Quand pouvons-nous parler de retours véritablement volontaires ? Les conditions d’asile au Liban

La détérioration de la qualité de l’asile avec les pressions physiques, sociales et matérielles qu’elle crée ne doit pas être la raison qui pousse les réfugiés syriens du Liban à décider de retourner en Syrie.

On estime qu’environ 1,5 million de réfugiés syriens vivent actuellement au Liban, parmi lesquels seul un peu moins d’un million sont enregistrés avec le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés ; de nombreux autres ne sont toujours pas enregistrés à ce jour. Selon une étude menée par Oxfam en 2017, seul 21 % des réfugiés syriens interrogés considéraient avoir trouvé la sécurité au Liban, et des hommes comme des femmes décrivaient ressentir des craintes quotidiennes et des préoccupations permanentes[i].

Les personnes interrogées indiquaient s’être senties plus en sécurité et avoir reçu un meilleur traitement au Liban au début de la crise. Dès 2017, les règlementations rendant beaucoup plus difficile l’obtention de documents valides de séjour, l’exploitation, les tensions avec la communauté hôte et les autorités locales, les arrestations récurrentes, les raids violents dans les sites d’installation de réfugiés et les menaces d’expulsion et de retour forcé avaient érodé leur sentiment de sécurité. Malgré tout cela, et malgré le fait qu’une grande majorité des personnes interrogées n’ont aucune intention de rester au Liban après la fin du conflit en Syrie, elles ne considèrent pas à l’heure actuelle que les conditions en Syrie sont réunies pour leur permettre de rentrer en toute sécurité.

Le principe du « volontarisme ou de la libre-décision » est un aspect fondamental du retour des réfugiés et il découle du principe de non-refoulement tel qu’il est inscrit dans la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés et dans le droit international coutumier. Selon le manuel sur le rapatriement volontaire publié par le HCR « le principe de la « libre décision » doit être considéré à la fois par rapport aux conditions dans le pays d’origine (impliquant une décision éclairée) et à la situation dans le pays d’asile (permettant un choix pris en toute liberté) »[ii]. Pour qu’un retour soit véritablement volontaire, les décisions conduisant au retour doivent être prises sans influence de « facteurs d’incitation » sous la forme de pressions physiques, psychologiques ou matérielles.

Pour beaucoup de réfugiés syriens au Liban, un grand nombre de différents facteurs d’incitation  touchant à leur sécurité et leur capacité de faire face à leurs besoins fondamentaux sont cependant susceptibles de provoquer des retours prématurés et non viables qui ne sont pas fondés sur un choix véritablement libre. Le conflit en Syrie se poursuit et s’intensifie même dans certaines zones, et tout retour prématuré aurait pour résultat d’exposer les réfugiés au conflit et à des risques de détention, de torture, d’enlèvement et à d’autres formes de violence – et à des déplacements répétés.

Statut juridique et couverture des besoins fondamentaux

Le statut juridique des réfugiés dans le pays d’asile est l’un des facteurs déterminants pour évaluer le caractère volontaire d’une décision de retour. À l’heure actuelle, on estime que 80 % des réfugiés syriens au Liban n’ont pas de statut juridique sous la forme d’un permis de résidence en cours de validité émis par le gouvernement libanais. Le fait de ne pas posséder de permis de résidence valide constitue un acte criminel au Liban et les réfugiés qui n’ont pas ce type de document sont particulièrement exposés à des risques d’arrestation et de détention. Dans la mesure où il existe des contrôles policiers sur l’ensemble du territoire national, de nombreux réfugiés ont décidé de s’auto-imposer des restrictions de mouvement afin de limiter leurs risques d’arrestation. Des mouvements limités entrainent une capacité réduite à trouver du travail. Pour ceux capables de chercher du travail, le fait de ne pas avoir de statut juridique les rend vulnérables à l’exploitation financière parce qu’ils peuvent être dénoncés aux autorités. Il devient extrêmement difficile pour eux de faire face à leurs besoins élémentaires – y compris en matière d’hébergement – en raison de la réduction de leurs revenus, et les familles sont contraintes de contracter des dettes pour pouvoir survivre. Parallèlement, les restrictions de mouvement et la crainte d’être arrêtés rendent également plus difficile l’accès aux services de base et à l’assistance, y compris aux soins médicaux et à l’éducation.

En plus de la nourriture, des vêtements, des produits d’hygiène et d’autres articles ménagers essentiels, pratiquement tous les réfugiés au Liban (même ceux qui vivent dans des tentes) paient un loyer qui leur coûte en moyenne 189 $US par mois. La crainte de l’expulsion est une crainte majeure, due en partie à la difficulté de trouver les moyens de payer le loyer. Les soins médicaux représentent également une dépense et une préoccupation importante, dans la mesure où les assurances de santé fournies par le biais du HCR ne couvrent que 75 % des frais (et uniquement pour les traitements vitaux et les soins obstétriques). L’assistance humanitaire sous forme d’espèces est supposée atténuer ce type de charge financière, mais elle n’est pas suffisante et ne couvre pas l’intégralité des ménages réfugiés. Plus de 70 % des réfugiés syriens au Liban vivent dans la pauvreté et la dette globale moyenne des familles s’élève à environ 857 $US.

Comment obtenir le permis de résidence

La réglementation du droit de séjour qui est entrée en vigueur en janvier 2015 prévoit deux trajectoires permettant aux Syriens d’obtenir un permis de résidence : effectuer une demande en s’appuyant sur un certificat d’enregistrement valide du HCR (s’ils en possèdent un), ou obtenir un engagement de responsabilité (un parrainage) de la part d’un citoyen libanais. Ces réglementations imposaient initialement aux réfugiés en possession de certificats d’enregistrement du HCR de signer une décharge les engageant à ne pas travailler. Cette disposition a été supprimée vers le milieu de l’année 2016, mais la mise en application de cette réglementation signifie que, dans la pratique, cet obstacle demeure. Les réfugiés, particulièrement des hommes âgés de 18 à 60 ans, qui travaillent ou sont suspectés de travailler, se sont vus refuser un permis de résidence lorsqu’ils essayaient de l’obtenir au moyen d’un certificat d’enregistrement du HCR et il leur a été demandé d’obtenir un parrainage à la place. Les réfugiés qui ont déjà obtenu un permis de résidence par le biais d’un parrainage – comme ceux qui l’ont fait lorsque l’engagement de ne pas travailler était encore en vigueur – ne peuvent pas obtenir, par la suite, leur permis de résidence avec leur certificat d’enregistrement du HCR, même si le parrainage leur est retiré. Pour les réfugiés qui ont besoin de travailler, dans de nombreux cas, de fait, la voie du parrainage reste donc la voie « obligatoire ». Toutefois, les réfugiés parrainés ont signalé qu’ils devaient accepter des conditions d’exploitation afin de maintenir leur parrainage (et ainsi leur statut juridique). Les deux principales méthodes d’exploitation consistent, soit à travailler gratuitement, soit à payer des frais supplémentaires qui peuvent aller de 100 à 1000 $US[iii]. Les réfugiés syriens que nous avons interrogés au nord du Liban et dans la vallée de la Bekaa en 2017, ont indiqué que le fait d’obtenir la permission d’avoir un permis de résidence sans être enregistrés auprès du HCR, sans avoir à expliquer comment ils sont en mesure de subvenir à leurs propres besoins et sans avoir à trouver un parrainage serait le facteur principal qui leur permettrait de se sentir en sécurité, tout en préservant leur dignité pendant la durée de leur séjour au Liban.

Pour la plupart des réfugiés syriens, il est trop tôt pour envisager le retour en Syrie comme une possibilité. Outre le fait qu’il serait nécessaire que le conflit soit terminé et que la sécurité soit rétablie en Syrie, les réfugiés ont mentionné qu’ils auraient besoin de garanties contre les représailles, les arrestations et les risques de détention. Les réfugiés qui se trouvent au Liban sont toutefois confrontés à des « facteurs d’incitation » physiques, psychologiques et matériels bien réels. Pour s’assurer que les décisions de retour sont véritablement des choix librement consentis, la communauté internationale et le gouvernement du Liban doivent veiller à ce que tous les réfugiés de Syrie aient la possibilité d’obtenir aisément une forme ou une autre de statut juridique qui leur garantisse le respect de leurs droits fondamentaux et leur donne la capacité de subvenir à leurs besoins sans exiger de recours au parrainage.

 

Amy Keith amylkeith@gmail.com

Nour Shawaf NShawaf@oxfam.org.uk

Oxfam Liban
www.oxfam.org/en/countries/lebanon

 

[i] Shawaf N et El Asmar F (2017) ‘We’re Not There Yet…’ Voices of Refugees from Syria in Lebanon, Oxfam http://oxf.am/ZaoC

[ii] HCR (1996) Voluntary Repatriation: International Protection Handbook, p10 [Manuel sur le Rapatriement volontaire et la Protection internationale]
www.unhcr.org/uk/publications/legal/3bfe68d32/handbook-voluntary-repatriation-international-protection.html

[iii] Éléments provenant d’un suivi de protection mené par Oxfam en juin, juillet et août 2017.

 

 

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