nous nous taisons et restons tranquilles. [… ] Personne ne descend pour venir nous parler, nous donner une chance ou nous donner le droit humain de dire ce que nous avons besoin de dire. » (un résident âgé du camp de Mae La)

Il est nécessaire d’entretenir un dialogue sur ces questions et sur d’autres pour que les résidents des camps puissent décider, de manière éclairée, s’il est sûr de prendre le chemin du retour, et quand et comment prendre ce chemin, ce qui constitue indubitablement les conditions préalables d’un rapatriement « volontaire ». Au fur et à mesure que le rapatriement se prépare, les résidents des camps devront obtenir des informations sur des questions telles que les zones de réinstallation, les programmes de moyens de subsistance, les garanties concernant l’exercice des droits humains, les activités de déminage, l’emplacement des troupes ou encore si l’instruction ou les formations suivies dans les camps seront reconnues en Birmanie.

« Si vous décidez de votre sort en vous basant sur des rumeurs, tous ces fondements sont faux ; c’est ce que je veux que vous compreniez, » m’a confié un homme de Nu Po. De la même manière, un jeune homme de Mae La m’a expliqué : « Les réfugiés doivent connaître leur droit à l’information. […] Sinon, ils prendront la mauvaise décision pour leur avenir et leur vie ne s’améliorera jamais ».

Principale source d’information

Dans les camps, les flux d’informations suivent une structure d’autorité hiérarchique qui favorise et restreint à la fois l’accès des résidents aux informations. Les réunions de « section » (correspondant aux différentes sections géographiques chaque camp), les haut-parleurs et les panneaux d’information sont les principaux canaux (tous gérés par les comités des camps) utilisés par les organisations pour diffuser des informations aux populations des camps. En pratique, ces mécanismes fonctionnent de manière inégale ou ne sont pas accessibles à toutes les sections du camp. Les résidents estimaient que ces mécanismes de partage d’informations communiquaient principalement des connaissances sur les règles et les procédures à suivre dans les camps mais manquaient de donner des informations détaillées sur les questions qui leur semblaient les plus importantes.

Les praticiens humanitaires constituent l’échelon supérieur de la hiérarchie de contrôle des informations disséminées dans les camps, puisqu’ils sont la première source d’information accessible par les comités des camps et que leurs décisions concernant les informations qui sont ou ne sont pas communiquées ont un impact direct sur les résidents des camps. Les praticiens humanitaires ont expliqué prendre leurs décisions sur les informations à disséminer au cas par cas, en se basant sur leur propre évaluation de la pertinence de certaines informations pour les populations des camps. Toutefois, il n’y a pas suffisamment de structures en place pour garantir que ces décisions répondent efficacement aux véritables besoins informationnels des résidents des camps, qui évolueront inévitablement au fil du temps.

Une autre « étape de sélection » des informations a lieu lorsque les comités des camps décident quels éléments des informations fournies par les organisations humanitaires seront transmis aux chefs de section, qui les communiqueront ensuite aux résidents des camps. Les administrations des camps sont dominées par des Karen chrétiens parlant le sgaw, qui représentent environ un tiers de la population karen mais sont généralement les membres les plus instruits et prospères de cette ethnie. De surcroît, la représentativité des comités de camps est également compromise dans la mesure où les résidents non enregistrés des camps n’ont pas le droit de vote ni d’être nominés lors des élections des comités des camps. Cette situation est particulièrement problématique dans les camps de Mae La, Umpiem et Nu Po, où un nombre considérable de personnes non enregistrées n’appartiennent pas au groupe ethnique majoritaire. Les résidents des camps non karens ont souvent suggéré que les Karens bénéficiaient d’un traitement préférentiel dans les camps, laissant les autres groupes ethniques marginalisés et sans voix. Par conséquent, les organisations humanitaires devraient communiquer les informations les plus importantes directement aux résidents des camps.[3]

Étant donné qu’une seule personne par ménage est autorisée à assister aux réunions de section, le membre du ménage qui assiste à ces réunions exerce également un degré de contrôle élevé sur les informations auxquelles les autres membres du ménage ont accès. Une femme d’une vingtaine d’années nous a expliqué que son grand-père avait dissimulé aux autres membres de sa famille des informations concernant la courte période d’enregistrement mise en place par l’UNHCR avant le commencement du programme de réinstallation en 2005. Son grand-père entretenait l’espoir qu’il serait un jour suffisamment sûr de retourner dans l’État du Karen, et il souhaitait que les membres de sa famille y retournent avec lui. Mais au moment où le reste de sa famille a enfin entendu parler de cette possibilité d’enregistrement, il était déjà trop tard pour que leur cas soit étudié.

Un problème apparaît ici clairement : les résidents des camps qui se trouvent tout en bas de la hiérarchie de communication sont moins susceptibles d’obtenir des informations fiables et en temps opportun. Les résidents des camps qui ne peuvent pas assister aux réunions de section, qui sont illettrés, qui ne parlent pas le karen ou qui vivent dans une zone où le haut-parleur est en panne ou inaudible (ou dénuée de haut-parleur) n’ont pas d’autre choix que de s’en remettre principalement aux informations véhiculées de bouche à oreille par les autres résidents qui ont un meilleur accès aux mécanismes de partage des informations. Les résidents des camps issus des ménages vulnérables sont moins susceptibles d’assister aux réunions de section car ils sont avant tout préoccupés par la lutte quotidienne pour subvenir à leurs besoins. Une jeune femme nous a expliqué que sa mère et elle-même n’avaient pas été en mesure d’assister à ces réunions car elles cherchaient par tous les moyens à joindre les deux bouts depuis le décès de son père quelques années auparavant. « Nous allons travailler dans un village à l’extérieur du camp, donc nous ne pouvons pas assister aux réunions, » a-t-elle confié.

L’accessibilité des informations imprimées, par exemple sur des panneaux d’information, reste limitée étant donné que de nombreux résidents des camps sont illettrés. Un autre problème provient du fait que chacune des annonces est généralement imprimée en une seule langue : karen, birman ou anglais, selon la composition ethnique majoritaire du camp concerné.

Certains résidents des camps ont tenté d’obtenir des informations par eux-mêmes mais leur accès aux médias d’information et aux technologies de communication est très limité. En l’absence d’autres sources d’information, le partage des rumeurs constituait pour les résidents des camps un moyen de spéculer collectivement au sujet de leurs expériences et, par là-même, de leur donner un sens.

Depuis la fin des travaux de terrain réalisés dans le cadre de cette étude, le CCSDPT a collaboré avec le Comité des réfugiés karens afin d’élaborer un modèle de partage d’informations. Des équipes d’information des camps, composées de personnel recruté parmi les populations des camps, opèrent dorénavant dans les sept « camps karens ». Le Comité des réfugiés karens a pour responsabilité de former ces équipes à différentes activités de dissémination d’informations, dont des projections communautaires, des forums communautaires, des visites à domicile, des projections de DVD dans les bureaux et la distribution de prospectus. Le CCSDPT apporte une assistance technique et des financements.

Conclusion

Les défis concernant le partage des informations à la frontière thaïlando-birmane sont révélateurs de la tendance traditionnelle du secteur humanitaire à concentrer les efforts d’assistance sur les besoins physiques, tandis que les informations et la communication sont traités comme des préoccupations secondaires. Toutefois, si les organisations humanitaires ne donnent pas accès à des informations exactes et en temps opportun, ce manquement peut avoir un impact considérable sur le bien-être psychologique des réfugiés, mais également entraver leur capacité à prendre des décisions éclairées. De plus, il existe une relation établie entre le dialogue (c’est-à-dire, garantir que les bénéficiaires de l’aide aient non seulement accès aux informations mais que les organisations humanitaires écoutent également ce qu’ils ont à dire) et les améliorations apportées à la conception et à la fourniture de l’aide, à la construction de relations, à la responsabilisation, à la transparence et à la confiance.[4]

Il faut donc que planifier rigoureusement la communication des informations afin de refléter la diversité des résidents des camps et, par là-même, de ne pas perpétuer ni exacerber les inégalités sociales, ce qui ne ferait que contribuer à la marginalisation et à la perte d’autonomie. Au cours des dix dernières années, un éventail d’organisations humanitaires a changé de vision pour envisager la communication en tant que besoin fondamental des communautés touchées par une crise mais aussi en tant que service pouvant améliorer la qualité et l’efficacité des efforts d’assistance dans tous les secteurs.

 

Victoria Jack victoriaalicejack@gmail.com
Travaille actuellement avec Internews en Grèce www.internews.org. Récemment diplômée d’un doctorat de l’École de conception, communication et informatique de l’université de Newcastle en Australie, où sa thèse portait sur le thème de la communication en tant qu’assistance pour donner une voix aux réfugiés à la frontière thaïlando-birmane (Communication as aid: Giving voice to refugees on the Thai-Burma border).



[1] The Border Consortium (2015) Programme report: January-June 2015, p11 www.theborderconsortium.org/media/62531/2015-6-mth-rpt-Jan-Jun.pdf

[2] Voir les Termes de référence et mises à jour du CCSDPT relatifs au partage des informations www.ccsdpt.org/information-sharing/

[3] Voir UNHCR (2006) Operational Protection in Camps and Settlements, p57-63. www.unhcr.org/448d6c122.html

[4] Abud M, Quintanilla J et Ensor D (2011) Dadaab, Kenya. Humanitarian communication and information needs assessment among refugees in the camps: Findings, analysis and recommendations. Internews www.internews.org/sites/default/files/resources/Dadaab2011-09-14.pdf

 

 

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