Développer des entreprises en Équateur

Engager les réfugiés dans le développement économique de la province d’Esmeraldas, en Équateur, permettrait non seulement de fournir à ces derniers des moyens de subsistance mais aussi de combattre l’idée reçue selon laquelle ils sont un fardeau pour la société.

Dans la province d’Esmeraldas, l’une des moins développées de l’Équateur, plus de 6 000 réfugiés et 18 000 demandeurs d’asile sont arrivés au cours des 10 dernières années, principalement en provenance de la côte pacifique de la Colombie. Leurs besoins humanitaires considérables n’ont fait que s’accentuer au fil du temps, de même que les attitudes négatives de la population locale envers eux.

Dans l’environnement complexe de la province d’Esmeraldas, caractérisé par un taux de chômage élevé et un faible développement industriel, l’UNHCR  (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) s’est engagé avec les pouvoirs publics, le secteur privé, des entrepreneurs sociaux, des ONG et des institutions universitaires et financières dans un programme qui est le premier de ce type en Équateur. Cette initiative a pour objectif d’aider à transformer les réfugiés en acteurs économiques au sein de leur communauté et en acteurs de leur propre intégration en Équateur, tout en contribuant parallèlement au développement de la province en y créant des emplois et en soutenant la création de petites entreprises.

Le programme consacre principalement ses ressources à l’augmentation des activités de production, de fabrication et de services, en soutenant les marchés et en établissement un « incubateur d’entreprises » pour favoriser le développement du secteur privé avec une composante sociale – en d’autres mots, le développement de petites entreprises qui créent des emplois et des richesses pour les réfugiés et la communauté locale.

L’incubateur d’entreprises

Le concept d’incubateur d’entreprises fait référence à une entité aidant les entreprises nouvelles ou en démarrage à développer les capacités qui leur permettront de rencontrer le succès. En Amérique du Nord, un certain nombre de ces incubateurs ont été établis dans de grandes écoles de commerce ou d’importants centres technologiques mais certains ont également été établis pour insuffler un dynamisme économique dans des communautés appauvries. En Équateur, l’UNHCR a forgé un partenariat avec l’Université catholique pontificale d’Équateur à Esmeraldas (PUCESE) depuis 2011 pour transmettre aux réfugiés, aux demandeurs d’asile et aux personnes autochtones vulnérables des compétences entrepreneuriales afin qu’ils puissent développer leur entreprise dans une région qui reste encore sous-développée.[1]

Dans la province d’Esmeraldas,[2] l’incubateur d’entreprises fonctionne comme les autres incubateurs, sauf qu’il se distingue en offrant aux réfugiés, aux demandeurs d’asile et aux populations autochtones vulnérables une opportunité qui serait sinon hors de leur portée. Ses objectifs particuliers (au-delà de ses objectifs de développement d’entreprise) comprennent l’intégration locale et la résolution des conflits, le renforcement de la solidarité avec les réfugiés et la promotion de l’égalité des sexes par le biais d’entreprises dirigées par des femmes.

La procédure d’intégration à l’incubateur est concurrentielle et se base sur une évaluation des capacités de l’entrepreneur et de ses indicateurs économiques et sociaux. Une commission composée d’entités privées et publiques détermine les gagnants relativement aux critères de sélection définie. Ces gagnants bénéficient d’un soutien pratique diversifié pour élargir et consolider leur activité, dont :

  • des formations, par exemple à l’administration, à la gestion, à la comptabilité, à l’évaluation des marchés, à la planification opérationnelle et au marketing ;
  • une assistance technique et un suivi de la part des techniciens du PUCESE ;
  • et également une subvention à utiliser comme capital de croissance pour consolider l’entreprise et favoriser son expansion.

 

L’Équateur présente de nombreux défis, le taux de pauvreté des réfugiés et demandeurs d’asile y atteignant 25 %. L’UNHCR a atténué le risque que ses opportunités commerciales demeurent hors de portée des réfugiés et demandeurs d’asile les plus vulnérables en encouragent les nouvelles entreprises à embaucher d’autres réfugiés ou personnes vulnérables.

Plus que de simples entreprises

Comme l’idée était de permettre aux réfugiés et aux populations locales de partager un objectif commun lié aux interactions commerciales, l’UNHCR a combiné des indicateurs opérationnels traditionnels à des paramètres sociaux afin de suivre et analyser l’impact de ce modèle. À ce jour, cette initiative a apporté son appui à 26 entreprises. Quatre d’entre elles ont échoué en raison d’un décès dans la famille ou d’une réinstallation dans un pays tiers, mais non pas pour des raisons commerciales. Parmi les entreprises restantes, 13 sont parvenues à accroître leurs recettes de 10 % au cours du premier trimestre, trois autres au cours du second trimestre et une autre au cours du troisième. Le reste des entreprises est en bonne voie pour atteindre leurs objectifs financiers au cours de l’année à venir. Certaines ont rencontré un véritable succès et ont remporté des contrats publics de plusieurs milliers de dollars. Deux entrepreneurs ont été sélectionnés pour participer à des initiatives d’échelle nationale d’accélération des entreprises, grâce auxquelles leurs produits se retrouveront sur les rayons des chaînes de supermarchés. Les données des incubateurs d’entreprises de la province d’Esmeraldas ont été comparées aux normes Global Entrepreneurship Monitor[3] afin de déterminer le degré de succès des entreprises dirigées par des réfugiés en relation avec le développement global des entreprises. Alors que 95 % des entreprises d’Esmeraldas mettent la clé sous la porte au cours de leurs deux premières années d’existence, le taux d’échec des entreprises soutenues par UNHCR-PUCESE s’élève seulement à 15 %. Au vu du succès de ce projet, 30 entreprises existantes seront intégrées cette année à l’incubateur d’entreprises afin de pouvoir bénéficier d’un plus grand appui technique et de financements, tandis que 15 nouvelles entreprises dirigées par des femmes réfugiées bénéficieront également d’une assistance.

Bien que d’une certaine manière, ces entreprises pêchent encore par leur manque de diversité et d’innovation, elles parviennent à trouver des créneaux commerciaux et des capacités de croissance. De plus, certaines de ces entreprises s’associent entre elles ou avec d’autres entrepreneurs locaux pour accroître leurs capacités et multiplier leurs opportunités commerciales. Les entreprises dirigées par des réfugiés créent des emplois pour les réfugiés et pour les membres de la population locale et combattent la discrimination et les perceptions négatives à l’encontre des réfugiés.

Un autre élément inhabituel a été intégré il y a trois ans sous la forme d’un suivi assuré par un travailleur social afin d’atténuer les conflits au sein des entreprises ou entre les entrepreneurs et leur famille. L’une des priorités portait sur le développement d’entreprises dirigées par des femmes mais les questions relatives à l’égalité des sexes au domicile et à la répartition des revenus ont entraîné des conflits au sein des ménages. Le travailleur social a adopté des techniques de résolution des conflits afin que les familles puissent prospérer et partager de manière équitable les responsabilités au domicile et dans l’entreprise.

À Esmeraldas, l’UNHCR a également forgé un ensemble de partenariats (avec des ONG locales, des ministères de l’État, des réseaux professionnels, etc.) qui ont permis d’étendre sa portée au-delà des acteurs des services humanitaires et sociaux. En participant à l’élaboration des politiques publiques relatives au développement économique, en soutenant l’agriculture de petite échelle, les marchés et la prestation de services, en ouvrant de nouvelles possibilités de commercialisation et en introduisant des services de microfinance, y compris des services de microassurance pour protéger les investissements commerciaux des chocs externes, l’UNHCR a su garantir aux réfugiés un accès au développement économique. Il a également soutenu l’élaboration de la stratégie de développement provincial, qui se concentre sur la production agricole, le développement des entreprises et le financement productif, garantissant également par là-même l’inclusion des réfugiés à cette stratégie.

Conclusion

Après quatre années d’interventions, le principal enseignement à tirer est le suivant : l’aide humanitaire peut être orientée en faveur du développement de petites entreprises, ce qui permet non seulement de créer de la richesse pour les personnes mais aussi de fournir des biens sociaux et de promouvoir l’intégration locale de milliers de réfugiés. Cette expérience a révélé que, même dans une région économiquement désavantagée, il est possible de trouver les moyens de créer des opportunités de développement économique pour les réfugiés et la population locale. L’orientation de l’assistance humanitaire en faveur de la croissance économique via le développement de petites entreprises se traduit non seulement par le développement économique mais également par le renforcement des capacités de la communauté locale à continuer d’accueillir des réfugiés. Et puisque les facteurs économiques sont souvent les variables les plus importantes de l’intégration des réfugiés, il est judicieux d’investir plus amplement dans des programmes favorisant la viabilité économique de ces populations. L’incubateur d’entreprises de réfugiés pourrait servir de modèle à explorer dans d’autres interventions auprès des réfugiés. Quant à nous, nous approchons actuellement des incubateurs d’entreprises existants pour adapter leur modèle et leurs services afin d’y intégrer les particularités de la situation des réfugiés.

 

Oscar M Sánchez Piñeiro sanchezo@unhcr.org
Officier spécialiste des moyens de subsistance, UNHCR

Regina Saavedra saavedra@unhcr.org
Adjointe chargée du suivi des moyens de subsistance, UNHCR

www.unhcr.org

Les points de vue exprimés dans ce document sont ceux des auteurs et ne reflètnte pas nécessairement les perspectives des Nations Unies ou de l’UNHCR.


[1] Nous remercions particulièrement Albert Vañó Sanchis, Víctor Pérez Prados, Rafael Luque de Dios et Roxana Benítez pour leur aide et leur assistance concernant le développement de l'incubateur des entreprises des réfugiés à PUCESE.

 

 

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