L’Italie et la loi « Zampa » : renforcer la protection des enfants non accompagnés

L’Italie a promulgué une législation exhaustive pour protéger les droits des enfants non accompagnés arrivant en Italie. Même si des failles persistent dans son traitement de ces migrants particulièrement vulnérables, l’Italie montre l’exemple aux autres pays par cette approche axée sur la protection.

En mars 2017, l’Italie est devenue le premier pays européen à adopter un cadre global pour la protection des enfants non accompagnés. Près de trois ans après l’introduction initiale de ce projet de loi, et suite à des activités concertées de plaidoyer par des organisations de défense des droits humains au cours du processus parlementaire, les « Dispositions relatives aux mesures de protection pour les mineurs étrangers non accompagnés »[1] ont été adoptées à une large majorité. Surnommée la loi « Zampa », du nom de l’homme politique italien qui l’avait proposée, ces dispositions se basent sur une longue expérience de terrain auprès d’enfants non accompagnés, et sur les principes internationaux des droits de l’enfant.

Acclamée par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) comme un modèle pour les autres pays européens et décrite par Save the Children comme « le système le plus élaboré de protection de l’enfance en Europe », la loi Zampa a vu le jour en réaction au grand nombre d’enfants non accompagnés traversant la mer Méditerranée pour rejoindre l’Italie. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2017, 15 779 enfants non accompagnés sont arrivés en Italie par voie maritime2. Ces enfants proviennent principalement de pays africains, du Bangladesh et de Syrie, et de nombreux rapports ont récemment illustré le caractère difficile et désespéré de leur voyage, la maltraitance physique et les violences sexuelles auxquelles ils sont souvent confrontés et leur vulnérabilité face aux trafiquants d’êtres humains3.

L’Union européenne (UE) a pris une série de mesures pour répondre aux besoins de protection des enfants non accompagnés, notamment en révisant le Système européen commun d’asile ainsi que la Directive européenne « retour », et en mettant en œuvre son Plan d’action pour les mineurs non accompagnés 2010–20144. En dépit de ces mesures et des efforts de quelques états de l’UE, nombre de pays ne disposent pas de loi, ni de cadre exhaustif spécifiques pour répondre aux besoins de protection des enfants non accompagnés.

Les dispositions de la loi

Les articles de la loi de Zampa instaurent et modifient différentes procédures liées à l’accueil et au traitement des enfants non accompagnés en Italie, et leur garantit également un niveau minimum de soins. Cette loi reprend surtout plusieurs droits fondamentaux de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, dont les droits aux soins de santé et à l’éducation, à une représentation juridique et à s’exprimer au cours des procédures judiciaires et administratives. Elle intègre également le principe des meilleurs intérêts de l’enfant.

L’article premier de la loi reconnaît les vulnérabilités particulières des enfants non accompagnés et leur garantit les mêmes droits et niveaux de protection qu’aux enfants italiens ou d’autres pays européens. Un autre article introduit l’interdiction absolue du rapatriement ou de l’expulsion d’Italie des enfants non accompagnés, sauf sur ordonnance d’un tribunal dans des circonstances exceptionnelles, et uniquement lorsque l’enfant n’encourt aucun préjudice grave. La loi exige d’exécuter les procédures de vérification d’identité dès qu’un enfant non accompagné arrive en Italie et de mener une enquête pour déterminer les mesures à prendre dans le meilleur intérêt de l’enfant. Lorsque l’âge de l’enfant fait l’objet d’un doute raisonnable, il est possible d’utiliser des méthodes pour déterminer son âge, mais celles-ci devront être les moins invasives possible. Les procédures d’identification doivent être conclues dans les 10 jours et réalisées dans les centres de premier accueil. Ces centres doivent satisfaire les normes minimales et garantir que l’enfant est correctement logé et que ses droits fondamentaux sont respectés. Au bout de 30 jours, l’enfant doit être transféré vers un centre secondaire du Système de protection pour demandeurs d’asile et réfugiés (SPRAR) du pays.

La loi garantit également l’accès des enfants non accompagnés aux services de santé publique italiens durant leur séjour en Italie et leur admission dans les établissements éducatifs. Ils ont également le droit d’être informés à propos de leur représentation juridique, qui doit être fournie gratuitement, aux frais de l’État. D’autres articles de la loi de Zampa instaurent ou modifient des procédures en matière de rapprochement familial, de délivrance de permis de résidence, d’accès à une famille d’accueil, de formation et de désignation de tuteurs, et d’assistance pour les victimes du trafic d’êtres humains. Enfin, la loi prévoit la création d’un système national d’information, conçu pour assurer le suivi des enfants non accompagnés en Italie et qui contient des informations sur leur emplacement et leurs besoins individuels.

Défis de la mise en application

Bien que cette loi représente un pas dans la bonne direction et un exemple pour les autres pays, sa mise en application véritable s’avérera probablement difficile. Pour répondre adéquatement aux besoins des enfants non accompagnés en matière de logement, de tutelle, de soins de santé et d’éducation, entre autres, il faut disposer de fonds et de capacités suffisants. Malheureusement, dans de nombreux endroits du pays, la qualité et la disponibilité de ces services continuent d’être inférieures aux normes envisagées. Ces défaillances sont exacerbées par les inefficacités continues du système d’accueil italien, que la loi Zampa s’efforce peu de rectifier, et en conséquence desquelles la plupart des enfants non accompagnés sont logés en Sicile et en Calabre. Un grand nombre de ces enfants sont privés d’accès au système SPRAR, et restent hébergés dans des centres de premier accueil pendant des périodes prolongées, ou dans des centres d’accueil temporaire. Frustrés par les services surchargés de ces régions, les logements médiocres et les délais d’attente prolongés, de même que par le manque d’informations sur les procédures d’asile et de rapprochement familial, les enfants non accompagnés disparaissent souvent des centres d’accueil pour tenter de rejoindre d’autres régions d’Italie ou d’Europe. Ce faisant, ils s’exposent à de nouveaux risques de maltraitance et de trafic d’êtres humains.

Consciente de ces difficultés, l’Italie prend des mesures pour améliorer l’application de la loi. En décembre 2017, elle a promulgué une loi qui traite spécifiquement des procédures de tutelle juridique, tandis que des mesures ont été mises en place pour accroître la capacité d’accueil et le nombre de tuteurs disponibles.5 Des mesures sont également prévues pour développer et diffuser les meilleures pratiques, de même que la poursuite de la collecte de données détaillées.

Au vu de leurs vulnérabilités, il est essentiel que les États élaborent et appliquent efficacement des cadres fondés sur les droits pour la protection des enfants non accompagnés, Sous l’effet des lacunes juridiques actuelles, il est possible que les enfants non accompagnés soient traités d’une manière non conforme aux droits qui leur sont garantis par le droit international. Bien que le traitement des enfants non accompagnés par l’Italie présente toujours des lacunes et des défaillances, l’adoption de la loi Zampa montre que ce pays prend des mesures législatives concrètes pour accorder à ces enfants la compassion et la protection qu’ils méritent. De nombreux autres pays, qui sont d’importantes destinations pour les enfants non accompagnés, n’ont pas encore adopté de loi garantissant les mêmes protections reposant sur les droits qu’en Italie. Par exemple, les États-Unis renvoient régulièrement les enfants mexicains non accompagnés sans avoir correctement vérifié leur demande d’asile ou leur vulnérabilité au trafic6, tandis que les enfants non accompagnés en Afrique du Sud sont souvent dans l’incapacité d’accéder aux services essentiels et aux procédures d’asile7. Alors que la communauté internationale travaille à l’élaboration d’un Pacte mondial sur les réfugiés et d’un Pacte mondial pour les migrations, tous les pays doivent prêter une attention particulière à la protection des enfants et corriger les politiques et les pratiques qui les mettent en danger.

 

Joseph Lelliott j.lelliott1@uq.edu.au
Candidat au doctorat à l’Université du Queensland www.uq.edu.au

 

[1] Disposizioni in materia di misure di protezione dei minori stranieri non accompagnati’

2 UNHCR (2018) Italy: Unaccompanied and Separated Children (UASC) Dashboard, December 2017
http://bit.ly/UNHCR-ItalyUASC-2018

3 UNICEF (2017) A Deadly Journey for Children: The Central Mediterranean Migration Route www.unicef.org/publications/index_94905.html

5 European Asylum Support Office (2017) Operating Plan Agreed by EASO and Italy www.easo.europa.eu/sites/default/files/Italy-OP-2018.pdf

6 UNHCR (2014) Children on the Run www.unhcr.org/56fc266f4

7 UN Committee on the Rights of the Child (2016) Concluding Observations of the Second Periodic Report of South Africa www.refworld.org/docid/587ce86b4.html

 

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.