Le rôle des municipalités pour garantir la stabilité

Les réponses aux crises dans la région libanaise de la Bekaa, en 2017, démontrent que les municipalités accueillant des réfugiés peuvent être un pilier de la coexistence pacifique et doivent être soutenues.

La région de la Bekaa, à l’est du Liban, partage une longue frontière avec la Syrie et accueille environ 360 000 réfugiés syriens enregistrés. Il s’agit à la fois du nombre absolu le plus élevé de toutes les régions du Liban et de la proportion de réfugiés la plus élevée par rapport à la population locale. En 2017, la région a été secouée par une série de soulèvements qui ont posé d’importants défis à la coexistence pacifique entre les communautés d’accueil et les réfugiés.

Les crises dans la région de la Bekaa

En février et mars 2017, des milliers de réfugiés syriens ont été expulsés de la municipalité de Zahle et des alentours de la base aérienne stratégique de Riyak. Les autorités, qui avaient justifié leur décision en citant des problèmes de sécurité, n’avaient pas défini de plan de contingence pour réinstaller les réfugiés ailleurs. En avril, des communautés d’accueil libanaises ont manifesté dans plusieurs municipalités pour demander la fermeture des boutiques détenues par les réfugiés syriens. En juin, des incendies ont détruit deux camps de réfugiés dans les municipalités de Bar Elias et Qab Elias, dans le centre de la Bekaa, provoquant la mort de deux jeunes filles réfugiées. Enfin, en juillet et en août, des opérations militaires menées par le Hezbollah et les forces armées libanaises (FAL) ont éliminé toute présence de militants dans la périphérie d’Arsal (qui accueillait environ 11 000 civils syriens), mettant fin à trois années de paralysie. Suite à ces événements, la communauté réfugiée est plus que jamais épuisée, endettée, vulnérable et envahie par l’incertitude, et la crainte que ces crises successives ont été organisées pour les forcer à retourner en Syrie. Ces événements ont également contribué à attiser les tensions entre les réfugiés et les communautés d’accueil.

Le HCR (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) et ses partenaires ont déployé d’importants efforts en réaction à ces crises. Après la fin des hostilités à Arsal, la municipalité, avec l’aide des partenaires humanitaires et de développement, a mis au point le Plan d’action d’Arsal, qui incluait pour la première fois une planification intégrant les aspects humanitaires et de développement, de même que la participation des réfugiés syriens à cette démarche. La médiation et le plaidoyer ont également été largement utilisés pendant les crises de Riyak et Zahle conduisant à l’expulsion des réfugiés.

Municipalités : acteurs clés de la coexistence pacifique

Dans ce contexte difficile, les pouvoirs locaux ont généralement joué un rôle stabilisateur positif dans la région de la Bekaa, même s’il n’est pas toujours suffisamment reconnu ni compris, comme en témoignent les différentes réactions à Beyrouth et sur place suite aux incendies ayant détruit les deux camps de réfugiés. Les incendies dans les camps de réfugiés sont un problème récurrent et il n’est pas rare qu’ils entrainent des blessures et des décès (en particulier parmi les enfants). Depuis de nombreuses années, le HCR et ses partenaires humanitaires travaillent à l’atténuation des incendies, notamment en plaçant des extincteurs dans quasiment tous les camps et en formant les personnes à leur utilisation, et aux interventions en cas d’urgence. Les municipalités de Bar Elias et Qab Elias ont réagi rapidement aux incendies, les pompiers et le personnel de la Croix-Rouge libanaise risquant leur vie pour limiter le nombre de victimes. Les acteurs de la société civile et les travailleurs humanitaires locaux ont fourni une assistance d’urgence aux victimes syriennes et reconstruit les sites en question en quelques jours seulement. En revanche, la perception initiale de ces incendies était très différente parmi les bailleurs et la communauté diplomatique de Beyrouth : la rumeur qu’un incendie volontaire avait été allumé par des communautés d’accueil libanaises mécontentes est parvenue à Beyrouth beaucoup plus rapidement que la nouvelle de l’élan de solidarité des municipalités locales et des acteurs de la société civile libanaise envers les Syriens.

À Arsal, les acteurs de l’humanitaire et du développement et la municipalité ont bâti des relations de travail particulièrement positives. Un mécanisme de coordination mensuel spécial a été établi. Et peut-être plus important encore, le HCR et les autres acteurs humanitaires ont honoré leurs engagements envers les Libanais vivant dans la pauvreté en répondant à leurs besoins. La municipalité a systématiquement joué le rôle de modérateur entre les communautés syrienne et libanaise, en tenant compte du fait que la solidarité initiale des années 2013 et 2014 avait laissé place à la lassitude, aux plaintes à propos de la concurrence économique et aux craintes de connivence entre les réfugiés syriens et les acteurs armés.

À Zahle, le HCR et la municipalité ont ouvert un dialogue pour permettre d’exprimer les difficultés liées à l’accueil d’une grande population de réfugiés. L’une de ces difficultés est le sentiment d’abandon ressenti par les élites de Beyrouth, qui ne parviennent pas ou ne sont pas disposées (notamment en raison de leurs sensibilités politiques) à s’engager dans des accords sur des directives politiques concrètes pour l’accueil des réfugiés au niveau local. Les considérations économiques entrent également en jeu. Les industries agricoles et alimentaires de la région de la Bekaa ne pourraient pas survivre sans les réfugiés syriens. Parallèlement, les propriétaires agricoles et urbains refusent de s’acquitter des taxes municipales sur les loyers payés par les réfugiés. Par conséquent, ceux qui bénéficient le plus de la présence des réfugiés syriens n’aident pas les municipalités à assumer les coûts supplémentaires importants qui en découlent, tels que les coûts liés à la gestion de l’eau et des déchets solides.

Apporter un plus grand soutien aux municipalités

Au Liban, comme dans de nombreux autres pays, les municipalités sont les entités administratives les plus directement affectées par la présence des réfugiés. Elles ont également la responsabilité de préserver la paix sur leur territoire, ce qui y va aussi de leur intérêt. Pour cela, elles doivent souvent résister aux pressions directes exercées par une partie des résidents libanais qui pourraient être en faveur de mesures plus sévères à l’encontre des réfugiés. On peut toutefois se demander si la communauté de l’humanitaire et du développement en a fait assez pour soutenir leurs efforts.

Certaines activités précieuses ont cependant été mises en place tandis que les crises à répétition de 2017 ont été activement exploitées pour renforcer l’assistance apportée aux municipalités. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le HCR coprésident un groupe de travail sur la stabilité sociale qui analyse les tensions dans la région de la Bekaa. Le ministère des Affaires sociales et le PNUD produisent des cartes des risques et des ressources, conçues pour acheminer les ressources des bailleurs vers les besoins identifiés au niveau municipal. Le HCR entretient des relations diplomatiques avec les maires, les gouverneurs et les FAL afin de gérer les tensions et de communiquer avec transparence le fait que ce retour est la seule solution durable pour les réfugiés syriens, une fois que les conditions le permettront – ce qui permet d’apaiser la crainte généralisée par rapport à l’objectif supposé de la communauté internationale qui serait celui de l’intégration locale. Un pourcentage de plus en plus grand des maigres ressources à la disposition du HCR est destiné à l’assistance aux libanais vulnérables, soit par le biais de petits projets communautaires tels que la fourniture de camions à ordures et usines de traitement des déchets solides, soit par la fourniture d’une assistance aux ménages Libanais pauvres, notamment sous forme de cartes d’achat de carburant et de réhabilitation des logements. Des organes de coordination municipaux ont été établis dans trois municipalités clés (Arsal, al Qaa et Zahle).

Cependant, tous ces efforts sont partiels et relativement fragmentés. Par ailleurs, il existe un risque qu’en l’absence d’une approche plus structurée de l’appui aux municipalités, leur capacité à garantir la coexistence pacifique s’affaiblisse progressivement et que les crises deviennent de moins en moins gérables.

L’importance de la coordination et de la planification à l’échelle locale

Pour favoriser la coexistence pacifique, la communauté internationale doit prendre des mesures audacieuses pour appréhender la municipalité comme une unité naturelle pour la planification et la coordination, et se détourner progressivement de la structure de coordination humanitaire traditionnelle basée sur les secteurs. Cette approche doit, en particulier, prendre en compte des aspects essentiels, tels que l’assistance aux ménages libanais vulnérables, la gestion des établissements informels, le dialogue avec les communautés de réfugiés, l’approvisionnement en eau et l’assainissement, l’amélioration des infrastructures locales et l’amélioration de l’accès aux moyens d’existence. Pour que cela devienne une réalité, il sera nécessaire de prendre plusieurs mesures importantes.

Dans l’ensemble, le Plan de gestion des répercussions de la crise syrienne au Liban 2017–2020[i] du gouvernement libanais et des Nations Unies est bien préparé et basé sur des données concrètes. En même temps, il faut renforcer sa capacité à répondre aux besoins locaux et à orienter les ressources vers les municipalités, et il faut également accepter qu’au bout de sept années, les autorités locales n’ont pas besoin d’être continuellement consultées : elles ont besoin d’être soutenues.

De la même manière, bien que les débats actuels au sujet du modèle de coordination au Liban aient introduit certains éléments de coordination à l’échelle locale, ils demeurent en général centrés sur les responsabilités sectorielles et des agences. Il faut donc que la communauté internationale, y compris les bailleurs, s’engagent de manière catégorique à donner priorité aux municipalités en fonction des besoins identifiés conjointement à partir de données probantes.

Les plans locaux élaborés par l’entremise du Cadre de cartographie des risques et des ressources qui sont dirigés par le ministère des Affaires sociales du Liban et le PNUD représentent un modèle valide. Il reste à renforcer leurs capacités à orienter les financements des bailleurs en faveur du développement local et à consolider leurs synergies avec la planification humanitaire. Le PNUD et le HCR s’efforcent d’intégrer la planification humanitaire et du développement au Plan d’action d’Arsal, qui sert d’initiative pilote. Il faudra ensuite évaluer correctement ces efforts, les corriger et les déployer à plus grande échelle.

Le personnel technique des agences humanitaires et de développement participant à la coordination, à la planification et à la gestion des informations demeure très majoritairement concentré dans la capitale. Par conséquent, la reconnaissance de l’importance d’une coordination et d’une planification locales devra s’accompagner d’une décentralisation des ressources.

L’assistance directe apportée aux ménages libanais pauvres par les agences humanitaires demeure insuffisante et fragmentée, ce qui renforce le sentiment d’injustice parmi les communautés d’accueil. Les agences doivent donc procéder à une planification plus intégrée et mieux prendre en compte le rôle des communautés locales, y compris des maires et de la société civile, pour identifier les personnes dans le besoin.

Alors que le conflit syrien entre dans sa huitième année et que les pressions s’accentuent pour que les réfugiés syriens retournent vers un lieu de vie instable et dangereux, la communauté internationale doit apporter un soutien plus audacieux et mieux ciblé aux autorités libanaises. En 2017, dans un environnement aussi difficile et sensible que la région de la Bekaa, les autorités municipales ont plus de que jamais démontré qu’elles avaient gagné le droit d’être l’un des principaux bénéficiaires et partenaires de ce soutien.

 

Josep Zapater zapater@unhcr.org
Directeur du bureau auxiliaire Zahle, UNHCR www.unhcr.org

Cet article a été rédigé à titre personnel.


[i] Plan régional pour les réfugiés et la résilience en réponse à la crise syrienne du HCR http://www.unhcr.org/uk/partners/donors/589497237/2017-2018-regional-refugee-resilience-plan-response-syria-crisis-12-december.html

 

 

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