Il y a – régulièrement – de nouvelles situations de déplacement. Cette observation tend à suggérer que c’est dans la prévention des déplacements internes que réside l’échec des gouvernements et de la communauté internationale.
Il y a – régulièrement – de nouvelles situations de déplacement. Cette observation tend à suggérer que c’est dans la prévention des déplacements internes que réside l’échec des gouvernements et de la communauté internationale.
Lorsque j’ai été nommé par Kofi Annan, alors Secrétaire Général des Nations Unies, comme son Représentant pour les droits de l’homme des personnes déplacées de l’intérieur en 2004, le nombre des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays était estimé à 25 millions . Fin 2010, lorsque j’ai remis mon mandat à Chaloka Beyani, le nouveau Rapporteur pour les droits de l’homme des personnes déplacées de l’intérieur, ce nombre atteignait plus de 27 millions. Au cours de ces six années, il est également apparu que le nombre des personnes déplacées dans le contexte d’une catastrophe naturelle était encore supérieur et qu’il atteignait 36 millions pour la seule année 2008.
Un grand nombre des personnes déplacées de l’intérieur que j’ai rencontrées lors de mes missions au début de mon mandat continuent de vivre dans une situation de déplacement prolongé ; d’autres ont pu retourner chez elles mais continuent à lutter pour reconstruire leur existence, et d’autres encore sont devenues des victimes de déplacements arbitraires depuis que j’ai pris mon poste. Je ne connais pratiquement pas un seul cas où des responsables de déplacements arbitraires ont été poursuivis et sanctionnés. De trop nombreuses femmes et filles déplacées restent exposées à la violence sexuelle et sexiste et à d’autres formes abjects d’exploitation, de trop nombreux enfants déplacés n’ont aucune chance de poursuivre une éducation de base ou sont recrutés au sein de forces armées ou de groupes armés, et de trop nombreux hommes ont perdu tout espoir d’être à nouveau capables de subvenir aux besoins des personnes qui leur sont chères.
A première vue, il semblerait qu’il n’y ait eu aucun progrès au cours de ces années et que la communauté internationale, malgré ses efforts, ait échoué. Un examen plus attentif, révèle cependant que non seulement un nombre incalculable de vies ont été sauvées grâce à l’assistance humanitaire et aux activités de protection, mais aussi qu’entre 2004 et 2009, environ 24,4 millions de PDI ont pu retourner dans leur région d’origine. Dans plusieurs pays que j’ai visité, comme le Sud Soudan, le Népal, le Timor-Leste, l’Ouganda et le Sri Lanka, et dans une moindre mesure aussi en Côte d’Ivoire, en République Centrafricaine et au Kenya, un nombre important de personnes ont pu retourner chez elles suite à une amélioration de la situation de sécurité ou à des accords de paix. Même si le retour ne signifie pas automatiquement que tous trouvent une solution durable, ce chiffre reste tout de même impressionnant.
Dans le même temps, de nombreuses personnes restent déplacées pendant de nombreuses années ou même des décennies, signal d’une incapacité ou d’un manque de volonté à trouver une solution aux causes profondes qui motivent tant de situations de déplacement interne dans le monde. Nous avons besoins à cet égard d’un plus grand engagement de la communauté international et de plus de volonté politique de la part des Etats concernés, deux choses qui font souvent défaut.
Progrès et réussites
On observe des progrès patents du cadre normatif chargé de garantir les droits des PDI. Lorsque j’ai pris mon poste, un groupe d’Etats contestaient encore la validité des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays parce qu’ils n’avaient pas été négociés par les Etats. C’est le Sommet Mondial de New York en 2005 qui a permis une avancée dans cette matière lorsque les Chefs d’Etats et de gouvernements ont unanimement reconnu l’importance des Principes directeurs comme cadre de protection pour les personnes déplacées de l’intérieur, un langage qui depuis a été repris dans plusieurs Assemblées générales de l’ONU et résolutions du Conseil des droits de l’homme.
Le Protocole des Grands Lacs sur la protection et l’assistance des personnes déplacées de l’intérieur, adopté en 2006, impose à ses dix Etats membres d’incorporer les Principes directeurs à leur législation domestique. 2009 a vu l’adoption de la Convention de l’UA sur la protection et l’assistance des personnes déplacées de l’intérieur en Afrique ce qui constitue le premier instrument régional légalement contraignant de ce type. Plusieurs pays ont adopté ou sont en train de développer des cadres législatifs, des programmes et des politiques domestiques qui incorporent ou se réfèrent au Principes directeurs, et ceux-ci deviennent à chaque fois plus détaillés et plus opérationnels.
Différentes avancées normatives et conceptuelles relatives à des aspects et types spécifiques de déplacements internes ont également vu le jour dans différents domaines comme par exemple : les déplacements causés par des catastrophes naturelles et le changement climatique ; les processus destinés à mettre en œuvre des solutions durables : et, la manière d’incorporer les droits des personnes déplacées de l’intérieur aux processus et accords de paix.
Ce sont des réussites qui ne doivent pas être sous-estimées. Elles ont contribué à améliorer notre compréhension des déplacements internes et à enraciner nos politiques et nos programmes sur une série de normes communes fondées sur un cadre des droits de l’homme. Je connais de nombreuses circonstances dans lesquelles de telles améliorations se sont traduites par une amélioration bien réelle de la vie des personnes concernées.
Grâce à ces développements les Etats ont démontré davantage de bonne volonté à discuter des situations de déplacement auxquelles ils sont confrontés dans leur propre pays. Il reste certes des pays comme le Myanmar ou le Pakistan qui refusent de considérer comme des PDI les personnes déplacées par des opérations militaires, mais dans l’ensemble j’ai constaté de la part des gouvernements une volonté croissante non seulement de discuter des questions relatives aux PDI mais aussi de prendre au moins certaines mesures pour mieux les assister et les protéger. Certains pays, la Géorgie et l’Azerbaïdjan en particulier, mais aussi la Bosnie, la Serbie et la Colombie dans une certaine mesure, ont commencé à s’occuper des situations de déplacement prolongé en prenant des mesures pour améliorer les conditions de vie de leurs PDI dans l’attente d’un retour ou d’autres solutions durables ; néanmoins, des problèmes subsistent, notamment en ce qui concerne l’accès aux moyens de subsistance et les PDI qui ont des besoins particuliers.
Pour l’avenir
Malgré les progrès réalisés, il reste beaucoup de travail à faire dans un environnement de plus en plus difficile. Je crois que nous devons faire face à huit défis majeurs :
- Voir au-delà ‘des camps et des conflits’ – le déplacement interne sous toutes ses formes :Une personne déplacée de l’intérieur est typiquement considérée comme quelqu’un vivant dans la misère dans un camp après avoir fui la violence et un conflit armé. La réalité cependant est beaucoup plus complexe. La majorité des PDI vivent en dehors des camps avec des familles hôtes, ou sont dispersées dans des zones urbaines. Nous devons être plus créatifs dans nos efforts pour les assister et les protéger. De tels efforts devraient toucher toutes les communautés affectées par le déplacement, c'est-à-dire non seulement les PDI mais aussi les communautés hôtes ou les communautés qui doivent réintégrer des anciens déplacés de retour. En ce qui concerne les causes, chaque année les catastrophes naturelles déplacent bien davantage de personnes que les conflits. Le changement climatique contribue également à ce phénomène. De plus, les déplacements causés par des expulsions forcées liées à des projets de développement sont aussi en augmentation. Je suis fermement convaincu que les réponses apportées à ces types de déplacement restent encore inadéquates.
- Traiter les aspects multiples et accumulés de la vulnérabilité et de la discrimination : Toutes les personnes déplacées ont des vulnérabilités que les personnes non déplacées ne connaissent pas. Cependant, certains groupes de PDI ont besoin d’une attention particulière. Parmi ces groupes se trouvent les femmes (particulièrement les femmes chefs de famille), les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées ou souffrant de maladies chroniques, les personnes appartenant à des minorités ethniques ou religieuses, et les populations indigènes. Même si cela est accepté en théorie, les préoccupations et les besoins spécifiques de ces groupes sont souvent négligés dans la pratique.
- Soutenir les Etats qui ont des capacités limitées : La souveraineté implique des responsabilités. La responsabilité de s’occuper des problèmes liés au déplacement interne incombe donc d’abord et avant tout aux gouvernements. Cependant, une grande partie des déplacements internes se produisent aujourd’hui dans des Etats qui n’ont que des capacités limitées pour les prévenir ou y répondre. Le défi consiste à soutenir les efforts de ces Etats pour qu’ils adoptent et mettent en œuvre des politiques globales et des lois relatives au déplacement interne, tout en s’assurant que les donateurs et les agences humanitaires et de développement les assistent en leur apportant l’expertise et les ressources nécessaires.
- Renforcer la réponse internationale:L’introduction du système de cluster a entrainé des progrès dans la coordination de l’action humanitaire. Cependant, les agences humanitaires peuvent encore faire davantage pour faire face à leurs responsabilités conjointes concernant la protection des PDI, particulièrement dans le domaine des déplacements liés à des catastrophes. Les agences humanitaires peuvent également améliorer leurs propres capacités afin de rendre le concept de protection plus opérationnel.
- Combler l’écart entre assistance d’urgence et reconstruction/développement sur le long terme : Il est inacceptable et honteux de constater que des PDI se trouvent souvent dans une situation encore plus difficile plusieurs années après une crise, qu’elles ne l’étaient pendant la phase d’urgence. Davantage de flexibilité au niveau des financements et une nécessité, comme l’est aussi que les acteurs humanitaires et ceux du développement acceptent de travailler de concert au plus tôt, dès l’émergence d’une nouvelle situation de crise.
- Défendre l’espace humanitaire :Les PDI et les autres populations touchées par des crises continueront à subir les conséquences d’un accès humanitaire réduit ou compromis à moins que nous ne développions des approches nouvelles, novatrices comme l’assistance ‘téléguidée’ ou des interventions de développement en plein milieu d’une crise afin de renforcer la résistance des communautés qui risquent le déplacement, ou la capacité d’absorption des communautés hôtes.
- Garantir que les responsables de déplacement arbitraire soient tenus de rendre des comptes : Le déplacement arbitraire est une violation des Principes directeurs et des normes contraignantes qu’ils traduisent. Sous sa forme la plus extrême, le déplacement arbitraire peut être assimilé à des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. Si nous avons sérieusement l’intention de prévenir le déplacement arbitraire nous devons mettre un terme à l’impunité qui prévaut dans de nombreuses situations de déplacement, faire comparaitre devant la justice les auteurs de tels crimes et garantir que les victimes reçoivent des compensations appropriées et notamment des indemnités.
- Mettre un terme aux politiques de déplacement prolongé: Dans de nombreux pays, des personnes se morfondent dans des situations de déplacement qui se prolongent par manque de volonté politique pour trouver des solutions. Des solutions durables, basées sur des décisions volontaires et éclairées des personnes concernées, sont le meilleur moyen pour protéger les droits de la personne des PDI et apporter un certain degré de réparation lorsqu’il y a atteintes à ces droits.
Walter Kälin (walter.kaelin@oefre.unibe.ch) a été le Représentant du Secrétaire général des Nations Unies pour les droits de l’homme des personnes déplacées de l’intérieur de 2004 à 2010. Il continue à enseigner le droit international et constitutionnel à l’université de Berne en Suisse.
Pour celui-ci et d’autres chiffres, voir la publication annuelle de l’IDMC “Internal Displacement, Global Overview of Trends and Developments” [Déplacement interne, panorama mondial des tendances et des évolutions] http://www.internal-displacement.org/global-overview.
Bureau de la coordination des affaires humanitaires, Internal Displacement Monitoring Centre et Norwegian Refugee Council, Monitoring Disaster Displacement in the Context of Climate Change: Findings of a Study by the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs and the Internal Displacement Monitoring Centre [Observer les déplacements dus à des catastrophes dans le contexte du changement climatique: les conclusions d’une étude menée par le Bureau des Nations Unies de la coordination des affaires humanitaires et l’Internal Displacement Monitoring Centre] (Genève, Septembre 2009).
Voir également l’article de Katinka Ridderbos, page….
Pour plus de détails voir mon rapport au Conseil des droits de l’homme de 2010, UN Doc A/HRC/13/21, paras. 39 ff.