Réponses 2.0 aux catastrophers

La communauté traditionnelle d’intervention en cas de catastrophe ne commence que maintenant à assimiler les changements énormes que les nouvelles technologies pourraient apporter à la gestion de l’information dans leur domaine particulier.

L’utilisation des nouveaux outils et plates-formes de communication peut se combiner à des sources traditionnelles d’information, et même s’il reste encore à pleinement tirer parti du potentiel que signifient les nouveaux outils comme la cartographie de crise et le crowdsourcing dans les scénarios d’urgence, des percées ont déjà été effectuées.

Des pratiques solides en termes de gestion de l’information (GI) sont la base des processus de décision et de coordination lorsque la communauté internationale s’engage dans une action d’assistance en cas de catastrophe. En 2007, le cadre originel pour la réforme humanitaire a été étendu de manière à inclure la GI lorsque le Comité Permanent Interorganisations a émis des ‘Consignes opérationnelles sur le partage des responsabilités de gestion de l’information entre le BCAH et les Clusters’.1 Le BCAH établit habituellement un Groupe de travail chargé de la gestion de l’information dès l’émergence d’une nouvelle situation d’urgence. Les produits de GI incluent typiquement, une banque de données ‘Qui fait Quoi Où’, des listes de contacts, des calendriers et ‘une analyse des lacunes’, et le succès de tout système d’information inter-clusters de ce type dépend d’un accord préalable entre les membres du groupe, accompagné de la désignation de points de référence spécialisés pour la GI au sein de chaque cluster de manière à assurer la participation de l’ensemble des membres de la communauté humanitaire.

Les situations d’urgence complexe dans le cas d’une assistance en réponse à une catastrophe sont parmi les cas les plus difficiles pour les professionnels de la GI car elles impliquent des dangers physiques pour les fournisseurs d’information et qu’elles exigent une gestion active de l’information. Des rapports sur les pertes civiles, sur les engins non explosés, sur les cas de violence sexiste et sur le recrutement de mineurs, ainsi que sur d’autres infractions au Droit Humanitaire International doivent être spécifiquement documentés  afin de fournir des comptes rendus au Conseil de sécurité de l’ONU et orienter l’intervention.

Le principe qui conduit toute action humanitaire exige des intervenants humanitaires qu’ils ne prennent part, en aucune circonstance, aux hostilités. Dans la pratique, cela signifie que l’utilisation des nouvelles technologies de communication dans les situations d’urgences – et leurs applications nouvelles – doivent spécifiquement éviter de franchir la limite entre le contrôle des conséquences humanitaires d’événements liés au conflit et ce qui pourrait être perçu comme de la reconnaissance militaire. Alors même qu’il est primordial, par exemple, de contrôler les attaques sur un hôpital ou une mission médicale, il est inacceptable de contrôler les mouvements de troupe d’un participant au conflit, même s’il est allégué que ses participants ont commis des infractions au DIH. De même, la  tâche de la GI chargée de documenter les violations aux droits humains doit rester entièrement séparée de la réponse humanitaire.  

Même en tenant compte de tout cela, il reste encore une quantité énorme d’informations disponibles susceptibles de sauver des vies lorsqu’elles sont mises entre les mains de la communauté humanitaire. Bien souvent, à la fois les médias de masse et les médias sociaux sont susceptibles de fournir des informations exploitables sur des événements liés au conflit en procurant une vue d’ensemble sur les menaces à la protection des civils. Twitter en particulier, permet des contacts directs avec des zones reculées afin de communiquer le développement d’événements qui peuvent mériter une intervention humanitaire et un rapport au Conseil de sécurité de l’ONU. Les médias de ce type permettent l’attribution et la vérification de l’information – ce qu’une agence unique comme le BCAH, ou même une coalition d’acteurs par le biais d’un Groupe de travail de gestion de l’information, éprouverait des difficultés à faire.

Difficultés en matière de sécurité

Dans le cas d’une situation d’urgence complexe, il existe des difficultés en matière de sécurité tant pour les intervenants traditionnels que pour les personnes touchées qui peuvent avoir accès aux médias sociaux pour rendre compte de leur situation et de leurs besoins. Le contrôle des communications par l’un ou plusieurs des belligérants d’un conflit constitue une menace potentielle; même lorsque les principes de neutralité et d’impartialité sont respectés, une personne se trouvant dans une zone de conflit peut tout de même faire l’objet de suspicion si elle transmet activement des rapports sur la situation locale à la communauté internationale.

Les intervenants humanitaires – perçus comme des éléments étrangers et des cibles relativement faciles – sont de plus en plus fréquemment visés par les belligérants. L’utilisation déjà active de la radio, des emails et même des sms dans certains cas, signifie que le recours à ce type de plateformes ne représente que peu de risques additionnels pour les intervenants, mais que la mise en place d’un système permettant l’anonymat des personnes contribuant au recueil de l’information pourrait augmenter substantiellement la sécurité et la fiabilité des sources d’information. Cela nécessiterait de la part des personnes se trouvant sur le terrain une documentation soigneuse des comptes d’utilisateurs  (noms d’utilisateur) de Twitter et autres identifiants, sans que cela ne signifie qu’ils soient visibles sur la plate-forme en ligne. Quant à la désinformation délibérée, il n’est pas nécessaire de savoir le nom exact de quelqu’un à l’intérieur du réseau pour établir un profil clair sur la qualité de l’information fournie par une source. En outre, il est surprenant à quel point il est aisé après un certain temps et si cela est avéré, d’identifier et d’exclure ceux qui soumettent de fausses informations.   

Suppléer aux lacunes de l’information

Des situations d’urgence récentes ont vu la participation d’un nombre important de gestionnaires de l’information qui sont relativement nouveaux dans le domaine de l’intervention en cas de catastrophe mais dont la bonne volonté et les connaissances techniques ont ouvert une opportunité de récolter des informations auprès d’une quantité de sources jamais encore disponible. La publication de l’étude Disaster Relief 2.0 [Assistance 2.0 aux catastrophes] en 20012 – centrée sur la réponse au séisme d’Haïti – a marqué une tentative importante pour tirer parti d’opportunités de ce type.

 
Le séisme qui a dévasté Haïti en janvier 2010 « a créé un gouffre entre  ce que la communauté internationale savait sur Haïti avant le séisme et la réalité à laquelle elle s’est trouvée confrontée au lendemain de la catastrophe. La course pour remplir cette lacune de l’information – pour évaluer les dommages et planifier une intervention – est une dynamique familière pour les intervenants habitués aux catastrophes majeures d’apparition soudaine… Pour la première fois, les membres de la communauté touchée par la catastrophe ont lancé des appels à l’aide en utilisant les médias sociaux et les technologies mobiles. Partout dans le monde, des milliers de citoyens ordinaires se sont mobilisés pour regrouper, traduire et représenter ces appels à l’aide sur des cartes et pour organiser les efforts techniques destinés à soutenir l’intervention d’urgence » Disaster Relief 2.0

Disaster Relief 2.0 a analysé le potentiel d’amélioration de la prise de décisions des nouvelles technologies, en fournissant des recommandations visant à faciliter une incorporation plus systématique de ces outils aux processus de gestion de l’information du BCAH -  des outils à utiliser au sein du système  des Nations Unies dans sa globalité, ainsi que parmi les ONG nationales et internationales. Les conclusions et les recommandations de Disaster Relief 2.0 ont été prises en compte dans le cadre de plusieurs initiatives récentes, ce qui à son tour a permis de tirer des leçons pour une application future.

Etude de cas 1: Département de Cesar en Colombie

En novembre 2009, des fonctionnaires du département de Cesar en Colombie ont demandé au PNUD son assistance technique pour mettre sur pied un système d’information à l’intention du Bureau du conseiller pour la paix du Gouverneur. Par le biais de ce nouveau système d’information (conçu par le BCAH), le département de Cesar cherchait à stimuler la contribution d’informations de protection, en se concentrant sur les  infractions au DIH susceptibles d’être utilisées par la Commission nationale de réconciliation et de réparation, le bureau du médiateur, le bureau du conseiller pour la paix, l’église catholique et le système des Nations Unies. 

Les informateurs demandaient à rester anonymes, et le système évitait spécifiquement l’inclusion d’une quelconque  information  d’identification personnelle. Afin de réduire la probabilité que les messages puissent être géo-localisés (une inquiétude bien réelle), les cartes SIM étaient achetées et assignées à différentes organisations communautaires. L’expéditeur composait les messages avant d’insérer la carte SIM dans le téléphone ; les messages étaient envoyés dès que le téléphone cellulaire était activé et la carte était ensuite immédiatement retirée. Même sans garantir un anonymat où une non traçabilité absolus des messages, ces mesures en réduisaient les risques. Dans les cas de communications concernant des menaces de mort, des déplacements  forcés, des massacres ou des recrutements forcés de mineurs, être identifié comme un informateur pouvait transformer le communicateur en cible. Une fois reçue, l’information était orientée vers une plate-forme Ushahidi sur un serveur à Bogota.

Ce système a permis à la confiance de s’installer par rapport à l’envoi d’information, dans la mesure où le public pouvait constater que des précautions étaient prises pour protéger la communauté concernée par les événements tout en préservant l’anonymat des individus qui avaient contribué à l’obtention de l’information. Néanmoins, les difficultés rencontrées pour engager un administrateur idoine, responsable du traitement et de la présentation de l’information ont signifié l’impossibilité de créer un réseau efficace permettant de recruter la participation des communautés affectées par la catastrophe – un élément indispensable pour le succès à long terme d’un tel système. L’absence de ces éléments cruciaux ajoutée à la récente introduction de lois en Colombie interdisant l’anonymat des communications téléphoniques par téléphone cellulaire a finalement entrainé la faillite du système d’information de Cesar.

Etude de cas 2: Libya Crisis Map

Libya Crisis Map (LCM – carte de la crise libyenne) a été le premier exercice de cartographie d’une crise spécifiquement commandé par la communauté humanitaire internationale à la communauté spécialisée dans la cartographie de crise, et dans ce sens il s’agit d’une source importante de leçons pour ces deux groupes d’acteurs.

C’est le BCAH de Genève qui a effectué la demande initiale en février 2011 lorsqu’il est apparu évident que la situation en Libye allait nécessiter une intervention humanitaire, en adressant sa requête à la Stand-by Task Force (SBTF), un groupe bénévole spécialisé dans la cartographie de crise.3 La communauté humanitaire a été forcée de travailler à partir des frontières pendant plusieurs mois et c’est cela qui a singularisé les dynamiques de l’intervention humanitaire en réponse à la situation libyenne ; dans des cas comme ceux de Haïti et du Chili, l’action humanitaire a suivi immédiatement l’événement. Cette absence d’accès humanitaire aux zones de crise a rendu plus naturel le recours à des sources non-traditionnelles pour élaborer une vue d’ensemble initiale de la situation humanitaire.

Environ 70 bénévoles en ligne, utilisant un système de validation développé lors d’une simulation récente d’un tremblement de terre, ont été groupés en équipes pour recueillir, valider, géo-référencer et finalement analyser l’information qui devait être présentée sous forme de rapports aux preneurs de décisions. Le niveau de productivité de cet effort entièrement bénévole s’est avéré réellement impressionnant. LCM a rassemblé et traité un volume énorme d’informations sur la crise en Libye, ce qui a permis d’élaborer des tendances et de mieux comprendre les dynamiques du conflit et de l’urgence. Cependant, LCM a aussi rencontrés de multiples difficultés.

Parce qu’il y avait des changements au niveau de la gestion de LCM à mesure que la crise se prolongeait, il était important de maintenir la continuité du groupe de bénévoles en ligne tout en y incorporant directement les employés de l’opération Libye du BCAH en cours d’expansion, qui arrivaient sur le terrain et produisaient une série normalisée de produits de gestion de l’information. La catégorisation de l’information a été ajustée afin non seulement de classifier les événements en relation aux infractions du DHI et aux violations des résolutions de l’ONU, mais aussi afin de pouvoir visualiser l’information liée aux événements vis-à-vis  des évaluations normalisées de besoins et des informations sur Qui fait Quoi Où – le but ultime étant de réaliser une analyse des lacunes humanitaires en ligne et en temps réel. Néanmoins, si le système initial de classification était intuitif pour les fournisseurs d’informations, il l’était beaucoup moins pour les preneurs de décisions. Modifier ce système s’est avéré terriblement difficile, du fait des coûts impliqués pour re-classifier  l’information déjà traitée auparavant et de la rapidité avec laquelle les bénévoles adoptaient le système précédent de classification. Etant données les rigueurs de ce processus de classification, il serait peut-être souhaitable d’assigner un expert à cette tâche particulière au lieu de s’en remettre uniquement aux bénévoles.

Les relations avec le groupe de travail chargé de la gestion de l’information – un aspect vital sans aucun doute, pour le succès de la plate-forme – n’ont pas été de loin aussi fréquentes qu’il aurait été nécessaire, et les mises à jour de ‘Qui fait Quoi Où’, et d’autres informations importantes ont fréquemment pris du retard. Malgré des succès de taille : la remise de bulletins utiles au BCAH de New York, l’inclusion d’informations contextuelles importante dans les rapports de situation du BCAH sur la Libye, le feedback positif d’acteurs sur le terrain comme le PAM. De manière générale, l’information produite par la plate-forme n’a pas réussi à couvrir les besoins de tous les acteurs humanitaires qui se préparaient à entrer en Libye. C’est là toute l’étendue des difficultés rencontrées par LCM et probablement par toutes les interventions futures de GI de type ‘Réponse 2.0 aux catastrophes’ : la nécessité de combler le fossé non seulement entre un acteur et un autre mais aussi entre le monde virtuel – dont le potentiel est incalculable en termes d’appui à la GI – et les acteurs du terrain qui bien souvent se concentrent sur tout sauf sur l’internet.
 
Conclusion

Réponse 2.0 aux catastrophes représente une vision nouvelle de la GI et une amélioration de la prise de décisions. Etant donnée la variété des difficultés que présentent les différents scénarios de catastrophe, la stratégie pour répondre à chacun d’eux devrait être soigneusement planifiée afin que les intervenants traditionnels en situation de catastrophe puissent tirer le meilleur parti possible des opportunités offertes par les nouvelles technologies et par une communauté mondiale de la GI qui reste encore relativement peu exploitée. Il faudra résoudre les préoccupations liées à la sécurité et pouvoir compter sur une compréhension partagée de ce que devraient être les attentes des victimes ainsi que les risques potentiels qui accompagnent le fait d’envoyer des rapports sur une situation humanitaire. Une intervention de type Réponse 2.0 aux catastrophes, bien exécutée a potentiellement le pouvoir de sauver de nombreuses vies, de mobiliser de l’intérêt et des ressources au niveau international, et d’améliorer l’allocation effective de ressources limitées.

Jeffrey Villaveces (villaveces@un.org) est Responsable de la gestion de l’information pour le BCAH des Nations Unies en Colombie (http://www.colombiassh.org).

2 Disaster Relief 2.0: The Future of Information Sharing in Humanitarian Emergencies,[Assistance 2.0 aux catastrophes: l’avenir du partage de l’information dans les situations d’urgence humanitaire] commandé parla Fondation des Nations Unies  & le Partenariat entre la Fondation Vodafone et le BCAD, et avec la collaboration de l’Harvard Humanitarian Initiative www.unfoundation.org/assets/pdf/disaster-relief-20-report.pdf

3 Établi lors de la Conférence internationale de la cartographie de crise, novembre 2010 http://crisismappers.net/

 

 

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