La santé mentale des enfants et des adolescents réfugiés syriens

Les soins en santé mentale peuvent apporter une aide déterminante au rétablissement psychologique et au renforcement de la résilience ainsi qu’à l’instauration de stratégies de survie positives chez les enfants, les adolescents et les adultes.

Les hommes, les femmes et les enfants qui fuient la Syrie ont généralement vécu ou été témoins de tortures d’enlèvements ou des massacres. Ils ont été soumis à des viols et à d’autres formes de violence sexuelle. Leurs habitations et les quartiers dans lesquels ils vivaient ont été détruits. Ils ont été la cible de bombardements ou de tirs isolés, et nombre d’entre eux souffrent de blessures physiques qui sont à l’origine d’invalidités chroniques. Ils ont aussi perdu des personnes chères, mortes ou disparues

Une évaluation de l’état psychique et des besoins psychosociaux des Syriens déplacés en Jordanie a révélé un état persistant d’anxiété et de colère associé à une perte d’intérêt pour toute activité, un sentiment de désespoir ainsi que des troubles du fonctionnement normal. Sur les 8000 individus qui ont participé à cette évaluation, 15,1 % ont indiqué être « tellement anxieux et 28,4 % tellement en colère que rien ne parvenait à les calmer » ; 26,3 % se sentaient « tellement désespérés et impuissants qu’ils ne voulaient pas continuer à vivre » ; et 18 ,8 % se trouvaient « incapables de s’acquitter des activités essentielles de la vie quotidienne parce qu’ils n’arrivaient pas à faire face à la peur, la colère, la fatigue, au manque d’intérêt, au désespoir ou au bouleversement de leurs émotions[1] ».

De nombreux Syriens adultes ont indiqué que leur source majeure de stress provenait de leur inquiétude concernant le bien-être et l’avenir potentiel de leurs enfants ; à la lumière de cette information, il apparaît évident qu’obtenir des soins de santé mentale spécialement destinés aux enfants est une priorité pour la communauté dans son ensemble. Les adultes sont nombreux à être constamment préoccupés par la situation de leurs enfants et par l’impact sur eux des horreurs qu’ils ont vécues. L’un de ces adultes décrit ses filles comme « étant profondément affectées » par la guerre – elles sont anxieuses, effrayées et incapables de croire qu’il existe réellement des endroits sans danger[2]. Les enfants auxquels on a demandé de dessiner un « endroit sûr » tiré de leur passé dans des groupes de soutien psychologique ne parviennent parfois même pas à se remémorer des occasions sans violence et finissent par dessiner les tanks et les soldats qu’ils ont vu peupler leurs quartiers.

Pour de nombreux enfants et adolescents syriens, cette détresse est un effet direct de l’exposition à des traumatismes liés à la guerre, à des dynamiques familiales difficiles associées au bouleversement et au déplacement, et à des facteurs de stress liés à l’adaptation à la vie en Jordanie. Les parents et autres membres de famille qui ont été eux-mêmes exposés à des expériences traumatiques et qui présentent des symptômes liés au stress et aux traumatismes peuvent éprouver des difficultés à assumer leur rôle parental, et parfois même, dans certains cas, se montrer violents ou négligents.

Il est courant d’observer chez les enfants syriens qui reçoivent des soins au Centre pour les victimes de torture (CVT) qu’ils ressentent un très fort sentiment de responsabilité vis-à-vis des membres de leur famille, y compris de leurs parents, qu’ils veulent soutenir et protéger. Certains d’entre eux expliquent qu’ils pensent devoir « préserver » leur famille en montant la garde devant la porte ou qu’ils se préoccupent de pouvoir réconforter leurs parents lorsqu’ils sont angoissés. Ces enfants risquent aussi de vouloir protéger leurs parents en leur cachant les expériences traumatiques qu’ils ont eux-mêmes vécus ou les symptômes qui les affectent.

Parallèlement, de nombreux enfants et adolescents expliquent qu’ils sont exclus de certaines discussions familiales. Ils expriment très fréquemment un sentiment de frustration et d’anxiété de ne pas être associés aux discussions, liées par exemple à des préoccupations de sécurité ou concernant le sort ou les circonstances d’autres membres de famille disparus; ils disent parfois qu’ils ont parfaitement conscience des circonstances mais qu’ils pensent devoir feindre de ne rien savoir pour ne pas perturber leurs parents encore davantage.

Dans un effort pour aider les enfants syriens et leurs parents à guérir et à trouver des mécanismes positifs d’adaptation, le CVT met à disposition des services de santé mentale sous la forme de soins, individuels ou collectifs, de soutien psychologique et de physiothérapie dans ses centres de santé des zones urbaines d’Amman et de Zarqa en Jordanie. Le CVT organise également un service d’aide sociale et d’éducation psychologique destiné aux parents et visant à les aider à apporter les réponses les plus courantes aux traumatismes et au stress soufferts par leurs enfants.

L’un des objectifs principaux est de favoriser un changement dans la perception de soi, pour passer d’une image de victime à celle d’un survivant actif capable d’exercer une influence positive sur les autres à partir de son propre vécu. Grâce aux soins dispensés par le CVT, les personnes qui ont survécu à des tortures et à des atrocités dues à la guerre réussissent à se rétablir psychologiquement et physiquement et à reprendre le contrôle de leur existence. Les patients présentent invariablement une amélioration tant au niveau des indicateurs relatifs au fonctionnement d’adaptation que de ceux marquant l’absence de symptômes, accompagnée d’une réduction des manifestations associées à la dépression et à l’anxiété. Le personnel soignant mène des évaluations de fonctionnement et mesure les symptômes à l’admission et après 3, 6, 9 et 12 mois suivant l’achèvement des soins. Des résultats similaires ont également été constatés concernant les indicateurs de douleur physique. Lorsque les résultats de fin de traitement et d’admission sont comparés, on observe qu’une majorité écrasante de patients indiquent une diminution de la douleur ou une diminution des effets de la douleur au cours de leurs activités quotidiennes.

Parallèlement, d’autres groupes se concentrent sur le renforcement des capacités d’adaptation nécessaires pour négocier les difficultés les plus communes de la vie dans un contexte de réfugiés et les complications liées aux dynamiques familiales. La sécurité et une relation bienveillante et empathique sont les éléments fondateurs qui permettent par la suite d’explorer les expériences traumatisantes et les émotions qui y sont associées (comme par exemple, la peur, la honte, la culpabilité, le sentiment de perte et la tristesse), et de parvenir à une reconnexion avec soi-même, les autres et la vie.

 

Leah James ljames@CVT.ORG, Annie Sovcik asovcik@cvt.org et Reem Abbasi rabbasi@cvt.org travaillent pour le Centre pour les victimes de torture (CVT). www.cvt.org Ferdinand Garoff ferdinand.garoff@gmail.com a travaillé comme psychothérapeute formateur avec le CVT en Jordanie.



[1] International Medical Corps, Organisation Mondiale de la Santé, Ministère jordanien de la Santé et EMPHNET (juillet 2013) Assessment of Mental Health and Psychosocial Needs of Displaced Syrians in Jordan. http://tinyurl.com/MHPSS-syrians-in-jordan-2013

[2] Le consentement éclairé de cette personne a été obtenu afin de pouvoir utiliser son récit et figure dans son dossier au Centre pour les victimes de torture (CVT).

 

 

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