Skip to content
Alternatives à la détention: des «unités familiales ouvertes» en Belgique

La détention peut entraîner la violation de l’ensemble du spectre des droits humains, des droits civils aux droits politiques, en passant par les droits économiques, sociaux et culturels. La détention prolongée peut entraîner des troubles sévères de la santé physique et psychologique, qui se traduisent par des coûts à long terme pour la personne concernée comme pour la société. Ces conséquences et ces coûts sont autant d’incitations à rechercher, étudier et mettre en place des alternatives à la détention.

«Le terme d’«alternatives à la détention» n’est pas une notion juridique mais est utilisé […] comme terme générique en référence à toute législation, politique ou pratique permettant aux demandeurs d’asile de résider dans le pays sous réserve d’un certain nombre de conditions ou de restrictions à leur liberté de circulation. Certaines alternatives à la détention, impliquant aussi diverses restrictions en matière de déplacement ou de liberté […] sont également soumises au respect des normes relatives aux droits de l’homme.» (UNHCR 2012, Directives sur la détention)

Les alternatives à la détention doivent donc respecter les principes de légalité, nécessité et proportionnalité et être appliquées sans discrimination et en tenant dûment compte de la dignité de chaque personne.

 

Alors que les demandeurs d’asile sont généralement logés dans des centres d’accueil ouverts permettant une liberté totale de mouvement[1] au cours du traitement de leur demande, un certain nombre d’entre eux continuent d’être détenus dans des centres de détention fermés (6.799 personnes en 2012). La détention en centre fermé concerne les personnes (à l’exception des familles avec enfants) sollicitant l’asile aux frontières externes (aéroports, gares ferroviaires et ports), les personnes que l’État belge tente de transférer vers un autre État européen dans le cadre de la réglementation de Dublin[2] et les personnes dont la demande d’asile a été rejetée et qui ont été sommées de quitter le territoire.

Selon le droit international, la détention devrait toujours être appliquée en dernier recours et non pas systématiquement comme c’est le cas aujourd’hui pour les demandeurs d’asile arrivant aux frontières belges.[3] Les circonstances spéciales, et en particulier les différents types de vulnérabilité, ne sont pas prises en compte. C’est pourquoi on trouve souvent parmi les personnes vulnérables détenues en centre fermé des personnes âgées, des femmes enceintes, des personnes handicapées, des victimes de la torture ou de la traite des êtres humains et des personnes souffrant de troubles psychiatriques, dont des traumatismes de guerre/ESPT. L’anxiété générée par le confinement exacerbe les souffrances mentales de ces individus tandis que le contexte de détention ne permet souvent pas de leur dispenser les soins adaptés.

Vers un recours aux solutions alternatives

Pendant des années, les ONG, l’Ombudsman fédéral et d’autres acteurs ont exprimé leurs préoccupations quant à la détention en Belgique et plus particulièrement la détention des enfants. Les autorités belges ont réagi en octobre 2006 en commissionnant une étude sur les alternatives à la détention, dont les conclusions ont été présentées au Parlement en avril 2007. Ensuite, une étude de faisabilité a été menée pour évaluer plus profondément les différentes solutions alternatives envisageables. Finalement, les autorités belges ont choisi de mettre en œuvre un modèle basé sur la gestion des dossiers.

Chaque demandeur d’asile se voit ainsi attribuer un responsable de dossier, plus souvent appelé «coach», qui est chargé de gérer son cas pendant toute la procédure de détermination du statut, y compris de lui donner des informations et des conseils clairs et cohérents sur le processus d’asile (dont les autres processus migratoires ou le processus de retour, le cas échéant) et sur les conditions de sa libération et les conséquences en cas de non-coopération de sa part. Les priorités sont les suivantes: prise de décision éclairée, détermination équitable et en temps opportun du statut de réfugié et soutien renforcé aux mécanismes de survie pour les demandeurs.

Le 1er octobre 2008, un projet pilote a été lancé dans le cadre duquel les familles avec des enfants, déjà présentes sur le territoire mais étant sommées de le quitter, n’étaient plus détenues dans des centres fermés. Ce projet a ensuite été élargi en octobre 2009 pour inclure les familles demandeuses d’asile qui ne sont pas autorisées à entrer sur le territoire mais qui pourraient avoir besoin d’y séjourner pendant plus de 48 heures avant d’être reconduites dans leur pays.

Ces familles vivent dans des «unités familiales ouvertes», qui sont constituées de maisons et d’appartements individuels. Les personnes y jouissent d’une liberté de mouvement mais doivent se soumettre à certaines réglementations et restrictions. Par exemple, ils peuvent sortir de leur logement pour emmener leurs enfants à l’école, faire les courses, rendre visite à leur avocat et participer à des cérémonies religieuses. Les visiteurs ont le droit de se rendre dans les unités familiales ouvertes. Ces unités familiales garantissent la continuité d’une vie raisonnablement normale pour les enfants.

Chaque famille reçoit des coupons hebdomadaires pour acheter à manger dans un supermarché local afin de pouvoir préparer ses propres repas. Chaque membre de la famille a également le droit à une assistance médicale, sociale et juridique. Tous les coûts éducatifs, médicaux, logistiques, administratifs et nutritionnels sont couverts par l’Office des étrangers. Toutefois, les frais de visite d’un médecin à domicile sont uniquement remboursés lorsque le rendez-vous a été organisé par le coach. Toutes les familles peuvent demander l’assistance d’un avocat bénévole. Des ONG visitent régulièrement les unités familiales et peuvent organiser des discussions auxquelles participent ensemble les familles et les coaches. Les familles peuvent également contacter les ONG de leur propre initiative. Afin de protéger l’intimité des familles, le nombre de visiteurs accrédités est limité.

Les responsables de dossiers/coaches sont nommés par l’Office des étrangers pour soutenir les familles alors qu’elles résident dans une unité familiale dans l’attente d’une solution permanente – droit de résidence ou retour dans la dignité – et agissent comme intermédiaires officiels entre les autorités belges et toutes les autres parties prenantes. Pour les demandeurs d’asile et les autres familles pour lesquelles le retour est la seule conclusion possible,[4] le coach recueille toutes les informations nécessaires (par exemple, il organise des réunions avec les représentants diplomatiques et consulaires, en coopération avec l’Office des étrangers) et aide les familles à préparer leur retour dans leur pays. Le coach propose d’abord aux familles un programme de retour volontaire (assisté) en collaboration avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et aidera à surmonter les obstacles susceptibles d’entraver le retour. Il informe également les familles que l’Office des étrangers peut décider, en dernier recours, de les mettre en détention dans un centre fermé si elles refusent de coopérer ou si elles ne respectent pas les règles des unités familiales ou encore si elles tentent de prendre la fuite.

L’objectif principal de ce modèle de gestion des dossiers est de préparer les familles et les individus à toutes les éventualités possibles, de l’autorisation de séjour au retour. Le système repose sur la confiance que les familles accordent aux procédures ainsi qu’au rôle du coach. Ainsi, les compétences et la personnalité des coaches peuvent contribuer tant au succès qu’à l’échec des solutions alternatives. Il est donc important que le recrutement et la formation du personnel soient bien administrés et comprennent des formations et/ou certifications adaptées aux situations. Il pourrait aussi être important de définir un code de conduite et d’autres réglementations concernant le comportement du personnel.

Dans la pratique, l’expérience a démontré qu’une famille fera plus facilement confiance à un coach qui identifie clairement toutes les possibilités et en discute ouvertement. Ainsi, les personnes qui n’ont pas le droit de rester en Belgique choisissent de rentrer chez elles après en avoir pris consciemment la décision (si elles estiment bien sûr que la procédure d’asile d’est déroulée de manière équitable) et non pas parce qu’elles subissent les pressions des autorités.

Évaluation du modèle

Entre octobre 2008 et décembre 2012, 423 familles comprenant en tout 754 enfants ont résidé dans les unités familiales pendant 23,5 jours en moyenne. Sur ce total, 201 familles étaient arrivées à la frontière, 88 étaient concernées par la procédure de Dublin et 134 étaient en situation de séjour irrégulier. Plus de la moitié de ces familles étaient composées de mères célibataires avec des enfants. Les principaux pays d’origine étaient l’Irak, l’Afghanistan, la Russie, la Serbie et le Kosovo.

406 familles ont quitté les unités:

 

  • 185 familles sont reparties vers leur pays d’origine ou vers un pays tiers (dont 33 avec l’aide de l’OIM).

 

  • 105 familles ont pris la fuite, la plupart entre quelques heures et deux jours après leur arrivée dans l’unité familiale ou juste après avoir été informées qu’elles allaient être expulsées. Et la plupart d’entre elles étaient des familles pour lesquelles un transfert était en cours de préparation dans le cadre de la réglementation de Dublin.

 

  • 115 familles ont été libérées pour vivre librement dans la communauté (20 familles régularisées,[5] 39 familles reconnues comme réfugiées, 13 familles bénéficiant d’une protection subsidiaire et 18 familles dont la procédure d’asile était toujours en cours mais qui avaient atteint la durée maximale de séjour dans les unités).

 

  • Une famille constituait un cas particulier, puisqu’il s’est avéré que l’enfant n’avait aucun lien de parenté avec elle.

 

Les résultats préliminaires du programme sont donc positifs. La majorité des familles ne se sont pas échappées et sont restées en contact avec leur responsable de dossier, ce qui indique qu’il n’est nullement nécessaire de mettre ces personnes en détention. La désignation d’un coach individuel permet une analyse plus approfondie de la situation de chaque famille et peut faciliter l’identification des cas les plus évidents pour lesquels un permis de séjour devrait être accordé (qu’il soit temporaire ou permanent)[6]

La gestion individuelle des dossiers, la sélection, la confiance et la transparence des communications sont autant d’éléments clés du succès des alternatives à la détention, de même que la collaboration aves les pouvoirs locaux, les services sociaux, les services de santé, la police, les ONG et la communauté. L’initiative belge semble être une alternative viable à la détention mais on peut toutefois se demander s’il est vraiment nécessaire de transférer les familles dans des unités familiales spéciales. Ne serait-il pas possible de suivre le même processus quel que soit l’endroit où les familles résident? Les familles qui demandent l’asile à la frontière ne seraient-elles pas mieux dans un centre d’accueil ouvert (plutôt que fermé), dont les conditions sont mieux adaptées aux besoins spécifiques des demandeurs d’asile, y compris en matière d’accompagnement juridique et social?

L’UNHCR préconise activement un plus grand recours aux alternatives à la détention, et en novembre 2011, sa représentation régionale en Europe de l’Ouest a organisé une conférence à ce sujet en vue d’étudier les différents modèles utilisés en Europe.[7] Toutefois, il semble impératif de mener de plus amples recherches sur les alternatives à la détention afin d’évaluer par exemple comment les solutions alternatives prévues par la loi sont mises en pratique et combien de personnes ont la possibilité d’en bénéficier.

 

Liesbeth Schockaert schockae@unhcr.org est assistante juridique pour la représentation régionale de l’UNHCR en Europe de l’Ouest www.unhcr.be. Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteure et ne représentent pas nécessairement ceux de l’UNHCR.



[1] Si elles sont absentes pendant plus de dix nuits consécutives, elles risquent de perdre leur place. Elles pourront toutefois déposer une nouvelle demande pour une autre place.

[2] En particulier, les demandeurs sont détenus tout au long de la procédure de Dublin, même lorsqu’il n’a pas encore été décidé si un transfert vers un autre pays devrait effectivement avoir lieu ou s’il sera organisé.

[3] Lorsqu’une personne dépose une demande d’asile à la frontière, elle n’est pas autorisée à entrer sur le territoire et l’Office des étrangers prend la décision de la mettre en détention pendant que la demande d’asile déposée à la frontière fait l’objet d’une enquête.

[4] Parce qu’elles ne répondent pas aux critères d’admissibilité, ou que leur demande d’asile est déboutée ou qu’elles sont en situation irrégulière sur le territoire.

[5] Régularisation de leur statut dans le pays pour des motifs humanitaires ou médicaux.

[6] C’est l’Office des étrangers qui décide d’octroyer les permis de séjour.

[7] La conférence a présenté le cadre juridique international actuel relatif à la détention des demandeurs d’asile, des réfugiés et des apatrides puis étudié les pratiques particulières à la Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni en matière d’alternatives à la détention. Enfin, une «feuille de route sur les alternatives à la détention des demandeurs d’asile en Belgique» a été présentée. Pour en savoir plus sur la conférence et ses messages-clés, consultez http://tinyurl.com/UNHCR-WE-conf-alternatives

 

DONATESUBSCRIBE