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L’UNHCR en Ouganda: plus efficace que ne le suggère sa réputation

Le camp pour réfugiés de Nakivale, situé près de la frontière rwandaise en Ouganda, est l’un des plus anciens d’Afrique. Les premiers Rwandais y ont fui suite à la « Révolution hutu » de 1957 et il accueille aujourd’hui environ 60.000 Rwandais, Congolais et Somaliens ainsi que de nombreuses autres nationalités (certains de ses résidents aiment dire qu’ils vivent dans la véritable Organisation de l’unité africaine). Il ne s’agit pas du ghetto surpeuplé généralement représenté dans les médias. Nakivale est une confédération de villages autosuffisante grâce à ses activités de culture agricole et d’élevage, qui produisent même un surplus exporté hors de ses limites. Bien que le camp de Nakivale se trouve au milieu de nulle part, il n’est en aucun cas isolé des activités culturelles, sociales et économiques: on y trouve des marchés, plusieurs cinémas et d’innombrables smartphones, qui signalent que la population tire avantage de l’antenne de téléphonie mobile érigée au centre du camp.

Les soulèvements et pogroms successifs, ainsi que – bien sûr – le génocide de 1994 et ses répercussions immédiates, ont contribué aux vagues d’arrivées successives de Rwandais en Ouganda. Après le génocide et la montée au pouvoir du Front patriotique rwandais, la plupart des anciens déplacés rwandais sont retournés chez eux. Ils ont été progressivement remplacés par un nouvel ensemble de militaires mécontents, de défenseurs des droits humains, de journalistes qui avaient enfreint les nouvelles réglementations médiatiques trop strictes et de personnes tout simplement victimes des politiques foncières du Rwanda post-conflit, où le retour soudain des anciens réfugiés avait entraîné de nombreux litiges sordides pour déterminer qui possédait quoi, les perdants de ces litiges devant souvent quitter le pays en toute hâte.

Cessation

Le gouvernement rwandais actuel affirme que la Rwanda contemporain est un pays pacifique, que les réfugiés de Nakivale peuvent y revenir sans danger et que les seuls Rwandais qui ont à craindre quelque chose sont les auteurs du génocide qui doivent retourner au pays pour être jugés devant les tribunaux. Son argumentation a été si persuasive que les autorités ougandaises et l’UNHCR ont accepté d’invoquer la clause de cessation qui affirme, en substance, que si les raisons pour lesquelles le statut de réfugié a été initialement accordé ne s’appliquent plus, «un réfugié ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont [il] a la nationalité».

Les Rwandais établis dans le camp se sont eux-mêmes férocement opposés à cette clause, affirmant que le gouvernement rwandais continue, entre autre choses, d’adopter une attitude dictatoriale et intolérante vis-à-vis des opinions différentes des siennes. Ces dix dernières années, ils ont passé la plupart de leur temps à essayer de convaincre les organismes internationaux, les ONG et plus ou moins tous les autres acteurs impliqués qu’ils ne doivent pas être forcés de retourner chez eux. Ils estiment aujourd’hui courir le risque d’être expulsés, d’être victimes de violences arbitraires ou d’assassinats extrajudiciaires, voire pire encore.

En m’entretenant avec ces Rwandais, j’ai découvert qu’il existait un véritable gouffre entre ce que le personnel de l’UNHCR m’avait dit à Kampala et Mbarara (la capitale régionale) et ce que croyaient ces réfugiés. Le personnel de l’UNHCR m’avait expliqué patiemment que le processus avait été retardé jusqu’à ce que les capacités suffisantes soient en place pour sélectionner les personnes afin d’éviter les erreurs, que des mesures de sauvegarde étaient en place et que les autorités ougandaise n’avaient aucun intérêt à organiser une série d’expulsions forcées embarrassantes sur le plan politique. Mais dans le camp, les Rwandais n’avaient aucune idée de ce que l’UNHCR avait fait pour eux, obtenu pour eux ou essayé d’obtenir pour eux, bien qu’ils disposent de smartphones et d’un accès à l’internet. Autour du camp, vous trouverez de nombreux panneaux qui vous encouragent à utiliser un préservatif ou une moustiquaire mais vous ne trouverez quasiment aucune annonce publique concernant les activités de plaidoyer ou intergouvernementales de l’UNHCR. Il y a bien un bâtiment de l’UNHCR protégé derrière des barbelés et des murs en béton mais, même si vous parveniez à y pénétrer, le personnel qui pourrait vous donner les réponses que vous cherchez se trouve à Kampala ou Mbarara. Sur le site web de l’UNHCR, aucune information n’est donnée sur les réfugiés de Nakivale.

Les conséquences du silence

Quatre problèmes découlent de cette situation. Premièrement, le trou noir informationnel laissé par l’UNHCR est un terrain fertile pour les rumeurs, les informations erronées et la distorsion des faits. Par exemple, on m’a répété plusieurs fois au cours de mes entretiens que l’UNHCR avait été corrompu par les autorités rwandaises afin de retarder la réinstallation des réfugiés en danger dans des pays tiers ou même de ne pas les réinstaller du tout. Il y a une part de vérité ici, dans la mesure où la réinstallation d’un réfugié rwandais prend plus de temps puisque de nombreux pays exigent que le Tribunal pénal international pour le Rwanda basé à Arusha (établi pour poursuivre les organisateurs du génocide) innocente toute personne susceptible d’être réinstallée sur son territoire en confirmant qu’elle ne se trouve pas sur la liste des suspects. Cela prend du temps. Mais n’importe quel Rwandais vivant dans un camp cherchera en vain une source digne de foi qui puisse lui expliquer clairement pourquoi ses voisins congolais sont réinstallés en Occident, mais pas lui. Ce manque d’informations est hélas comblé par des théories du complot, la crainte, la suspicion et la paranoïa.

Deuxièmement, le silence nuit profondément aux intérêts des réfugiés légitimes qui méritent d’être réinstallés hors de l’Ouganda. Le processus de réinstallation est souvent extrêmement long et stressant car il implique d’identifier un motif de réinstallation, de vérifier les faits puis d’aider les personnes ou familles à réaliser les démarches souvent idiosyncratiques du pays concerné. Nombre des obstacles rencontrés au cours de ce processus ne sont pas propres aux Rwandais: les problèmes sautent aux yeux lorsque la pratique consiste à interroger à plusieurs reprises des victimes de traumatismes pour qu’elles décrivent les préjudices subis il y a plus de dix ans et utiliser toute incohérence comme un motif de refus. Mais dans ce cas précis, en raison de la méfiance qu’ils nourrissent envers l’UNHCR, les réfugiés rwandais omettent souvent certaines informations lors de leurs entretiens avec ce dernier, des informations qu’ils dévoileront par la suite lors de leurs entretiens avec d’éventuels pays d’accueil. Il apparaît alors des disparités entre les entretiens initiaux menés avec l’UNHCR en vue d’une réinstallation et les entretiens ultérieurs avec les pays. Par conséquent, des demandes légitimes finissent par être déboutées en raison des incohérences qui émaillent le récit des réfugiés.

Troisièmement, cette situation complique la tâche de l’UNHCR. Les capacités de l’UNHCR à agir efficacement et à venir en aide aux personnes qu’il souhaite aider sont décuplées lorsque les communautés avec lesquelles il travaille comprennent son fonctionnement, lui font confiance et sont disposées à collaborer. En effet, la communication est une première étape pour aider les personnes à ne plus se positionner dans un camp ou un autre et à commencer à voir la situation comme un ensemble de problèmes que l’UNHCR et les réfugiés peuvent solutionner en travaillant main dans la main.

Enfin, et c’est le point le plus simple, si les personnes se sentent privées des informations les plus fondamentales concernant leur propre sort, cela ne fait qu’alimenter un sentiment profond et diffus de désespoir, d’abandon et de marginalisation. De nombreuses personnes instruites et intelligentes ont envoyé des lettres, des pétitions et des témoignages à l’UNHCR, Amnesty International et Human Rights Watch. Personne ne leur a jamais répondu. Il s’agit pourtant souvent de personnes qui ne sont plus qu’à un fil de perdre tout amour-propre et de se considérer uniquement comme un poids humain. Maintenir les personnes informées au sujet de leur avenir n’est pas seulement une question d’utilité, mais aussi une question de dignité et de respect.

Des mesures simples pour améliorer la communication

Il ne sera pas facile de se défaire de cet héritage préjudiciable caractérisé par la méfiance quasiment omniprésente à Nakivale. Toutefois, l’UNHCR pourrait faire quelques pas dans la bonne direction.

Nakivale est en ligne. Les personnes disposant d’une connexion internet impriment des articles pour les autres. Ainsi, les nouvelles se propagent relativement rapidement autour du camp. L’UNHCR pourrait très vite combler plusieurs lacunes informationnelles à Nakivale en mettant en place une plateforme d’information simple, claire et digne de foi dans les langues parlées par les résidents du camp, afin de leur donner des renseignements sur la situation actuelle; même si ces nouvelles n’étaient fournies qu’en anglais ou en français, elles seraient vite traduites et relayées autour du camp, bien qu’avec un possible manque de fiabilité. Par exemple: Comment fonctionne la cessation? Qui en est exempté? Si quelqu’un pense en être exempté, comment peut-il en apporter la preuve? Quels droits sont actuellement garantis en Ouganda? À qui faut-il s’adresser dans telle ou telle situation? Si une personne pense être sur le point d’être expulsée illégalement et contre son gré, à qui devrait-elle faire appel?

Les réfugiés eux-mêmes sont bien équipés en infrastructures de communication. Dans les camps, des stations de radio ont été établies et sont opérées par des réfugiés. Ces canaux pourraient et devraient être utilisés pour promouvoir le message de l’UNHCR au sein des camps.

Et enfin, une bonne partie de l’infrastructure nécessaire existe déjà. Les organisations partenaires locales, telles que Refugee Law Project, entretiennent des relations excellentes avec de nombreuses communautés de réfugiés; elles pourraient ainsi servir de voies de communication simples et efficaces pour diffuser des informations en utilisant les nombreuses ressources qui sont déjà entre leurs mains.

 

Will Jones william.jones@qeh.ox.ac.uk est chargé de recherche au Centre d’études sur les réfugiés.

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