À l’heure actuelle, il existe 33 groupes nationaux de coordination de la protection humanitaire de l’enfance (anciennement dénommés sous-groupes de protection de l’enfance) dans le système de regroupements du Comité permanent interorganisations (Inter-Agency Standing Committee – IASC) [1]. Ces groupes définissent l’orientation stratégique globale des interventions humanitaires en matière de protection de l’enfance et peuvent avoir énormément d’influence sur l’affectation des financements et sur les opportunités de formation en faveur des organisations qui assurent la protection de l’enfance. Une enquête récente a montré que ces groupes comprennent en moyenne 22 organisations nationales de protection de l’enfance par groupe et que plus de 60 % d’entre eux sont des acteurs locaux[2]. Il est toutefois surprenant de constater que si les acteurs nationaux représentent la majorité des membres, à l’heure actuelle, aucun des 33 groupes n’est codirigé par une organisation de la société civile nationale (OSC).
Les documents internes d’orientation du Cluster de protection global encouragent explicitement la codirection des ONG locales car celles-ci apportent des perspectives uniques à la prise de décisions et peuvent conduire à des mécanismes de coordination plus durables, inclusifs et efficaces. Par exemple, un coordinateur local compétent, peut mettre à profit les réseaux locaux pour amplifier les messages de plaidoyer et produire des analyses plus précises – et ainsi, peut se montrer plus efficace dans le suivi de la responsabilité envers les enfants et leurs familles. Dans la plupart des contextes, employer un bon coordinateur issu d’une ONG locale s’avèrera également moins coûteux qu’un employé d’une organisation internationale.
Les Standards minimums pour la protection de l’enfance exigent que l’agence chef de file du groupe s’appuie sur les structures de coordination locales existantes et encouragent la codirection des OSC chaque fois que cela est possible[3], tandis que l’IASC a déclaré que les Coordinateurs résidents ou les Coordinateurs humanitaires et les Équipes nationales humanitaires doivent s’assurer que le financement n’est pas un obstacle pour les agences qui souhaitent partager la direction du groupe, et que « ceux qui partagent un rôle de codirection doivent contribuer au renforcement des capacités nationales » [4].
Pourquoi, alors, n’y a-t-il pas plus d’ONG locales dans des rôles de coordination ou de codirection ? De nombreuses explications sont proposées, mais les deux que nous entendons le plus souvent sont, d’une part, que les partenaires locaux manquent des capacités suffisantes pour diriger le groupe de coordination au niveau national et, d’autre part, que la présence des acteurs internationaux est nécessaire pour leur neutralité, leur impartialité et/ou leur indépendance.
Une question de capacité ?
Tout comme la communauté internationale, les ONG locales ont des niveaux d’expériences et de compétences très variés. Nombreuses sont les agences de l’ONU et les ONG internationales (ONGI) occupant des postes de direction ou de codirection qui emploient déjà des collègues nationaux pour occuper ces positions de direction ou de codirection. Dans bien des contextes, les ONG locales ou nationales coordonnent des réseaux et des groupes de travail thématiques autour de la protection de l’enfance, ou supervisent des programmes de protection de l’enfance intégrés et multisectoriels. Souvent elles dirigent ou codirigent des groupes de coordination à un échelon infranational. Difficile de dire pourquoi ces mêmes capacités ne sont pas considérées pertinentes ou suffisantes pour qu’elles puissent prétendre à des rôles de coordination nationale.
De nombreux groupes de coordination de la protection de l’enfance dans l’action humanitaire sont en place depuis plus de 10 ans (en Somalie, en République démocratique du Congo et en République Centrafricaine, par exemple) et de nombreuses organisations et employés locaux chargés de la protection de l’enfance travaillent dans le secteur depuis le début de cette période. Néanmoins, lorsqu’un poste de coordinateur de la protection de l’enfance a été publié pour l’un de ces contextes au début de l’année 2018, les critères de sélection précisaient qu’un candidat international ayant cinq ans d’expérience professionnelle était recherché. Est-il vraiment possible qu’aucun acteur local n’ait suffisamment d’expérience et de compétences pour que sa candidature soit prise en compte pour un tel poste ?
Les coordinateurs internationaux continuent d’enchaîner les différents postes de direction de la protection de l’enfance, bien que leur expérience professionnelle et leur compréhension du contexte local soient nettement inférieures à celles des candidats locaux. Des ONG nationales solides ont, par le passé, joué un rôle de codirection nationale, mais ont finalement été remplacées par des ONG internationales (en Somalie, par exemple). Un examen récent de la diversité en matière de direction humanitaire a révélé que l’éviction des partenaires locaux était courante[5].
Plutôt que de manquer de capacités suffisantes, il est peut-être plus exact de dire que les ONG locales et nationales manquent de financements institutionnels flexibles ou qu’elles ne disposent pas de systèmes de ressources humaines, de financement ou de gestion aussi robustes que ceux de nombreuses grandes ONGI. Ainsi, pour les ONG locales et nationales, il est difficile de recruter et de retenir des spécialistes de la coordination, ou d’obtenir un soutien auprès d’un siège régional ou international en la matière. Néanmoins, ces contraintes sont surmontables. Imaginez ce qui aurait pu être réalisé si la communauté humanitaire internationale avait passé les 10 dernières années à détacher des spécialistes de la coordination pour travailler au sein d’organisations partenaires locales, ou à leur offrir des opportunités de coaching, de mentorat et de jumelage, ou encore à soutenir financièrement un partenaire local pour qu’il puisse recruter et gérer son propre spécialiste national ou international de la coordination.
Une question de neutralité, d’impartialité et d’indépendance ?
Il est certain que la neutralité, l’impartialité et l’indépendance jouent un rôle essentiel dans le cadre des interventions en matière de protection et que les gouvernements ont parfois besoin d’un appui pour atteindre ces idéaux. Si les services d’une agence internationale sont nécessaires, l’UNICEF a un mandat officiel de l’IASC pour être l’institution de dernier recours en matière de protection de l’enfance au sein du système Cluster et devrait pouvoir répondre aux nombreuses préoccupations concernant la neutralité, l’impartialité et l’indépendance. Si des niveaux d’indépendance supplémentaires sont nécessaires, des arrangements tripartites ont été établis dans certains contextes (gouvernement, ONU et ONGI). Les groupes, en tant que tels, disposent de suffisamment de flexibilité pour structurer leurs arrangements de leadership afin de s’adapter à un contexte donné.
C’est toutefois une erreur de penser que seuls les acteurs internationaux peuvent garantir l’impartialité. Les OSC locales et nationales occupent déjà des rôles de leadership au niveau infranational et naviguent à travers des contextes opérationnels locaux, des dynamiques et des relations complexes (nous avons pu en témoigner lors de nos travaux au Nigéria et au Soudan du Sud). Les acteurs locaux sont apparemment suffisamment dignes de confiance pour gérer efficacement la coordination (avec toutes ses complexités) au niveau infranational – mais pas au niveau national. Pourquoi les organisations internationales sont-elles disposées à investir des ressources humaines dans des rôles de coordination nationaux, mais pas dans des rôles de coordination infranationaux ? De nombreux collègues locaux nous ont suggéré que les acteurs internationaux préfèrent diriger des groupes de coordination au niveau national car ces rôles sont ceux qui ont le plus de visibilité et d’influence. D’autres ont suggéré que les ONGI pensent qu’elles peuvent faire un meilleur travail que les organisations locales. Certains ont même suggéré que les ONGI cherchent à jouer un rôle de leadership national en vue de s’assurer un accès à des ressources financières pour leurs propres programmes.
Les Plans d’intervention humanitaires (qui décrivent l’approche et les priorités de la communauté humanitaire) n’indiquent pas comment les décisions de leadership sont prises, ni si des plans de transition sont en place, malgré les engagements de l’IASC et du Cluster de protection global pour élaborer des plans de transition dans les trois mois qui suivent le début d’une crise, et chaque année par la suite. Les motifs qui expliquent le manque d’acteurs locaux à des responsabilités de coordination nationale restent vagues, mais la communauté humanitaire de protection de l’enfance peut sûrement mieux faire.
Trois défis à relever
Au moment où les groupes de coordination de la protection de l’enfance et les EHN (équipes humanitaires nationales) préparent leurs Plans d’intervention humanitaires pour l’année 2019, nous aimerions proposer à nos collègues internationaux chargés de la coordination, à tous les membres des groupes qui se chargent de coordonner la protection de l’enfance, et plus généralement au système de groupes, de relever trois défis.
Groupes chargés de la coordination de la protection de l’enfance : prévoyez d’inclure 2 ou 3 phrases dans votre prochain plan d’intervention pour définir explicitement les dispositions en matière de leadership. Étant donné que le leadership en matière de coordination est fondamental pour l’intervention humanitaire, les dispositions en matière de leadership devraient être expliquées dans la stratégie humanitaire. Si les acteurs locaux ne jouent pas un rôle directeur, la stratégie devrait indiquer quels plans de transition sont actuellement en cours, ou quelles conditions préalables sont nécessaires pour permettre une telle transition.
ONGI (spécifiquement les codirecteurs) : Engagez-vous dans une stratégie disposant de ressources et limitée dans le temps, qui permette une transition vers une codirection locale, notamment en fournissant un coaching, un mentorat et/ou un soutien par jumelage, le cas échéant. Cette transition devra avoir lieu le plus rapidement possible, mais devra bien entendu être une transition responsable assortie d’un calendrier adapté. Les ONGI devront prendre en compte cette transition dans leur stratégie de collecte de fonds et leur affectation de ressources en interne.
Donateurs : Si les deux premiers défis ne sont pas relevés par les groupes de coordination et les ONGI, cessez de financer les postes de codirecteurs des ONGI et privilégiez plutôt le soutien direct à la codirection locale.
Daniel Machuor machuorcina@gmail.com
Directeur général, Community in Need Aid (CINA), Soudan du Sud
www.cinasouthsudan.org
Umar Abdullahi Maina mainaumar62@gmail.com
Superviseur de programme, Neem Foundation, Nigeria
www.neemfoundation.org.ng
Membres du Groupe stratégique consultatif global du domaine de responsabilité sur la protection de l’enfance (Global Child Protection Area of Responsibility (CP AoR) Strategic Advisory Group).
Anthony Nolan anolan@unicef.org
Expert thématique en localisation pour le CP AoR et spécialiste de la protection de l’enfance, UNICEF www.unicef.org
[1] www.globalprotectioncluster.org/en/areas-of-responsibility/child-protection.html
[2] CP AoR Étude annuelle 2017 http://cpaor.net/sites/default/files/cp/2016/CP%20AoR%20Annual%20Survey%202017.pdf
[3] CP AoR (2010) Standards minimums pour la protection de l’enfance dans l’intervention humanitaire
http://cpwg.net/wp-content/uploads/sites/2/2014/03/CP-Minimum-Standards-French.pdf
[4] Voir IASC (2011, revisé 2015) Reference Module for Cluster Coordination at Country Level https://interagencystandingcommittee.org/iasc-transformative-agenda/documents-public/reference-module-cluster-coordination-country-level
[5] Humanitarian Advisory Group (2018) Drawing on our diversity: Humanitarian leadership, p10 https://humanitarianadvisorygroup.org/wp-content/uploads/2018/07/Drawing-on-our-Diversity-Humanitarian-Leadership.pdf