Le site d’installation de réfugiés de Nakivale en Ouganda est l’un des plus anciens et des plus importants, et, à ce titre, il a attiré l’intérêt, année après année, de nombreux chercheurs internationaux. Je suis un réfugié congolais et je vis à Nakivale depuis 2006. Statisticien de formation, j’ai participé en tant que chercheur homologue à plusieurs projets de recherche menés à Nakivale.
J’ai pu observer dans le cadre d’études passées, de nombreuses difficultés qui auraient pu être évitées grâce à des discussions préalables. Lors de projets dans lesquels il est important, par exemple, de cartographier la population cible, des erreurs de calcul peuvent survenir si des chercheurs extérieurs au camp se fient uniquement aux données officielles. Mon équipe, par exemple, s’est vu confié la responsabilité d’interroger un groupe de familles congolaises estimé à 300 familles selon les données d’une agence internationale; toutefois, lorsque nous avons atteint le village, nous avons été surpris de ne trouver que 50 familles à peu près.
Les conditions climatiques peuvent avoir un impact dramatique sur l’efficacité des recherches. Lorsque les chercheurs ciblent une population importante dans un temps limité, une période de pluie causera inévitablement des problèmes. Néanmoins, en expliquant simplement au préalable leurs attentes et leurs objectifs, les chercheurs internationaux peuvent être informés des conditions qui peuvent avoir un impact sur les résultats du projet et être alors en mesure de prendre les précautions nécessaires pour éviter le plus possible que l’étude ne soit perturbée.
Une fois que l’on s’assure que les chercheurs homologues ont été totalement informés des objectifs de la recherche, il leur est ensuite possible d’expliquer ces mêmes objectifs lorsqu’ils recrutent des participants, et de gérer également les attentes, une fois que la recherche a été menée à terme. La capacité des chercheurs homologues à traduire les questions dans la langue locale et de discuter, clarifier et commenter les sujets de recherche, ainsi que les questions des entretiens peut s’avérer cruciale. Dans une situation particulière, par exemple, il nous est apparu clairement que le fait de poser des questions relatives à leur retour dans leur pays d’origine mettait des réfugiés mal à l’aise et que certains d’entre eux manquaient les rendez-vous d’entretiens ; il est devenu évident que cela coïncidait avec différentes rumeurs qui circulaient selon lesquelles des réfugiés auraient été rapatriés de force. Nous avons également été témoins de situations dans lesquelles des réfugiés avaient accepté de participer aux entretiens parce qu’ils pensaient, en partie parce que le chercheur était blanc, qu’il pouvait s’agir d’opportunités de réinstallation.
Les commentaires en retour sont l’objet d’une difficulté supplémentaire. Les personnes qui ont participé à différents projets de recherche s’attendent, de manière tout à fait compréhensible, à recevoir des informations sur les résultats de l’étude, sur l’étendue de la contribution qu’ils ont apporté à la résolution d’un problème et sur les améliorations qui seront appliquées en conséquence. Lorsqu’ils sont exclus et qu’ils ne reçoivent aucune information, les participants sont déçus et ils expriment leur irritation aux chercheurs suivants en disant, « Nous avons rencontré des gens comme vous déjà plusieurs fois et nous n’avons jamais vu aucun changement. Qu’est-ce qui nous dit que vous n’êtes pas exactement comme eux? » Lorsque les chercheurs internationaux repartent, le point de contact reste le réfugié chercheur homologue qui reste dans la communauté et doit répondre à toutes ces questions. Par exemple, certaines recherches sont effectuées chaque année (à Nakivale, par exemple, sur la nutrition des réfugiés) ; pouvez-vous imaginer à quel point les gens sont irrités de ne jamais recevoir les résultats de la recherche de l’année précédente ? Les participants doivent être informés et il faut leur expliquer dans quelle mesure les recherches auxquelles ils ont participé ont atteint les objectifs fixés, ou si elles ont eu le succès escompté et réussi à faire changer les opinions ou les programmes. Pour cela les chercheurs internationaux doivent être francs avec les chercheurs réfugiés et leur fournir les connaissances qui leur permettent de transmettre les résultats.
Pour finir, les constatations qui découlent des études doivent être accessibles. Les publications ne devraient pas être uniquement disponibles en ligne où les réfugiés n’ont pas les moyens de les consulter. Les informations devraient atteindre même les personnes qui n’ont pas d’accès internet, surtout celles qui faisaient partie de la population cible de l’étude. Même s’ils sont potentiellement plus compliqués à réaliser, des formats alternatifs de publication des résultats peuvent être plus appropriés, comme par exemple, des contenus visuels, une dissémination par radio et des présentations lors de réunions et de conférences.
S’ils veulent entreprendre des recherches de manière efficace et respectueuse des personnes qu’ils étudient, les chercheurs doivent engager le dialogue avec leurs homologues chercheurs au sein des communautés réfugiées. Les chercheurs internationaux doivent toutefois apprendre à améliorer leurs pratiques de travail pour collaborer avec leurs homologues chercheurs et prévoir ce qui risque de se passer une fois qu’ils ont quitté les lieux et que leurs homologues chercheurs restent seuls sur place.
William Bakunzi bakunziw@gmail.com
Chercheur homologue au site d’installation de réfugiés de Nakivale et ancien Président, Comité 3 d’aide aux réfugiés