Obtenir à distance des preuves visuelles de déplacement

Les technologies géospatiales comme l’imagerie satellite fournissent des moyens pour ‘atteindre’ des zones de conflit lorsque l’enquête sur le terrain être trop dangereuse, qu’une région est trop isolée ou que l’accès est interdit.

Les preuves visuelles fournies par les images satellite et les techniques de géovisualisation peuvent servir à corroborer et à renforcer des rapports obtenus localement faisant état de conflits, de destructions ou de déplacements. Les technologies et les techniques géospatiales – qui incluent tout un arsenal d’outils comme l’imagerie satellitaire, le système d’information géographique (SIG) et les systèmes de géolocalisation au niveau mondial (GPS) permettant la cartographie et l’analyse – constituent des outils précieux pour identifier, mesurer, contrôler et documenter des déplacements à grande échelle, qu’ils soient causés par un conflit, des démolitions d’habitations, des catastrophes naturelle ou des projets de développement.

Analyse de l’imagerie géospatiale

En 2006, alors qu’elle préparait l’acte d’accusation à l’encontre du Président Omar Bachir pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, la Cour pénale internationale s’est penchée sur l’analyse d’images satellites commerciales à haute résolution de la région du Darfour. Lorsqu’il s’agit d’identifier et de mesurer l’impact d’un conflit et l’échelle d’un déplacement, l’approche la plus commune consiste à analyser des images par paires ‘avant’ / ‘après’. Le Projet technologies géospatiales au service des droits de l’homme de l’Association américaine pour l’avancement de la science (American Association for the Advancement of Science’s (AAAS) Geospatial Technologies for Human Rights Project1) a documenté la destruction de villages au Darfour ; en coordination avec des organisations qui enquêtaient sur le terrain, l’AAS a recueilli des images par paires de 28 endroits avec des dates allant de 2003 à 2007. Au travers d’une analyse méticuleuse de chaque image, il est apparu évident, dans 75% des cas, que des villages avaient été détruits ou que de nouveaux camps de PDI avaient été construits. En outre, l’analyse a révélé spécifiquement que les villages avaient été détruits par le feu ce qui corroborait les rapports provenant du terrain. 

 Cette analyse a mené au développement de ‘Eyes on Darfur’,2  [Des yeux sur le Darfour] un site en ligne interactif qui incluait notamment des images identifiant les lieux et l’étendue de la  destruction dans plusieurs villages. Ces images ont ensuite été utilisées par les organisations de droits de l’homme comme preuves pour étayer les allégations de génocide et pour plaider en faveur d’un engagement international plus important afin de remédier la situation sur le terrain.

La création de Eyes on Darfur est l’un des premiers exemples d’exploration de données interactives qui combine des niveaux multiples de données (par exemple : imagerie, texte et autres éléments multimédias) pour les présenter sous la forme d’une carte. La capacité à traiter rapidement d’énormes quantités de données pour créer un visuel de cette manière n’a évolué que récemment avec les avancées des logiciels SIG et de la capacité informatique.

En 2009, AAAS a fait équipe avec Amnesty International et Human Rights Watch pour identifier les lieux et l’étendue des dommages causés aux abris des PDI au Sri Lanka suite à des rapports selon lesquels les camps de PDI avaient été pris pour cibles. Dans la mesure où aucune personne extérieure n’était admise dans la zone pendant la période en question, les images satellites commerciales de haute résolution ont été l’une des seules options disponibles pour rassembler des informations. On a découvert ainsi que des milliers d’abris de PDI avaient été enlevés, et aussi qu’il y avait des indices de bombardements dans le voisinage des installations de PDI et interférant avec elles. Cette analyse a servi de base documentaire pour le rapport 2009 du gouvernement des Etats Unis sur les crimes de guerre au Sri Lanka.3

En 2011, AAAS s’est à nouveau associé à Amnesty International pour élaborer une carte détaillée permettant d’identifier toute une série d’atteintes aux droits de l’homme perpétrées au Nigeria : conflit armé, violences ethniques, déplacements forcés et même effets nocifs des embrasements de gaz industriels sur les populations locales et l’environnement. ‘Eyes on Nigeria’4 [Des yeux sur le Nigeria] a révélé la valeur qui pouvait être retirée de l’utilisation des techniques de géovisualisation pour communiquer au public des informations complexes relatives aux droits de l’homme rassemblées à partir de tout un éventail de sources et présentées avec une efficacité qu’un simple rapport narratif ne pourrait avoir. Ont été utilisées comme sources des méthodes de télédétection, des photos prises sur le terrain (dont la localisation pouvait être spécifiée grâce à l’utilisation d’appareils photos équipés de GPS) et des entretiens.

En réfléchissant à la valeur de ces projets de collaboration pour Amnesty International, Christophe Koettl, Activiste pour la prévention des crises et l’intervention, affirme : « Les technologies géospatiales qui étaient il y a quelques années encore des outils novateurs et plutôt exotiques, font maintenant partie de l’arsenal habituel de tout avocat des droits de l’homme – et plus particulièrement de ceux qui travaillent sur des situations de conflits armés. Notre travail pendant la phase finale de la guerre civile au Sri Lanka en est un bon exemple. Bien que le gouvernement ait entièrement bouclé la zone du nord-est du Sri Lanka, nous avons été capables de donner à nos activistes et au public un accès virtuel à cette zone afin de soutenir notre compagne pour exiger que des comptes soient rendus par rapport aux allégations de crimes de guerre. Tout cela aurait été difficilement envisageable sans le recours aux outils géospatiaux ».  

Et le Centre européen pour le plaidoyer en faveur des droits de l’homme [European Human Rights Advocacy Centre], en partenariat avec l’Association des jeunes avocats de Géorgie, s’en est remis à l’analyse d’images géospatiales pour documenter les destructions causées lors du conflit entre la Russie et la Géorgie en 2009. Cette information a été présentée devant la Cour européenne des droits de l’homme dans le procès qui a suivi le conflit en Ossétie du sud.

Les gouvernements et les organisations d’aide humanitaire utilisent de plus en plus les images satellites pour déterminer la portée des catastrophes naturelles ou causées par l’homme, et pour localiser les populations déplacées par ces catastrophes. Dans le cas du séisme en Haïti du 12 janvier 2010, et dans celui du séisme suivi d’un tsunami au Japon le 11 mars 2011, l’imagerie satellite de haute résolution a été utilisée pour faire un évaluation des dommages sur des zones étendues et pour localiser les populations déplacées par la catastrophe, ce qui a permis d’établir rapidement une carte de la situation et de distribuer ces informations aux équipes d’intervention. « La disponibilité d’informations satellites suite au séisme de janvier en Haïti s’est avérée d’une valeur inestimable », indique Kate Chapman de l’Humanitarian Open Street Map. « Sans l’imagerie satellite OpenStreetMap aurait été incapable de créer les cartes de référence détaillées qui ont été utilisées à la fois par les agences d’intervention traditionnelles comme les Nations Unies, et les communautés des autres technologies ».

Limites et perspectives

Le prix de l’imagerie de haute résolution varie de 10$ US à 25$ US par km², en fonction de la date d’acquisition de l’image et selon qu’elle est en couleurs ou en noir et blanc. A cause de la taille de la commande minimum, une seule image peut coûter jusqu’à 400 $ US. Même lorsque la couverture nuageuse, par exemple, n’empêche pas la disponibilité d’images satellites pour une région, il se peut que les images pour une date spécifique ou une série de dates rapprochées soient impossibles à obtenir. Des restrictions gouvernementales peuvent aussi signifier que des acteurs non-gouvernementaux ne pourront pas acquérir certaines images.   

Finalement, une organisation humanitaire ou de défense des droits de l’homme qui souhaite utiliser ces outils, doit être prête à travailler avec des experts techniques qui peuvent analyser les images géospatiales pour elle et ont la capacité de le faire, si elle ne dispose pas de ce type d’expertise à l’intérieur de l’organisation.

Un certain nombre d’organisations commencent à associer les technologies géospatiales avec des informations issues de l’externalisation à grande échelle ou crowed-sourcing. L’externalisation à grande échelle dépend de la capacité à faire appel à des réseaux de personnes se trouvant partout dans le monde, et elle est grandement facilitée par la disponibilité croissante de la téléphonie mobile et des autres technologies sans fil. La progression continue de l’accès à la téléphonie mobile, les réseaux sociaux et les technologies géospatiales permettent d’obtenir un panorama exhaustif d’une situation grâce à l’agrégation d’un grand nombre de rapports émanant du terrain. Une information de ce type peut alors être associée à d’autres données, et cartographiée pour établir une vue d’ensemble de ce qui se passe dans un endroit donné.

La technologie géospatiale fournit des outils dont l’utilité s’accroit non seulement pour les organisations de défense des droits de l’homme mais aussi pour les tribunaux et les agences humanitaires d’intervention, et elle permet un accès visuel sans précédent à des endroits isolés et dangereux. Grâce à elle les experts peuvent analyser et quantifier les niveaux de destruction et sont à même de communiquer avec force, dans le cadre de campagnes de plaidoyer, de débats politiques et de disputes légales, des informations qui autrement resteraient trop complexes et/ou abstraites.   

Grâce à une disponibilité croissante de l’imagerie satellite et à des approches novatrices en termes de recueil, d’analyse et de présentation de l’information, il devient vital pour la communauté intellectuelle, les organisations et les avocats qui se soucient des déplacements de population de s’unir à la communauté technologique de manière à identifier les domaines où il y a actuellement des besoins et dans lesquels les technologies et techniques géospatiales peuvent apporter une contribution déterminante.

Susan Wolfinbarger (swolfinb@aaas.org) est Responsable de programme et Partenaire associée du Geospatial Technologies and Human Rights Project de l’AAAS Scientific Responsibility, Human Rights and Law Program (http://shrl.aaas.org/geotech/). Jessica Wyndham (jwyndham@aaas.org) est Directrice associée de l’AAAS Scientific Responsibility, Human Rights and Law Program (http://shrl.aaas.org/). Elle est également Professeur adjoint à l’Université George Washington. Elles ont toutes deux écrit cet article en leur nom propre, il  ne reflète donc pas les vues de l’American Association for the Advancement of Science.

Voir aussi ‘Satellite imagery in use’ [L’usage d’images transmises par satellites] Einar Bjorgo, Francesco Pisano, Joshua Lyons et Holger Heisig (UNOSAT) dans RMF31 www.migrationforcee.org/pdf/MFR31/43.pdf  

 

 

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