Le «séjour toléré» n’est qu’un des 60 différents statuts de protection accordés selon 15 motifs différents dans les pays de l’Union européenne (UE). Il est souvent accordé aux personnes qu’il n’est pas possible de déporter pour des raisons pratiques (telles que l’absence de papiers ou le refus de la part du pays d’origine d’accepter la personne en question) ou bien parce que leur expulsion s’apparenterait à un refoulement (et donc à une violation de la Convention relative aux réfugiés).[1] Quinze États membres de l’UE[2] accordent le statut de séjour toléré, avec des définitions différentes réglementées par des instruments juridiques différents.
Les motifs auxquels les États membres accordent le séjour toléré sont souvent identiques à ceux donnant droits aux formes complémentaires de protection tels que le statut de «protection subsidiaire», dorénavant standardisé – «harmonisé» – dans l’ensemble de l’UE. (Ont droit à une «protection subsidiaire» les demandeurs qui ne remplissent pas les conditions requises pour le statut de réfugié mais qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine en raison d’un risque réel pour leur personne.) Toutefois, le séjour toléré s’accompagne généralement d’un ensemble de droits différent et souvent édulcoré, affaiblissant de fait le niveau de protection accordé. De plus, selon le degré de conformité du séjour toléré avec le principe de non refoulement, ce principe sera considéré soit négativement comme une simple obligation de ne pas expulser une personne, soit positivement comme une obligation dérivée de la reconnaissance des droits fondamentaux de cette personne.
Exemples de droits accordés avec le séjour toléré
En Pologne, le permis de séjour toléré est accordé soit en vertu des droits humains garantis par les instruments internationaux, soit lorsque des obstacles pratiques rendent l’expulsion impossible. Les motifs donnant droit à ce permis sont les mêmes que ceux donnant droit à une protection subsidiaire mais la portée du permis de séjour toléré semble plus étendue et fait même référence au droit à un procès équitable et à d’autres droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Toutefois, le séjour toléré n’accorde pas le même ensemble de droits que la protection subsidiaire: bien que les deux garantissent l’accès au marché du travail et aux soins de santé, ils divergent quant aux droits à l’assistance sociale (limités à un logement de base, aux repas et aux vêtements essentiels), aux droits de retraite et de rassemblement familial (non accordé aux détenteurs d’un permis de séjour toléré). S’ils souhaitent obtenir un permis pour s’installer durablement dans le pays, les détenteurs d’un permis de séjour toléré doivent prouver qu’ils résident sans interruption depuis dix ans en Pologne, et depuis quinze ans s’ils désirent demander la citoyenneté. En principe, le permis de séjour toléré ne donne pas droit à un document de voyage polonais.
En Hongrie, le séjour toléré est accordé lorsque l’expulsion serait considérée comme un refoulement, selon des motifs qui recoupent ceux de la protection subsidiaire et même ceux du statut de réfugié (basé sur une crainte fondée d’être persécuté). Toutefois, on observe ici encore des différences dans les droits garantis. L’éducation est le seul droit accordé identiquement quel que soit le statut. Les détenteurs du statut de séjour toléré doivent obtenir un permis supplémentaire pour travailler et ne bénéficient d’un accès gratuit qu’aux soins de santé essentiels, tels que les services d’urgence et la vaccination; ils ne bénéficient pas de conditions préférentielles pour le rapprochement familial; ils ne peuvent demander la naturalisation qu’après 11 ans de séjour ininterrompu et après obtention d’un permis de séjour permanent; les personnes tolérées n’ont pas non plus le droit à un document de voyage hongrois.
Au Royaume-Uni, une autorisation discrétionnaire de séjour (discretionary leave to stay) pourra être accordée aux personnes exclues de la définition du statut de réfugié, dans la plupart des cas pour des motifs liés à la CEDH, notamment la prohibition de la torture, le respect de la vie privée et familiale et la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ici aussi, des différences apparaissent quant aux droits accordés avec chaque statut. L’autorisation discrétionnaire est généralement accordée pour trois ans (contre cinq ans pour la protection subsidiaire) et, alors que les droits à l’éducation et aux soins de santé sont pleinement accordés de manière égale, l’accès au marché du travail et aux prestations sociales est limité pour les détenteurs d’une autorisation discrétionnaire qui, de surcroît, n’auront le droit au rapprochement familial que s’ils obtiennent un permis de séjour permanent (indefinite leave to remain). Ce permis pourra être obtenu après une plus longue période de temps (six ans au lieu de cinq) et sera également indispensable pour faire une demande de naturalisation.
Les chiffres concernant les niveaux d’application et les tendances du séjour toléré diffèrent également d’un pays à l’autre. En Pologne, 840 permis de séjour toléré ont été délivrés en 2004, année de leur introduction; ce chiffre a ensuite connu une hausse continue jusqu’en 2007, où 2910 permis ont été délivrés, avant de connaître un déclin à partir de 2008, lorsque le statut de protection subsidiaire a été introduit. Ainsi, en 2009, seuls 82 permis ont été délivrés, une chute considérable provoquée sans doute par la hausse de l’octroi de protection subsidiaire. La Hongrie a connu une semblable tendance à la baisse jusqu’en 2009, puis le mouvement s’est inversé: le séjour toléré est alors redevenu le premier type de protection complémentaire dans ce pays. Étant donné le moindre degré de protection accordé par le séjour toléré, cette situation fait l’objet de vifs débats au niveau national en Hongrie et soulève des questions quant aux raisons et/ou aux intérêts qui sous-tendent ce recours préférentiel au statut de séjour toléré. Au Royaume-Uni, les autorités semblent accorder l’autorisation discrétionnaire de séjour avec une certaine régularité, le peu de données disponibles indiquant qu’elle est souvent préférée au statut de protection humanitaire (subsidiaire): entre 8 et 11% de toutes les demandes contre 1% respectivement.
Même si elle est loin d’être exhaustive, cette analyse comparative permet à la fois de mettre en lumière les différences d’application du statut de séjour toléré d’un État membre à l’autre et d’identifier les aspects communs de cette application: premièrement, certains «motifs de protection» sont les mêmes pour le séjour toléré que pour d’autres types de protection complémentaire, en particulier la protection subsidiaire, et deuxièmement, le séjour protégé confère un moindre degré de protection que les autres types.
Il est important de souligner que les conséquences de la différenciation entre le statut de séjour toléré et le statut subsidiaire s’étendent bien au-delà du simple exercice universitaire ou juridique. Le statut de séjour toléré s’accompagne parfois de conditions peu favorables pour ses détenteurs, et peut se traduire par des difficultés à trouver un emploi, à se rendre à l’étranger, à se rapprocher de sa famille ou à obtenir un permis de résidence permanente ou la naturalisation. Les détenteurs de ce statut peuvent se retrouver socialement marginalisés, dans l’extrême pauvreté, sans abri ou encore poussés à migrer clandestinement ailleurs.
Questions finales
- Le séjour toléré est-il une relique du passé ou un filet de sécurité nécessaire ? Il est impossible de nier l’importance historique du séjour toléré en tant que mécanisme de protection avant l’introduction de la protection subsidiaire. Toutefois, a-t-il aujourd’hui une utilité en tant que troisième option de rechange en matière de protection ? Le séjour toléré s’apparente-t-il réellement à un effort pour respecter le principe de non-refoulement, ou n’est-ce que de la poudre aux yeux ?
- Pourquoi cet affaiblissement des normes de protection ? Les aspects financiers pourraient expliquer pourquoi les États continuent d’utiliser (ou auraient intérêt à créer) des statuts de protection «édulcorés» plutôt que les formes plus «complètes» de protection, qui impliquent des coûts plus élevés. Une autre explication possible, en particulier dans le contexte de l’UE, est celle de la soi-disant «lassitude de l’asile» (asylum fatigue) qui, ces dernières années, affaiblirait la volonté des États à accorder leur protection.
- Enfin, le séjour toléré est-il utilisé de manière inappropriée ou abusive – ce qui, en fin de compte, soulève des questions quant à l’intégrité de nos systèmes d’asile et notre respect des principes internationaux de protection ?
Inês Máximo Pestana inesmpestana@gmail.com est directrice de programme pour l’agence EuropeAid de la Commission européenne. Les opinions exprimées ici sont celles de l’auteur, et ne représentent pas la position de la Commission européenne.
[1] Consultez le rapport du Réseau européen des migrations: «Les différentes pratiques nationales concernant les statuts de protection harmonisés au bénéfice des ressortissants des pays tiers à l’UE» http://emn.sarenet.es/Downloads/prepareShowFiles.do;?directoryID=122.
[2] Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, Hongrie, Irlande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, République tchèque, Royaume-Uni, Slovénie et Suède.