Rapatriement et solutions dans des contextes de stabilisation

Les contextes soi-disant de stabilisation comportent des risques en termes de rapatriement, c’est pourquoi il est particulièrement important de maintenir une différence juridique et pratique entre rapatriement obligatoire et volontaire.

La primauté est habituellement accordée au rapatriement volontaire comme la solution durable privilégiée pour les réfugiés. Ceci pour des raisons dictées en partie par le contexte sociopolitique qui entoure généralement les crises de réfugiés, et en partie par l’obligation explicite qu’ont les États, aux termes du droit international, d’admettre dans le pays leurs propres ressortissants. Cela soulève des questions concernant la signification donnée au terme de « rapatriement » dans la Convention de 1951 sur les réfugiés et au titre du Statut de l’UNHCR (l' agence des Nations Unies pour les réfugiés) de 1950, et aussi concernant la relation entre rapatriement des réfugiés et clauses de cessation. Cette question est particulièrement pertinente dans des contextes où des rapatriements volontaires à grande échelle sont activement encouragés mais dans lesquels la modification des circonstances sociopolitiques dans les pays d’origine n’est pas de nature à entrainer une cessation du statut de réfugié. Les contextes de stabilisation, comme celui de la Somalie où les conditions qui avaient provoqué une fuite massive de réfugiés vers l’étranger persistent pour l’essentiel, sont des contextes de ce type. 

En vertu de la Convention de 1951, lorsqu’il y a perte du statut de réfugié du fait d’un changement de circonstances dans le pays d’origine, le pays d’accueil a le droit de rapatrier un ancien réfugié indépendamment de sa volonté de rentrer, du moment qu’il le fait conformément aux dispositions applicables du droit des droits de l’homme. Le changement de circonstances doit être fondamental, durable et entrainer un rétablissement de la protection. À l’opposé, le Statut de 1950 autorise l’UNHCR à faciliter les efforts de rapatriement uniquement s’il s’agit d’un rapatriement librement consenti et, ce « même dans les cas où l’UNHCR ne considère pas, objectivement, que le retour est sans danger pour une majorité des réfugiés ».[1] La différence réside donc, entre le rapatriement obligatoire, fondé strictement sur la clause de cessation de la Convention de 1951 qui lie les États qui en sont signataires, et le rapatriement volontaire, que l’UNHCR peut faciliter, même avant que les circonstances pertinentes n’aient changé dans le pays d’origine, sur la base d’une décision éclairée prise individuellement et en toute liberté par le réfugié concerné. Les confusions ou une mauvaise compréhension de ces deux cadres différents de rapatriement peuvent avoir des conséquences négatives pour la protection des réfugiés concernés.

Dans des pays qui, parfois de manière abusivement optimiste, sont considérés comme ayant atteint une phase de stabilisation après un conflit prolongé, la confusion entre rapatriement obligatoire prévu par la Convention et rapatriement volontaire peut placer les réfugiés qui rentrent chez eux dans une situation de vulnérabilité accrue. Le cas des réfugiés somaliens au Kenya est un exemple de ces dynamiques. En 2013, en vertu d’un cadre de rapatriement volontaire associé à l’accord tripartite entre la Somalie, le Kenya et l’UNHCR, 2589 réfugiés somaliens sont rentrés du Kenya au cours du premier semestre 2015 dans le cadre d’un projet pilote. Ce projet pilote a ensuite été remplacé par un plan opérationnel plus ambitieux couvrant une zone géographique plus étendue. Malheureusement, l’élan qui a entouré ces rapatriements volontaires s’est vu accompagné d’une recrudescence des déportations forcées – 359 déportations en avril et mai 2014 uniquement, selon Human Rights Watch – en violation du principe de non-refoulement central à la Convention qui lie le Kenya, comme si l’existence d’un programme de rapatriement volontaire pouvait signifier une cessation généralisée du statut de réfugié pour l’ensemble d’une population hétérogène de réfugiés.

Il est notoire dans les contextes de migration qui n’impliquent pas de réfugiés, que le succès des programmes de Retour volontaire assisté et de réintégration dépend d’une menace crédible de retour forcé. C’est une dynamique similaire qui a été enclenchée au Kenya dans le cas des réfugiés somaliens. Les fréquentes déclarations des dirigeants kenyans et somaliens, qui déplorent la lenteur du processus de retour ou la fixation de cibles particulièrement élevées pour le programme de rapatriement volontaire, sont le reflet d’une politisation à outrance bien réelle de cette question. Dans un tel contexte, les pressions pour hâter le processus sont fortes et les droits des réfugiés tendent à passer à la trappe.

La centralité de la protection

Les considérations de protection doivent rester centrales à la recherche de solutions pour les déplacés somaliens, et doivent s’ancrer dans une interprétation correcte des dispositions conventionnelles pertinentes. Des preuves empiriques indiquent que dans la phase pilote du programme de rapatriement volontaire des Somaliens, un certain nombre de rapatriés ont dû chercher des abris et obtenir une assistance humanitaire dans les camps de PDI. Des cas de « porte tournante » ont également été signalés, avec des rapatriés qui sont repartis au Kenya après avoir reçu leur assistance à la réintégration en Somalie. Afin d’éviter ce type de conséquences, il est essentiel que les réfugiés somaliens ne se sentent pas contraints de choisir entre un retour facilité et une déportation obligatoire.  

Des difficultés similaires ont été signalées dans d’autres contextes de stabilisation, et plus particulièrement en Afghanistan,[2] et elles mettent en exergue les limites intrinsèques du rapatriement volontaire vers des États fragiles, surtout lorsque les pays d’accueil considèrent ce dernier comme une possibilité de brèche vers des rapatriements forcés. Les cadres juridiques différents qui règlementent le rapatriement obligatoire et le rapatriement volontaire doivent être clarifiés en vue d’éviter des comportements opportunistes de la part des États.

Au strict minimum il est recommandé de :

  • clarifier que les dispositions relatives au rapatriement volontaire ne permettent pas en soi d’autres formes de rapatriement ;
  • consolider l’engagement des États envers le principe du non-refoulement ;
  • s’efforcer de préserver et de renforcer l’espace de protection et d’asile dans les pays hôtes pendant la mise en œuvre d’initiatives de rapatriement volontaire.

 

Un rapatriement n’entraîne pas automatiquement une solution durable qui dépend d’un rétablissement (selon les termes de la Convention) global des droits et de la protection. L’inclusion des questions de déplacement parmi les priorités de stabilisation nécessite donc un dialogue constructif entre humanitaires et décideurs politiques, mais aussi entre humanitaires et acteurs du développement. Ces dialogues doivent reconnaitre que dans des circonstances complexes, comme celles de la Somalie ou de l’Afghanistan, l’assistance humanitaire et l’aide au développement doivent impérativement coexister en même temps.

Dans des situations d’instabilité chronique il ne serait pas réaliste de supposer qu’un rapatriement volontaire puisse constituer une solution pour un très grand nombre de cas. Pour ce qui est de la Somalie, l’UNHCR et la communauté internationale ont la ferme conviction que la situation dans le centre et le sud de la Somalie ne se prête pas à des retours sur une échelle massive. De plus, une culture très fortement ancrée dans la mobilité et le transnationalisme pourrait rendre l’idée-même d’un « retour chez soi » peu attirante pour de nombreux réfugiés somaliens qui vivent un déplacement prolongé.

La mobilité, outre qu’elle est un droit humain fondamental, peut également faire partie d’une stratégie de solution durable.[3] Un réfugié pourrait volontairement décider de « rentrer » en se réclamant de sa citoyenneté, tout en restant dans le pays d’accueil (ou en se déplaçant vers un pays tiers) muni d’un permis de résidence à long terme. Une solution similaire a été adoptée en 2007 au Nigéria dans le cas de populations réfugiées résiduelles provenant du Libéria et de Sierra Leone dans le cadre d’un accord multipartite axé sur des traités de la CEDEAO. Même si cela peut s’avérer moins réalisable dans le contexte de l’Afrique de l’Est en l’absence d’un cadre juridique comparable, la possibilité de concilier le droit de résidence temporaire dans un pays d’accueil avec la reprise de sa propre nationalité d’origine mérite d’être explorée plus avant.  

Selon l’UNHCR, 12,9 millions de réfugiés vivaient dans des situations de déplacement prolongé à la fin de 2014, et seulement 126 800 d’entre eux ont opté pour un rapatriement volontaire au cours de la même année. Au vu des tendances mondiales actuelles, on pourrait devoir attendre plus de 20 ans pour que les réfugiés qui vivent actuellement un déplacement prolongé retournent dans leur pays d’origine, et cela, sans même se demander si un retour sur une telle échelle est possible ou simplement souhaitable. Outre la poursuite d’initiatives nouvelles de rapatriement – associées aux réserves conséquentes discutées ci-dessus concernant la distinction entre régime volontaire et régime obligatoire – les modalités du rapatriement volontaire devraient, dans l’idéal, être étendues de manière à inclure la possibilité de solutions alternatives fondées sur un encadrement de la migration transnationale.  

 

Giulio Morello giulio.morello@gmail.com
Responsable de la protection, Liberia, Conseil Danois pour les Réfugiés (DRC) et ancien Coordinateur pour les solutions durables, DRC Somalie www.drc.dk

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position du Conseil Danois pour les Réfugiés.



[1] UNHCR (1996). Manuel sur le rapatriement librement consenti.

[2] Voir Schmeidl S (2009) « Le rapatriement en Afghanistan est-il une solution durable ou un moyen d’échapper à ses responsabilités ? ». Revue Migrations Forcées no. 33.

[3] Voir par exemple Long (2010) Home alone? A review of the relationship between repatriation, mobility and durable solutions for refugees. UNHCR PDES. www.unhcr.org/4b97afc49.html

 

 

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