Solutions transitoires pour les déplacés dans la corne de l’Afrique

Les réfugiés peuvent apporter une contribution considérable à leur pays de refuge. Cependant, un appui juridique, structurel et politique est crucial pour renforcer cette contribution et optimiser les opportunités qui se présentent.

Si la recherche de solutions durables pouvait être dissociée du programme d’action relatif à la migration plutôt que de se concentrer sur le mouvement lui-même et ses causes, cela pourrait contribuer à mettre en lumière certains des avantages économiques, politiques et sociaux de ces solutions pour les pays d’asile en général. La vaste différence observée dans certains pays entre les dispositions juridiques existantes visant à assister les réfugiés et la mise en œuvre ainsi que l’application équitable de ces lois sur le terrain se traduit par des restrictions fréquentes, sévères et troublantes de l’accès des réfugiés aux papiers et aux services, à la liberté de mouvement, au droit de travailler et au droit de propriété.

Nous avons donc besoin d’un mécanisme ou d’un système qui permette de regrouper les efforts fragmentés dans le cadre d’un programme d’action collectif intégrant tous les acteurs œuvrant en faveur de solutions, en dépassant le domaine humanitaire pour inclure les acteurs du développement, le secteur privé, le monde universitaire et la société civile, et en dépassant également les autorités nationales pour inclure les administrations régionales et locales. Un tel système collaboratif est nécessaire pour que le débat public dépasse les questions liées à l’insécurité et aux menaces afin d’engager des discussions plus innovantes et de trouver des points d’entrée pour les solutions. Les considérations d’ordre sécuritaire, plutôt que les préoccupations humanitaires ou liées au développement, dominent un grand nombre des politiques relatives aux réfugiés dans la région de la corne de l’Afrique, ce qui affaiblit considérablement les structures de soutien institutionnel pour les administrations locales qui sont responsables des questions relatives à ces populations.

Le cas du Turkana au Kenya

Au Kenya, le processus de décentralisation (le transfert des pouvoirs publics du niveau central vers les comtés) est un élément essentiel des solutions transitoires pour les réfugiés.[1]

Le camp de réfugiés de Kakuma est situé dans le comté du Turkana, dans la région nord-ouest du Kenya. Au niveau local, il est crucial d’établir un partenariat entre les acteurs locaux par le biais d’interventions locales en vue de renforcer l’autonomie des réfugiés en situation prolongée tout autant que celle de leurs communautés d’accueil. L’imposition et les recettes fiscales du comté en constituent l’un des meilleurs exemples. En effet, les réfugiés représentent une source fiscale non exploitée par l’imposition des entreprises qu’ils dirigent. Bien que les réfugiés soient taxés de manière indirecte lorsqu’ils consomment des produits ou effectuent d’autres paiements, ils accueillent eux-mêmes favorablement le besoin d’établir des mécanismes formels d’imposition, si ceux-ci s’accompagnent de l’autorisation formelle de diriger leur entreprise.

Selon l’un des représentants du Département des affaires relatives aux réfugiés du Turkana : « Le Turkana apprend à exploiter l’importance du camp de réfugiés. Le pays perçoit des impôts auprès des réfugiés – il s’agit de l’une des sources de perception pour le pays. » Au Kenya, comme dans les autres pays de la région, les réfugiés sont souvent établis dans des zones marginalisées, à faible revenu et arides ou semi-arides. Le besoin d’une plus grande solidité fiscale au niveau local pour appuyer les plans de développement du comté peuvent jouer en la faveur des réfugiés, qui sont disposés à travailler ou diriger une entreprise et payer leurs impôts.

Si l’objectif est de permettre aux réfugiés de contribuer plus largement à l’assiette fiscale, il faudra alors leur octroyer des permis de travail. À l’heure actuelle, ces permis sont délivrés de manière centralisée à Nairobi, la capitale, et relèvent de la responsabilité du Département de l’immigration. Si ce pouvoir était décentralisé au niveau des comtés, les réfugiés pourraient en profiter plus rapidement tandis que les administrations locales pourraient enregistrer aussi bien les réfugiés que leurs entreprises en vue de les taxer. La décentralisation d’autres services du Département de l’immigration au niveau des camps pourrait offrir des possibilités supplémentaires d’intégration économique et de génération de recettes au niveau local, ce qui dynamiserait l’économie locale.

L’établissement d’un cadre fonctionnel entre les autorités nationales et les comtés hébergeant les réfugiés pourrait servir de point de départ pour que les comtés commencent à gérer eux-mêmes les réfugiés. Actuellement, suite à la décentralisation des pouvoirs au Kenya, les décisions qui relevaient précédemment des autorités centrales sont dorénavant prises par les comtés, en consultation avec la communauté. Les administrations des comtés sont responsables de la prestation des services, de la résolution des conflits et du développement sur leur territoire – trois composantes essentielles du mandat relatif aux réfugiés. Ce sont les feuilles de route de développement quinquennal des plans de développement intégré des comtés qu’il convient d’utiliser pour renforcer les impacts positifs potentiels de la présence des réfugiés, tels que le commerce, l’éducation et les moyens de subsistance, et pour en atténuer les répercussions défavorables sur l’infrastructure et l’environnement

Lorsque les comtés contrôlent l’affectation des ressources et les mécanismes de financement, il leur est alors possible d’avoir une influence positive sur les affaires relatives aux réfugiés. La société civile et internationale exhorte les comtés à allouer une partie de leur budget aux programmes destinés aux réfugiés. C’est déjà ce que fait le Turkana, où certains éléments du budget et des programmes du comté bénéficient à la fois aux communautés d’accueil et de réfugiés.

L’engagement initial des administrations de comté en faveur des réfugiés s’articule autour de trois composantes essentielles : le développement communautaire, la résolution des conflits ainsi que la santé et l’éducation. Les comtés du Turkana et de Garissa qui accueillent des réfugiés, de même que les organismes d’aide, participent déjà à la prestation de services aux réfugiés et aux communautés d’accueil, d’autant qu’ils reconnaissent le rôle des réfugiés en tant qu’agents économiques essentiels. Ce type d’engagement au niveau local est indispensable pour transformer des solutions transitoires en solutions durables, et peut être reproduit et élargi dans les situations de réfugiés prolongées.

Bonnes pratiques

Il existe d’autres exemples de bonnes pratiques, tels que les suivants :

Kenya : L’administration locale a affecté 1 500 hectares de terres à l’établissement d’un nouveau camp, Kalobeyei, pouvant accueillir jusqu’à 60 000 réfugiés, ce qui permettra de décongestionner le camp de Kakuma. Dans le cadre d’une nouvelle approche intégrant les économies locales et des réfugiés à la planification du nouveau site, environ 900 hectares seront affectés à l’installation des réfugiés tandis que les 600 hectares restants seront affectés aux activités économiques, dont l’agriculture.

Éthiopie : Une politique « hors camp » a permis aux réfugiés érythréens établis en Éthiopie de vivre hors des camps de réfugiés en milieu urbain. Cette approche a été appréhendée comme un solide point de départ pour trouver des solutions autres que les camps en milieu urbain. Mais bien qu’il s’agisse d’un signe d’engagement positif en termes de recherche de solutions, sa mise en œuvre a pour l’instant été lente.[2]

Ouganda : La Loi de 2006 relative aux réfugiés et les Réglementations de 2010 relatives aux réfugiés transposent de nombreuses obligations internationales du pays dans la législation nationale. De plus le Programme de transformation des installations (Settlement Transformative Agenda - UGSTA) vise à combler l’écart entre les interventions d’urgence vitales et les approches du développement à plus long terme en incluant les interventions auprès des réfugiés dans le Plan national de développement.

Somalie : Parmi les efforts pour trouver des solutions durables, il a été préconisé d’intégrer les personnes déplacées de Somalie au cadre de développement financé par les bailleurs et dirigé par le gouvernement somalien, qui couvre la période de 2013-2016. Ces activités de plaidoyer ont abouti à l’inclusion du déplacement et des solutions parmi les thèmes principaux des consultations pour le Plan national de développement que le Gouvernement fédéral de Somalie élabore actuellement.

 

Nassim Majidi nassim.majidi@samuelhall.org
Fondateur et codirecteur, Samuel Hall

Saagarika Dadu-Brown saagarika.dadu@samuelhall.org
Chercheuse, Samuel Hall

samuelhall.org

Cet article se base sur des recherches menées par Samuel Hall pour le Regional Durable Solutions Secretariat (ReDSS, le Secrétariat régional des solutions durables).



[1] ReDSS/Samuel Hall (2015) « Devolution in Kenya: Opportunity for Transitional Solutions for Refugees? » www.drc.dk/media/1419712/final_devolution_report_230715.pdf

[2] Voir également Samuel Hall (2014) Living out of camp: Alternatives to camp-based assistance for Eritrean refugees in Ethiopia http://samuelhall.org/wp-content/uploads/2014/05/Living-Out-of-Camp-Alternative-to-Camp-based-Assistance-in-Ethiopia.pdf

 

 

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