L’État du Belize, qui est relativement jeune (cette nation est indépendante depuis 1981 seulement), est situé sur la côte est de l’Amérique centrale et compte seulement 380 000 habitants. Le Belize a toujours connu des flux migratoires, généralement plutôt vers l’extérieur que vers l’intérieur du pays jusqu’aux années 1980, où des troubles civils et des conflits de diverses amplitudes ont embrasé un certain nombre d’états d’Amérique centrale, notamment le Nicaragua, le Salvador, le Honduras et le Guatemala.
En conséquence de ces violences, des dizaines de milliers de personnes ont fui de chez elles pour rejoindre le Belize, en quête de sécurité. La plupart de ces réfugiés étaient des agriculteurs de subsistance, pris entre deux feux dans des conflits opposant rebelles et forces gouvernementales. Un grand nombre d’entre eux ont cherché à s’installer sur des terres inoccupées en vue de les cultiver pour nourrir leur famille et vendre une partie de leur production sur le marché local. D’autres ont rejoint la main-d’œuvre des secteurs béliziens des agrumes, du sucre et de la banane. Un plus petit nombre d’entre eux étaient des militants politiques ou défenseurs des droits humains, ou d’autres professionnels exposés à des risques dans leur pays après avoir exprimé leurs opinions. Ces réfugiés-là étaient plus susceptibles de rechercher du travail dans l’enseignement ou en milieu urbain. Quel que soit leur profil, ces réfugiés ont trouvé un pays qui n’était pas équipé pour faire face à leur arrivée. Ce pays, indépendant depuis peu, n’était pas partie à la Convention de 1951 relatives aux réfugiés et ne disposait d’aucun cadre d’asile.
En réponse à ces arrivées, le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, a ouvert un bureau au Belize tandis que le gouvernement a décidé de prendre des mesures pour garantir la protection des réfugiés. En juin 1990, le Belize a accédé à la Convention et à son Protocole, puis en août 1991, une loi nationale relative aux réfugiés[1] est entrée en vigueur. Malgré quelques imperfections, cette loi était, dans l’ensemble, une reproduction fidèle des dispositions de la Convention ; elle intégrait également la définition étendue de « réfugié » tirée de la Convention de 1969 de l’Organisation de l’unité africaine[2]. Tout au long des années 1990, le HCR a continué d’aider le gouvernement à établir et doter en personnel le Bureau des réfugiés et à établir un Comité d’admissibilité des réfugiés (CAR). Le HCR a également aidé les réfugiés et les demandeurs d’asile à s’installer et subvenir à leurs besoins, en soutenant parallèlement le gouvernement pour assurer leur protection contre tout retour forcé.
Choix politiques et implications
Les aspects positifs du traitement accordé par le Belize aux réfugiés fuyant les conflits des années 1980 apportent des indications précieuses pour le présent.
Premièrement, le Belize n’a pas établi de camp de réfugiés, ni restreint de quelque manière que ce soit leur mouvement. Au contraire, le gouvernement a choisi de désigner une zone, par la suite baptisée la Vallée de la paix, dans laquelle les réfugiés d’Amérique centrale pouvaient s’installer et où ils avaient accès à des terres arables. (La même offre a également été faite aux Béliziens.) Les réfugiés qui ne s’étaient pas installés ici étaient encouragés à s’installer dans d’autres communautés béliziennes existantes ou nouvelles. Dans le cadre de l’initiative de la CIREFCA[3], le HCR et ses partenaires, à savoir des organisations non-gouvernementales et le gouvernement lui-même, ont soutenu la construction d’écoles, de cliniques, de châteaux d’eau, de routes et d’autres types d’infrastructure dans les communautés accueillant les réfugiés. Et ce qui est surtout important, c’est que ces améliorations ont bénéficié tout autant aux Béliziens vivant dans ces mêmes villes et villages. Cette politique avant-gardiste a favorisé l’intégration globale des réfugiés et contribué à éviter un grand nombre d’attitudes plus conflictuelles que l’on observe dans certaines situations d’accueil où les réfugiés sont soumis à une ségrégation physique et bénéficient d’un système parallèle de soutien et de services, au point que les résidents locaux se plaignent que les réfugiés bénéficient d’un traitement préférentiel.
Deuxièmement, le gouvernement a accepté les demandes d’asile, même de la part des personnes qui avaient sollicité le statut de réfugié après la limite de 14 jours civils spécifiés dans la loi sur les réfugiés (c’est-à-dire qu’il a traité les demandes sans tenir compte de la date d’arrivée au Belize). En outre, les cas ont été déterminés en fonction de la situation dans le pays d’origine au moment où les demandeurs sont arrivés au Belize, et non pas à la date de la décision. Cette approche semblait se baser sur un double raisonnement. Premièrement, comme il n’existait pas de loi relative aux réfugiés, ni de système de détermination du statut au moment où les réfugiés sont arrivés, il semblait injuste de ne pas considérer la situation à la date à laquelle l’asile avait initialement été sollicité. Deuxièmement, à partir du début jusqu’au milieu des années 1990, certains des réfugiés qui étaient arrivés dans les années 1980 étaient bien établis au sein des communautés, leurs enfants étaient scolarisés et ils contribuaient à l’économie et au développement de la base agricole du pays ; les forcer à quitter le pays à ce moment-là aurait provoqué des perturbations indues, tant pour eux-mêmes, que pour leur communauté.
Au moment où le système était bien établi, la paix se propageait en Amérique centrale. Le HCR, avec l’aide de la communauté internationale (et surtout grâce aux généreux financements apportés par l’initiative de la CIREFCA), pouvait offrir une aide administrative et financière aux personnes qui souhaitaient choisir le rapatriement, une assistance aux autorités pour permettre l’intégration harmonieuse des personnes souhaitant rester au Belize et un appui sous forme de réinstallation dans un pays tiers au très petit nombre de personnes restantes pour lesquelles aucune des autres solutions n’était adaptée. En 1998, une fois que les arriérés des demandes d’asile ont été apurés et que de nombreux réfugiés ont été naturalisés, le HCR a fermé ses portes et, peu après, le gouvernement a démantelé son CAR et son Bureau des réfugiés.
Les années 2010 : un nouvel influx de réfugiés
Dans les années 2010, de nouvelles situations de conflit et de violence ont commencé à éclater au Salvador, au Honduras et au Guatemala, et des milliers de personnes ont une fois encore cherché refuge au Belize. Alors que le nombre d’arrivées augmentait, le besoin d’un système d’asile opérationnel devenait plus criant. Le HCR a donc fini par rétablir une présence dans le pays, tandis qu’en juin 2015, le gouvernement à réinstitué le CAR, qui a commencé à étudier les demandes d’asile en novembre de cette même année. En mai 2016, le Département des réfugiés a été rétabli et le gouvernement a pris la relève pour se charger de l’enregistrement et de l’instruction des dossiers d’asile, avec l’appui du HCR.
En dépit de ces avancées positives, la situation actuelle en matière de protection des réfugiés n’est pas sans difficulté. Le gouvernement n’a pas repris son ancienne pratique qui permettait à l’ensemble des demandes d’asile d’être étudiées, quelle que soit leur date d’arrivée dans le pays, et le délai de 14 jours prévu par la loi sur les réfugiés est maintenant strictement appliqué. Cette approche semble s’expliquer par des préoccupations telles que la sécurité nationale et le besoin d’enrayer les demandes frauduleuses. Cependant, paradoxalement, cette approche pourrait se traduire par une situation d’affaiblissement, et non pas de renforcement, de la sécurité. En effet, les personnes incapables de s’enregistrer dans les délais risquent de devenir des « clandestins », si bien qu’il sera plus difficile pour le gouvernement de savoir qui se trouve dans le pays et quelle est leur situation. Ces réfugiés sont exposés à l’exploitation par les passeurs, les trafiquants, les employeurs abusifs, ou bien d’autres encore. Et lorsqu’elles sont victimes ou témoins de tels crimes, ces personnes préfèrent probablement ne pas les signaler, par crainte d’être détenues ou expulsées. À l’inverse, un système d’asile robuste, c’est-à-dire un système qui examine rapidement et équitablement les demandes, est généralement considéré comme l’un des meilleurs moyens de garantir la protection et la sécurité de la population.
Qui plus est, la plupart des demandeurs d’asile au Belize qui ont été capables d’accéder au processus vivent dans une incertitude prolongée, sans pouvoir accéder complètement à leurs droits et à des solutions. Depuis que le CAR a commencé à étudier les demandes d’asile en novembre 2015, seuls 15 cas (28 personnes) ont obtenu le statut de réfugié. Les autres cas qui ont été jugés favorablement n’ont pas encore reçu la confirmation ministérielle requise. En conséquence, ces réfugiés continuent de vivre dans l’incertitude tandis que l’arriéré de demandes d’asile continue d’augmenter.
Les conséquences de ces restrictions et de ces retards sont graves. L’absence d’un droit à travailler légalement, conjuguée à la longue durée de traitement des demandes d’asile, place de nombreux demandeurs d’asile dans une situation d’extrême vulnérabilité (de même que les personnes extérieures au système d’asile). Certains parents ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école car les frais de scolarité sont trop coûteux ; des femmes subissent des pressions pour accepter des conditions de travail dangereuses ; les soins médicaux d’urgence peuvent être inabordables ; certaines rumeurs indiquent même que, par désespoir, les demandeurs d’asile reprennent leur chemin pour rechercher la sécurité ailleurs, ou retournent dans leur pays d’origine, s’exposant par-là même à de grands dangers. Parallèlement, le Belize ne tire pas profit des compétences, du talent et de l’impact économique éventuel de milliers de personnes qui ont vu en ce pays un symbole de sécurité et une occasion de recommencer leur vie.
Des pas dans la bonne direction
Malgré ces défis, des signes d’espoir apparaissent. Depuis qu’il a remis sur pied le processus d’asile, le gouvernement a reconnu ses premiers réfugiés en près de 20 ans. De plus, les autorités chargées de déterminer le statut de réfugié ont continué de renforcer leurs capacités et travaillent actuellement au renforcement du processus d’asile. D’autres fonctionnaires béliziens concernés sont prêts à ouvrir un dialogue positif sur les questions liées aux réfugiés. En outre, le HCR, ses ONG partenaires et le gouvernement ont mis en place avec succès des projets qui soutiennent les communautés accueillant des réfugiés au Belize – des projets qui portent assistance tant aux réfugiés qu’aux Béliziens. Avec seulement un minimum de changements politiques, le Belize pourrait tirer d’importants avantages supplémentaires tout en garantissant la protection des personnes qui en ont besoin, comme il le fit dans les décennies antérieures.
À cet égard, la décision prise par le pays de se joindre aux efforts régionaux actuels pour renforcer la protection et les solutions apportées aux réfugiés en Amérique centrale est particulièrement positive. Connue sous son acronyme espagnol, MIRPS (Marco Integral Regional para la Proteccion y Soluciones), cette initiative est l’incarnation régionale du Cadre d’action global pour les réfugiés (CAGR), mandaté par l’Assemblée générale de l’ONU dans sa Déclaration de New York de 2016[4]. De la même manière que la participation du pays au processus de la CIREFCA dans les années 1990 lui a permis de gérer avec succès les conséquences des arrivées des années 1980, le MIRPS offre au Belize les possibilités d’obtenir des appuis et des partenariats internationaux pour garantir un résultat « gagnant-gagnant » pour l’État, tout comme pour ces nouveaux réfugiés.
En plus de ses efforts à plus longue échéance entrepris dans le cadre du MIRPS, le Belize semble considérer l’adoption de mesures supplémentaires qui permettraient d’améliorer rapidement la situation des réfugiés et des demandeurs d’asile. La suppression du délai de soumission des demandes d’asile, la garantie d’un examen rapide et équitable des demandes (un processus qui permettra également d’identifier facilement les personnes n’ayant pas besoin de protection internationale) et la concession d’un accès sans contrainte à l’emploi légal pour les demandeurs d’asile enregistrés sont autant de mesures qui contribueraient à atténuer les difficultés actuelles dont souffrent les réfugiés et les demandeurs d’asile, mais aussi à garantir qu’ils soient plus rapidement en mesure de s’intégrer et de contribuer au Belize. Ces objectifs pourraient être atteints tout en travaillant avec l’ONU et d’autres partenaires régionaux et internationaux dans le cadre régional du MIRPS afin d’obtenir l’assistance requise. Comme l’Histoire l’a démontré, une telle collaboration encouragera probablement les activités de développement économique qui bénéficieront aussi bien aux réfugiés qu’à la société bélizienne. En s’appuyant sur son expérience passée, discrètement mais efficacement, le Belize peut commencer une fois encore, à agir en leader en matière de protection et de solutions pour les réfugiés dans la région.
Janice Marshall janice.marshall@unhcr.org
Ancienne directrice adjointe du Département de protection internationale pour le HCR et consultante experte de la protection au Belize.
Kelleen Corrigan corrigak@unhcr.org
Spécialiste de la protection, HCR Belize
UNHCR www.unhcr.org
Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux des auteures et ne représentent pas nécessairement ceux de l’UNHCR.
[1] www.refworld.org/docid/46d55f6b2.html
[2] Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique (1969) www.refworld.org/docid/3ae6b36018.html
[3] La CIREFCA (Conférence internationale sur les réfugiés d’Amérique centrale) a lancé une initiative régionale de cinq ans (1989-1994) pour mettre en place et consolider des solutions durables aux déplacements provoqués par les guerres des années 1980 en Amérique centrale. Soutenue par l’ensemble des États centraméricains et par d’autres pays d’asile, cette initiative est considérée comme un processus régional important et fructueux. Voir Crisp J et Mayne A (1994) Review of the CIREFCA Process, UNHCR www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/search?page=search&docid=3bd410804&query=Review%20of%20the%20CIREFCA%20Process
[4] www.unhcr.org/57e39d987 Annexe I, p16