Le 17 juin 2012, un avion transportant plus de 120 ressortissants du Soudan du Sud a quitté Tel-Aviv pour Juba, la capitale du nouvel état du Soudan du Sud. Il s’agissait du premier vol de ce que le gouvernement israélien a appelé ‘l’opération retour à la maison’. Au cours des mois qui ont suivi, six autres vols supplémentaires allaient servir à renvoyer à Juba un total de 1 038 Soudanais du Sud[1].
Israël considère le Soudan comme un État hostile. À leur arrivée en Israël, tous les ressortissants soudanais, y compris ceux du Soudan du Sud, ont été qualifiés de ressortissants d’un pays hostile jusqu’à ce que le Soudan du Sud devienne un État indépendant. Toutefois, depuis juin 2012, tous les individus quelle que soit la partie du Soudan dont ils provenaient tombaient dans le cadre de la politique de ‘non-expulsion’, qui leur a permis de résider temporairement en Israël. Leur résidence était légale mais leurs demandes d’asile n’ont pas été examinées conformément à la Convention de 1951 à laquelle Israël est signataire. C’est ainsi que même si de nombreux Soudanais du Sud arrivant en Israël détenaient une carte d’enregistrement en tant que réfugiés délivrée par le HCR en Egypte, ils n’ont pas été reconnus comme réfugiés par Israël et leur besoin de protection en vertu de la Convention n’a jamais été officiellement reconnu.
En janvier 2012, l’Autorité chargée de la population, de l’immigration et des frontières (Population, Immigration and Border Authority – PIBA) a publié ‘Un appel à la population du Soudan du Sud’ indiquant que « [M]aintenant que le Soudan du Sud est devenu un État indépendant, il est temps pour vous de retourner dans votre patrie. […] l’État d’Israël s’engage à aider ceux qui souhaitent retourner volontairement dans un avenir proche ». Les candidats au retour volontaire recevraient chacun un montant forfaitaire de 1 000 Euros, alors que ceux qui ne quitteraient pas Israël volontairement d’ici au 31 mars 2012 seraient arrêtés et expulsés[2]. Il était également annoncé que les employeurs israéliens des Soudanais du Sud risquaient des sanctions pénales ; ce qui a entraîné pour beaucoup un licenciement immédiat qui a eu pour effet de laisser les communautés de Soudanais du Sud de Eilat et Arad pratiquement entièrement sans emploi et dans l’incapacité de payer leurs loyers et leurs factures de services.
Les ressortissants du Soudan du Sud ont eu trois choix. Ils pouvaient déposer une demande d’asile mais sans aucune chance réelle de voir leur demande examinée ; ils pouvaient s’enregistrer en tant que ‘candidats au retour volontaire’ ; ou ils pouvaient s’exposer à être détenus. Ceux d’entre eux déjà détenus, pouvaient soit s’enregistrer comme ‘candidats au retour volontaire’ ou rester en détention. Chacun de ces ‘choix’ constituait un défi à la notion-même de retour volontaire. Les ressortissants du Soudan du Sud ont perdu leur statut en Israël ; ils ont également perdu leurs emplois et ils n’ont plus été en mesure de trouver un emploi de substitution. L’incertitude et la peur de la détention en ont poussé de nombreux à accepter le ‘retour volontaire’.
Arrestation et détention
Seulement deux jours après l’annonce du 7 juin 2012 en vertu de laquelle les ressortissants du Soudan du Sud disposaient d’une semaine pour s’enregistrer en vue d’un retour volontaire, la police de l’immigration a arrêté onze Soudanais du Sud et un Soudanais du Nord sur le chemin de leur travail dans la zone d’Eilat. Le jour suivant, 105 Soudanais du Sud, dont la majorité vivait à Eilat, ont été arrêtés. Le troisième jour la PIBA a arrêté 73 demandeurs d’asile africains – pas tous Soudanais du Sud – à Tel-Aviv, Eilat et dans d’autres villes. Au cours des trois semaines qui ont suivi, de nombreux Soudanais du Sud ont été arrêtés et placés en détention.
Des familles ont été séparées, les femmes et les enfants ont été détenus à Saharonim et Ketsiot et les hommes à Givon, une prison de haute sécurité comportant une section à l’intention des demandeurs d’asile. Il n’y avait aucune certitude pour les membres d’une même famille d’être placés à bord du même vol pour quitter le pays. Deux mères ont protesté parce que leurs fils, tous deux mineurs, avaient été arrêtés et placés en détention séparément du reste de la famille. Même ceux qui s’étaient enregistrés comme candidats au retour volontaire avant d’être arrêtés n’ont pas échappé à la détention : quelques ont eu ‘la chance’ d’être escortés chez eux par des fonctionnaires de la PIBA avec suffisamment de temps pour préparer leurs bagages, ce qui n’a pas été le cas de la majorité qui n’a même pas eu le temps de rassembler ses effets personnels. Une fois détenus, ils n’ont plus eu la possibilité de retirer leur argent de leurs comptes en banque ou de les clôturer, et ils n’ont pas été en mesure non plus de récupérer leurs derniers salaires et leurs allocations auprès d’employeurs pour lesquels certains d’entre eux avaient travaillé pendant des années.
L’expulsion ‘volontaire’ des ressortissants du Soudan du Sud faisait partie d’une politique plus générale de dissuasion et d’expulsion. En août 2012, un mois après que le septième avion ait décollé transportant des Soudanais du Sud hors d’Israël, le Ministre de l’intérieur Eli Yishai annonçait qu’à partir du 15 octobre 2012 serait initiée une campagne d’arrestation en masse des Soudanais du Nord se trouvant en Israël.
Dans les mois qui ont suivi ces expulsions, des rapports ont été publiés émanant de Soudanais du Sud récemment retournés affirmant qu’un certain nombre de personnes étaient mortes peu de temps après leur retour au Sud Soudan ; des expulsés Soudanais auraient été détenus à leur retour et leurs biens confisqués. Il est difficile de confirmer de tels rapports mais leur persistance et leur fréquence semblent suggérer la nécessité d’une enquête plus approfondie sur la situation de ces personnes. Au cours de la première moitié de 2013, les politiques d’Israël de ‘retour volontaire’ et de détention ont suscité de plus en plus de critiques. En février 2013, le HCR a demandé à l’État d’Israël des explications concernant cette politique d’expulsion en infraction avec le principe de non-refoulement. La réponse du gouvernement est venue sous la forme d’une nouvelle ‘Procédure de retour volontaire’ ciblant cette fois des Érythréens, dans le cadre de laquelle en juillet 2013, quatorze Érythréens ont été renvoyés en Érythrée après avoir accepté – sous la pression – un retour volontaire suite à une mise en détention. Il n’est pas possible de considérer des retours comme volontaires s’ils ont lieu suite à une arrestation et que la personne n’a aucune possibilité de se prévaloir d’une politique d’asile juste. Des pratiques de ce type ne devraient pas être appliquées dans le cas de pays comme l’Érythrée ou le Soudan, où les personnes de retour courent de graves risques de persécution, sans s’enquérir au préalable si la situation dans l’État nouvellement indépendant du Soudan du Sud leur permet réellement un retour en toute sécurité. Le climat politique actuel semble suggérer que ce sont des intérêts domestiques qui motivent les priorités politiques du jour en ce qui concerne les demandeurs d’asile plutôt que le respect des normes internationales.
Laurie Lijnders laurielijnders@gmail.com est anthropologue et milite pour la défense des droits des réfugiés.
Cette étude[3] s’appuie sur un travail de l’African Refugee Development Center www.ardc-israel.org et de la Hotline for Migrant Workers www.hotline.org.il à Tel-Aviv, et sur des entretiens menés avec des ressortissants du Soudan du Sud, des avocats et des défenseurs des droits de l’homme en Israël ainsi que des personnes de retour au Soudan du Sud. L’intégralité du rapport est disponible en ligne sur www.ardc-israel.org/sites/default/files/do_not_send_us.pdf
[1] Les ONG et les organismes gouvernementaux estimaient qu’il y avait en Israël entre 700 à 3 000 Soudanais du Sud. Selon les représentants de la communauté soudanaise du sud ce chiffre était plutôt d’environ 1100.
[2] De nombreuses procédures d’appel ont été déposées mais au final, le 7 juin 2012 la Cour a statué en faveur de la politique, et les Soudanais du Sud ont eu une semaine pour s’enregistrer comme candidats au retour volontaire.
[3] Financée par l’UE et l’ambassade des Pays Bas en Israël. Les recherches ont été menées grâce à la contribution de Yael Aberdam, Sigal Rozen, Asaf Weitzen et Hadas Yaron-Mesgena et à l’assistance de Marie Kienast, Anna Maslyanskaya, Ben Wilson et David Jacobus.